CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

QUATRIEME PARTIE
Excellence et fruits du Saint Abandon

CHAPITRE PREMIER
EXCELLENCE DU SAINT ABANDON

Ce qui fait l'excellence du saint abandon, c'est l'incomparable efficacité qu'il possède, pour ôter les obstacles à la grâce, pour faire pratiquer dans la perfection les plus hautes vertus, et pour établir le règne absolu de Dieu sur nos volontés. Évidemment, la conformité qui vient de l'espérance, et surtout la résignation qui naît de la crainte, ne s'élèvent pas aux mêmes hauteurs; elles ont cependant leur prix. Mais nous parlons ici de la conformité parfaite, confiante et filiale, que produit le saint amour.

Et d’abord, elle est nécessaire et incomparable pour ôter les obstacles. Un jour, après Matines, le bienheureux Suso fut ravi hors de ses sens. Il lui sembla voir un magnifique jeune homme, descendre du ciel et lui dire : « Tu as fréquenté pendant assez longtemps les petites écoles, tu t'y es assez exercé, maintenant tu es mûr. Viens avec moi, je veux te conduire à la plus haute école qui existe dans le monde. Et quelle est donc cette école si désirable ? C'est celle où l'on enseigne la science d'un parfait abandon de soi-même; c'est-à-dire où l'on apprend à l'homme à se renoncer tellement que, dans toutes les circonstances où le bon plaisir divin se manifeste, l'homme ne s'applique qu'à demeurer toujours calme et égal, en se renonçant dans la mesure possible à l'infirmité humaine. Il doit arriver à ne voir que la gloire et l'honneur de Dieu, à être vis-à-vis de Dieu comme l'aimable Jésus a été vis-à-vis de son Père céleste ». Il Y avait de nombreuses années que le bienheureux s'exerçait à la vertu comme un valeureux ascète; il infligeait à son corps un martyre dont le seul récit nous effraie; il était déjà parvenu à l'âge des extases. Cependant Dieu l'appelle à une plus haute école; en avait-il vraiment besoin ? Revenu à lui-même après sa vision, il restait silencieux et pensait à ce qu'on venait de lui dire : Examine-toi intérieurement, conclut-il, et tu verras que tu as encore beaucoup d'esprit propre; tu remarqueras qu'avec toutes les mortifications que tu as faites, tu n'arrives pas encore à supporter toute contrariété étrangère. Tu ressembles au lièvre caché dans un buisson, qui s'effraie au bruit d'une feuille. Toi aussi, tu t'effraies tous les jours des peines qui t'arrivent; tu pâlis à la vue de tes contradicteurs; lorsque tu crains de succomber, tu t'enfuis; lorsque tu devrais te présenter, tu te caches; lorsqu'on te loue, tu es heureux; lorsqu'on te blâme, tu t'attristes. II est bien vrai que tu as besoin d'aller à une haute école » . Voilà donc une âme qui marchait résolument dans les voies de la sainteté; cependant il restait bien de l'homme en elle, plus même qu'elle ne pensait. Combien d'autres, qui ne la valent pas, auraient besoin, comme elle, qu'un ange vînt leur montrer le mal et leur apprendre à bien appliquer le remède !

Nous savons, en principe, que le mal consiste dans la recherche désordonnée de nous-mêmes, et, par conséquent, dans l'orgueil et la sensualité qui en résument les formes si variées. Mais, en fait, nous sommes loin de nous connaître; et bien souvent ce monde de passions, de faiblesses, d'attaches, de mauvaises tendances, qui grouille en nous, resterait enveloppé d'un voile épais, et n'attirerait pas notre attention, si la Providence ne venait nous ouvrir les yeux, en temps opportun, par une bonne humiliation, ou par d'autres épreuves sagement appropriées. Alors le voile se déchire, et nous commençons de voir ce qui nous était resté caché jusqu'à ce jour, et que les autres, hélas ! avaient peut-être eu trop souvent l'occasion de constater. Mais le mal une fois connu, il nous arrive aussi de ne pas savoir y porter remède.

Nous sommes portés à nous épargner; la Providence n'aura pas cette cruelle indulgence. « Jusqu'ici, dit l'ange au bienheureux Suso, c'est toi qui te frappais de tes propres mains, tu cessais quand tu voulais, et tu avais compassion de toi-même. Je veux maintenant t'arracher à toi-même, et te jeter, sans défense, aux mains d'étrangers qui te frapperont. (Ils ne le feront que dans la mesure où je le permettrai, mais ils te paraîtront sans pitié.) Tu assisteras à un effondrement de ta réputation, tu seras en butte au mépris de quelques hommes aveuglés, et tu souffriras plus de cela que des blessures faites jadis par tes instruments de pénitence » .

