Jésus, de retour de Bethléem, a retrouvé Joseph. Ce dernier semble très satisfait et dit:

– Tout va bien. Lévi est très content de notre projet. Tu vas voir, Jésus, le bel ouvrage que nous allons réaliser.

– Jésus sourit et répond à Joseph:

– Père, je te l’avais bien dit que tout irait bien: tu t’es donné tant de mal pour ce projet. Il est temps maintenant de te reposer un peu. Nous allons d’abord passer à la synagogue pour remercier le Seigneur, puis nous irons dîner.

La synagogue n’est pas très loin: Jésus et Joseph sont vite arrivés. La salle est vide car les juifs pieux sont déjà retournés chez eux où les femmes et les enfants les attendent. Mais le chef de la synagogue a l’habitude de laisser la grande salle ouverte et une lampe allumée, pour les retardataires, les pèlerins ou les voyageurs qui souhaiteraient prier avant la nuit. Aussi la pièce, très calme et accueillante, invite-t-elle au recueillement et à la méditation.

Joseph se tourne vers Jésus:

– Jésus, nous sommes seuls. J’aimerais prier avec Toi quelques passages des Écritures que je ne comprends pas bien. J’ai souvent demandé des explications à nos scribes et à nos docteurs, mais, eux non plus, n’ont pas l’air de vraiment comprendre. Toi, Tu sauras peut-être. Je n’ai jamais voulu en parler à ta Maman, craignant de  la tourmenter: elle comprend trop de choses, elle...

Joseph s’approche alors du pupitre sur lequel le rouleau du Livre est posé. Après quelques instants de recherche, Joseph a trouvé ce qu’il cherchait dans le Livre du prophète Jérémie, et lit ces versets:

11-Dis-moi, Yahvé, ne t’ai-je pas bien servi? N’étais-je pas là à supplier au temps du malheur et de l’invasion? Tu le sais, Yahvé.

– Si c’est un juste qui parle, dit Joseph, pourquoi se plaint-il? Il ne peut s’agir de Job car il n’y avait pas de guerre au temps où il vivait. Comme il est difficile parfois de comprendre les mots de notre Dieu! Mais écoute les accents dramatiques de la suite:

15-Souviens-toi de moi, montre-toi et venge-moi de ceux qui me persécutent. Ne retiens pas davantage ta colère, ou ils auront raison de moi; c’est pour toi que je souffre tant d’humiliations!

– Qui peut souffrir tant d’humiliations pour Yahvé? Et pourquoi ajoute-t-il:

18-Pourquoi ma douleur est-elle continuelle et ma blessure rebelle à toute guérison. M’as-tu trompé, toi ma source, et me laisses-tu soudain sans eau ? (Jr., Chap. XV)

– Dieu ne trompe jamais celui qui se confie en lui. Dieu n’abandonne jamais le juste même si, parfois, Il le met à l’épreuve. De quelle blessure rebelle peut-il être question, et que signifie-t-elle? Tu vois, Jésus, notre Jérémie se lamente souvent, avec de justes raisons. Les incrédules ne l’ont jamais épargné, mais ici, dans ce texte, on a l’impression qu’il parle de quelqu’un d’autre.

Jésus regarde Joseph et murmure:

– Père, les grands prophètes ont tous été persécutés; cela se vérifiera toujours. C’est vrai, le prophète ne parle pas de lui; Jérémie pense à quelqu’un d’autre, au Messie, peut-être. Car lorsque paraîtra le Messie qu’Israël attend, les siens ne le reconnaîtront pas. Ils n’écouteront pas ses paroles d’amour et de vérité. Il sera bafoué, rejeté, abandonné, trahi. Ils le traîneront devant les tribunaux, le condamneront à mort et... 

– Comment cela pourrait-il être? Comment pourrions-nous rejeter ce Roi-Messie que nous attendons, que nous désirons tant? se récrie Joseph plein de crainte?

– Père, tu ne te souviens donc plus de la vision d’Isaïe sur le Serviteur souffrant?

Joseph soupire :

– Oh ! si Fils ! Mais je ne comprends pas ce qu’elle signifie...

Jésus, alors, entoure de son bras droit les fortes épaules de Joseph et de l’autre tourne le rouleau du Livre. Voici ce qui a été révélé à Isaïe au sujet du Messie, le Serviteur souffrant :

4-Ce sont nos péchés qu’il portait; c’étaient nos péchés dont il était chargé, nos plaies qu’il supportait; nous pensions qu’une plaie de Dieu l’avait frappé, humilié.

5-Mais c’est pour nos fautes qu’il était transpercé, c’est à cause de nos péchés qu’il était écrasé. Le châtiment qui nous donnait la paix pesait sur lui, et par ses blessures nous sommes guéris.

6-Tous comme des brebis, nous étions errants, chacun suivait son propre chemin. Yahvé lui a fait porter notre dette à tous.

8-Car s’il était retranché de la terre des vivants et frappé, c’était pour le péché de son peuple.

Jésus suspend sa lecture et dit, presque solennellement:

– Père, toi, tu peux comprendre, tu dois savoir; c’est pour le salut du monde que le Messie vient. C’est pour la Rédemption des pécheurs que Je suis venu. Le Messie doit souffrir, il doit en être ainsi. Souviens-toi des paroles de l’Ange et de notre fuite en Égypte... Souviens-toi du vieux Siméon qui accueillit ton offrande le jour de ma présentation au Temple et des paroles qui furent dites à ma sainte Mère: un glaive de douleur lui transpercera le cœur.

Joseph semble soudain terrifié. Oui, il se souvient bien des paroles du juste Siméon; il se répète même chaque jour ces paroles sans bien savoir ce qu’elles veulent dire.

– Mais je pensais qu’il parlait seulement des funestes projets d’Hérode... Nous sommes si heureux maintenant! Jésus, dis-moi que Tu ne Te trompes pas, que l’on pourrait peut-être interpréter autrement les paroles du prophète... Jésus, dis-moi: et la Maman? Que dois-je faire pour lui éviter des peines et des souffrances?

Jésus embrasse Joseph :

– Ne pleure pas père; toi, tu ne verras pas les heures tragiques de mon Heure. Quant à la Maman, Servante du Seigneur, elle fera, comme toujours, la volonté de Dieu. Console-toi, père, car après les heures de détresse, le fils que le Père t’a confié, connaîtra les heures de gloire. Écoute comment Isaïe continue :

12-Tout cela arrivera parce qu’il s’est dépouillé jusqu’à la mort et qu’il a été mis au rang des criminels. Et parce qu’il portait sur lui le péché de la multitude et qu’il intercédait pour les pécheurs. 11-Après ses épreuves il sera comblé, il jouira de la pleine connaissance. Mon serviteur le juste fera une multitude de justes: il aura pris sur lui leurs péchés.

13-C’est pourquoi il aura sa part au milieu des grands, il partagera le butin avec les puissants. (Is., Chap. LIII) Et notre Père du Ciel le bénira pour l’Éternité, complète Jésus.

– Maintenant, père, il faut sécher tes larmes, il faut retrouver ta paix. Sache que c’est pour cela que Je suis venu. C’est pour cela que l’Esprit de Dieu M’a engendré en Marie ton épouse. C’est pour cela que tu M’as donné le nom de Jésus. Mais mon temps n’est pas encore venu et nous avons encore de longues années à vivre et à travailler ensemble. Et à être heureux! Oublie tout ce que Je viens de te révéler, et surtout n’en parle pas à la Mère. C’est trop tôt.