Nous trouvions autrefois des compensations; la Providence va nous les enlever. Il y avait des consolations humaines. « Lorsque tu te livrais à tes exercices de mortification, dit range au bienheureux Suso, tu étais grand, tu étais admiré, maintenant tu seras abaissé, tu seras annihilé ». Il y avait surtout les consolations divines. « Jusqu'ici tu n'as été qu'un enfant gâté; tu as nagé dans la douceur ,. céleste, comme un poisson dans .la mer. Je veux désormais te retirer tout cela; je veux que tu en sois privé et que tu souffres de cette privation, que tu sois abandonné de Dieu et des hommes » .
Nous ne portions pas toujours les coups au bon endroit; la Providence voit plus juste, et s'attaque au siège du mal. Le bienheureux Suso avait un caractère très affectueux, et ne semblait pas s'en être préoccupé : « Bien que tu te sois infligé mainte cruelle torture, lui dit l'ange, il t'est resté, avec la permission de Dieu, une nature tendre et aimante; il t'arrivera que, là où tu aurais pensé trouver un amour particulier et de la fidélité, tu ne trouveras que de l’infidélité, de grandes souffrances et de grandes peines. Tes épreuves seront si nombreuses, que les hommes qui ont pour toi quelque amour souffriront avec toi par compassion » . Notre mal est surtout l'orgueil. Or, « pour s'en punir, dit le P. Piny, cherche-t-on ordinairement les occasions d'humiliation et de mépris ? Ne croit-on pas faire assez de se condamner à quelque aumône, ou de pratiquer des austérités qui mortifient bien plus le corps que l'orgueil de l'esprit ? Dieu, qui ne cherche pas seulement à punir, mais encore plus à guérir, agit bien plus sagement. Il nous fait expier ce péché par ce qu’il y a de plus, contraire à notre présomption et à notre vanité, par les mépris, les humiliations, les rebuts, les confusions, et dès lors par la pénitence la plus pénible à notre nature superbe et la plus opposée à nos inclinations » .

Finalement, le grand mal est le jugement propre et la volonté propre; il n'y a péché ni imperfection qui ne vienne de cette source empoisonnée. Combien sont-ils ceux qui savent remonter jusqu'à ce principe de tout désordre ? Trop souvent même, n'est-ce pas le jugement propre qui a la prétention d'assigner le remède, et la volonté propre celle d'en surveiller l'application, tandis, au contraire, que c'est le jugement propre et la volonté propre que nous' devrions sacrifier sans miséricorde et par dessus tout ? La Providence viendra corriger ces erreurs ou cette faiblesse. « Ah! Seigneur, montrez-moi mes peines à l'avance, afin que je les connaisse », disait le bienheureux Suso. Et Dieu de lui répondre : « Non, il est préférable que tu ne saches rien » . En effet, il veut nous tenir dans la disposition constante d'incliner notre jugement, d'immoler notre volonté. Il va donc nous cacher soigneusement ses intentions; très souvent même, il ira contre nos prévisions et nos idées, il heurtera de front nos goûts et nos répugnances. Si nous voulons y regarder de près, il ne fait rien au hasard; comme un vrai Sauveur, comme un médecin aussi ferme que sage et discret, il porte le fer et le feu, tantôt ici, tantôt là, partout où son œil exercé voit des fautes à expier, des défauts à corriger, un point faible à fortifier. Malgré les plaintes de la nature, il continuera de le faire, avec une miséricordieuse rigueur, aussi longtemps qu'il le trouvera bon pour achever de nous guérir et pour nous combler de ses biens. « La propre volonté, dit le P. Piny, ce qu'il y a dans l'homme de plus tendre et de plus cher, est ainsi à la torture et dans l'état le plus violent, puisqu'elle est réduite à endurer ce qu'elle ne voudrait pas, et le contraire de ce qu'elle voudrait», Dieu veut la vaincre et la discipliner. Voilà pourquoi certaines âmes se trouvent « réduites à être presque continuellement ce qu'elles n'auraient pas voulu être, tantôt dans de profondes ténèbres au moment de l'oraison, au lieu des lumières qui étaient de leur goût, mais qui allaient servir à entretenir leur propre volonté; tantôt dans des tristesses et ennuis fatigants, en punition des joies immodérées qu'elles avaient goûtées autrefois, ou de l'attache qu'elles avaient aux états de satisfactions ; tantôt dans les incertitudes, les craintes et les scrupules, à cause du trop grand empressement qu'elles ont eu pour leur perfection, afin qu'elles meurent à elles-mêmes, en acceptant la divine volonté sur elles, malgré leurs craintes et leurs incertitudes » .

C'est donc le saint abandon qui achèvera de purifier notre âme et de la détacher. Le fidèle accomplissement des devoirs journaliers, pour nous religieux l'exacte observance de nos vœux et de nos règles, avec nos pratiques libres de vertu, avaient infligé au vieil homme défaites sur défaites, blessures sur blessures. Il vivrait encore, si le saint abandon ne venait, pour ainsi dire, lui donner le coup de grâce et le mettre au tombeau. Assurément, l'obéissance ne cesse pas d'être nécessaire au prem1er chef; à mesure qu'elle se ralentirait, la nature reprendrait le dessus, elle aurait vite fait de bannir le saint abandon. Mais celui-ci vient joindre son action puissante à celle de l'obéissance; il répond d'ailleurs à nos besoins plus personnels. Il amène ainsi notre pénitence à sa dernière perfection.

Il en fait de même pour la foi confiante et l'amour divin.

C'est lui qui donne à notre foi en la Providence, à notre confiance en Dieu, d’être pleinement pratiques et universelles, les faisant passer de la conviction de l'esprit jusque dans l'affection du cœur, et les appliquant tour à tour aux situations les plus diverses. Sans lui, elles risqueraient de rester toujours incomplètes ; car il y a des choses qu'on n'apprend guère sans avoir passé maintes et maintes fois par l'épreuve. Par exemple, Jésus-Christ a dit : « Heureux les pauvres ! Heureux ceux qui ont des peines! Heureux ceux qui se mortifient ! Heureux ceux qui sont persécutés, calomniés et maudits des hommes »! Ont-elles cette foi totale et pratique, les personnes qui ne peuvent supporter la pauvreté, la souffrance, et la persécution ? «Il faut avouer qu'elles ne croient pas à l'Evangile, ou qu'elles n'y croient qu'en partie. Au contraire, celui-là croit tout ce que renferme l'Evangile, qui regarde comme un avantage, comme une faveur divine en ce monde, d'être pauvre, d'être malade, d'être méprisé, humilié et persécuté par les hommes » . C'est la réflexion de saint Alphonse.

Cette foi confiante, pratique et totale, se trouve élevée à son plus haut point, dit le P. Piny, « par l'abandon de tout ce que nous sommes et de tous nos intérêts au bon plaisir divin. N'est-ce pas avoir une foi bien grande en la justice, en la sainteté de Dieu, qu'il nous suffise, en tout ce qui nous arrive, d'un simple souvenir que telle est sa volonté, pour qu'au même moment nous disions Amen sur tous ses décrets ? On ne saurait avoir, en la bonté et l'amour de Dieu, une foi plus grande que de prendre également de sa main les croix et les joies, le mal et le bien; et, dans la ferme croyance que c'est un Dieu qui fait bien tout ce qu'il fait, de bénir son nom, comme un autre Job, sur le fumier aussi bien que sur le trône, quand il nous couvre de plaies et d'humiliations comme lorsqu'il nous comble d'honneurs et de consolations. Pas de plus grande et de plus vive foi que de croire que Dieu fait toujours admirablement nos affaires, lorsqu'il semble nous détruire et nous anéantir, lorsqu'il renverse nos meilleurs desseins, qu'il nous expose à la calomnie, qu'il obscurcit toutes nos lumières dans l'oraison, qu'il dessèche nos sensibilités et nos ferveurs par les aridités et les sécheresses, qu'il détruit notre santé par les infirmités et les langueurs, qu'il nous met dans l'impuissance d'agir. Conserver dans tous ces états la plus ferme confiance, accepter le tout à l'aveugle, n'est-ce pas exercer la plus vive foi en la puissance souveraine et l'infinie bonté de Dieu » ? Merveilleuse fut la foi d'Abraham, dans la terrible épreuve que chacun sait. « Non moins admirable est la foi de l'âme qui marche dans la voie d'abandon. Car Dieu en agit presque toujours ainsi à l'égard des âmes qui s'abandonnent à lui, pour anéantir leur propre volonté ». Il détruit l'attache à nos joies par les tristesses, à l'estime par les humiliations et les mépris, aux goûts et aux sensibilités par les aridités et les sécheresses, aux lumières dans l'oraison par les obscurités et les ténèbres; il travaille à ruiner le trop grand empressement pour la perfection par des insuccès crucifiants, la trop grande activité par les impuissances où il nous réduit parfois, la propre volonté jusque dans l'affaire du salut par les incertitudes où il nous met sur ce sujet. S'il y a une voie où l'on exerce une foi vive, une confiance à toute épreuve, « c'est donc bien celle de l'abandon à la divine volonté, puisqu'on y croit ce qui paraît le moins croyable, à savoir que Dieu fera nos affaires en les détruisant, qu'il nous formera en nous anéantissant, qu'il nous éclairera en nous aveuglant, qu'il nous unira à lui plus intimement en nous laissant dans l'angoisse; en un mot, qu'il nous perfectionnera en détruisant nos inclinations et nos volontés » .

Ainsi donc, la pratique du saint abandon suppose, une foi vive, une confiance déjà ferme; elle les développe admirablement, elle les porte à leur plus haut degré. Il en est de même de l'amour divin.

Le saint abandon lui donne de merveilleux accroissements, d'abord par un détachement parfait. « Quand un cœur est plein de terre, dit saint Alphonse, l'amour de Dieu n'y trouve point de place; et plus il y reste de terre, moins y règne l'amour divin. Puis Jésus-Christ veut posséder tout notre cœur et n'y souffre pas de rival. Enfin l'amour envers Dieu est un aimable voleur, qui nous dépouille de toutes les choses terrestres ». Il faut donc donner tout pour obtenir tout. Da totum pro tata, disait Thomas à Kempis . Ce complet dégagement si nécessaire et si laborieux, l'humilité, l'obéissance et le renoncement l'ont déjà commencé, il l'ont même bien avancé; d'ailleurs, ils ne cesseront jamais de le poursuivre. Et cependant, comme nous l'avons dit, ils ont besoin que le saint abandon vienne surajouter son action à la leur, pour que le détachement parvienne à sa perfection. C'est donc le saint abandon qui achève de faire le vide en notre âme. L'amour divin s'y précipite à mesure; et, ne trouvant plus d'obstacle, il la remplit, il la gouverne, il la transforme, il y règne en maître.

Non seulement, le saint abandon prépare les voies à l'amour divin; « il est lui-même l'acte d'amour le plus parfait qu'une âme puisse produire envers Dieu, il vaut plus que mille jeûnes et disciplines. Car celui qui donne son bien par l'aumône, son sang par la flagellation, sa nourriture par le jeûne, donne une partie de ce qu'il a; celui qui donne à Dieu sa volonté se donne lui-même et donne tout, en sorte qu'il peut dire : Seigneur, je suis pauvre, mais je vous donne tout ce que je puis; vous ayant donné ma volonté, je n'ai plus rien à vous offrir » . Ainsi parle saint Alphonse.

C'est aussi l'amour le plus pur et le plus désintéressé. Elles sont nombreuses les âmes qui restent volontiers avec Jésus à la fraction du pain; bien rares, celles qui le suivent jusqu'aux immolations du Calvaire. Il est facile d'aimer Dieu, quand il se donne parmi les suavités, les ardeurs et les transports. Il est plus noble et plus grand de s'oublier soi-même, et de se donner tout à Dieu, au point de mettre son contentement dans celui de Dieu, de faire de la divine volonté la sienne propre, alors même qu'elle entend nous mener, sans aucun doute, à la suite de Jésus crucifié. « Voilà, dit le P. Piny, la manière d'aimer la plus noble, la plus parfaite et la plus pure. Si l'on peut mesurer l'amour que nous avons pour Dieu par la grandeur des sacrifices que nous sommes disposés à faire pour lui, quel amour peut être plus pur et plus grand que celui des âmes qui abandonnent au bon plaisir de Dieu non seulement leurs biens temporels, leur réputation, leur santé et leur vie, mais encore l'intérieur de leur âme et leur éternité, pour ne vouloir en tout cela que l'ordre et la volonté de Dieu ? Ne peut-on pas dire que leur amour est entièrement dégagé de tout propre intérêt, puisqu'elles se mettent en état de victimes, consentant que Dieu les détruise à tout moment, et qu'il fasse un sacrifice continuel de leur volonté à la sienne »  ?

Nous pourrions ajouter qu'une âme, en s'exerçant au saint abandon, se forme en même temps et de la meilleure manière à toutes les vertus, parce qu'elle rencontre à chaque pas l'occasion de pratiquer tantôt l'humilité, tantôt l'obéissance, tantôt la patience ou la pauvreté, etc., et que le saint abandon élève les unes et les autres à leur plus haute perfection. Le P. Piny le prouve abondamment; pour abréger, nous renvoyons à son précieux opuscule. Qu'il nous suffise de dire avec saint François de Sales : « L'abandonnement est la vertu des vertus; c'est la crème de la charité, l'odeur de l'humilité, le mérite, ce semble, de la patience, et le fruit de la persévérance : grande est cette vertu, et seule digne d'être pratiquée des plus chers enfants de Dieu » .

Mais si l'abandon perfectionne les vertus, il perfectionne aussi l'union de l'âme avec Dieu. Cette union ici-bas, c'est bien l'union de l'esprit par la foi, l'union du cœur par l'amour; c'est surtout L'union de la volonté par la conformité à la volonté divine. Il faut que l'obéissance la commence et qu'elle ne cesse jamais de la poursuivre; mais c'est le saint abandon qui l'achève. En effet, dit le P. Piny, peut-on être uni à Dieu d'une façon plus complète « qu'en le laissant faire, acceptant tout ce qu'il fait, et consentant amoureusement à toutes les destructions qu'il lui plaira faire en nous et de nous ? C'est vouloir tout ce que Dieu veut, ne vouloir que ce qu'il veut » et comme il veut; « c'est donc avoir uniformité avec la volonté de Dieu, c'est être trans-formé en la divine volonté, c'est être uni à tout ce qu'il y a en Dieu de plus intime, je veux dire à son cœur, à son bon plaisir, à ses décrets impénétrables, à ses jugements qui, quoique cachés, sont toujours équitables et justes ». Quelle union à Dieu sera jamais plus ferme et plus inséparable? « Dans cette voie, en effet, qu'est-ce qui pourrait séparer l'âme de Dieu ? Ce n'est ni la disette, ni les persécutions, ni la vie, ni la mort, ni les événements, quels qu'ils puissent être, puisque, ne voulant rien hors la volonté de Dieu et l'acceptant en toute chose sans examen, elle trouve toujours tout ce qu'elle veut dans tout' ce qui lui arrive, y voyant l'accomplissement du bon plaisir de Dieu » .

Or, voilà ce qui recommande par dessus tout le saint abandon : rien n'unit, comme lui, notre volonté à celle de Dieu; mais cette divine volonté est la règle et la mesure de toute perfection, en sorte que nos volontés n'ont de perfection et de sainteté que par leur conformité à celle de Dieu. On deviendra donc d'autant plus vertueux et plus saint, que l'on se conformera mieux à cette adorable volonté. Ou plutôt celui-là est déjà saint et parfait qui est arrivé à voir en toutes choses la main et le bon plaisir de Dieu, et qui n'a jamais d'autre règle que cette volonté. Et quand on est parvenu là, que reste-t-on à faire, pour devenir encore plus saint et plus parfait ? Conformer toujours mieux notre volonté à celle de Dieu, et, selon l'énergique expression de saint Alphonse, « l'uniformer » à celle de Dieu, au point que « des deux volontés nous n'en fassions (pour ainsi dire) qu'une, que nous ne voulions que ce que Dieu veut, que sa volonté reste seule et non la nôtre. C'est là le sommet de la perfection, nous devons y aspirer sans cesse. La Très Sainte Vierge n'a été la plus parfaite entre tous les Saints que parce qu'elle a été toujours plus parfaitement unie à la volonté de Dieu » .

Si donc nous voulons gravir les sommets de la vie intérieure, la meilleure route est celle du saint abandon; nulle autre ne saurait nous conduire aussi vite ni aussi loin. A Dieu ne plaise que nous consentions à rabaisser l'humilité, l'obéissance et le renoncement ! Ces vertus fondamentales sont, avec l'oraison, le chemin toujours nécessaire et sûr, hors duquel on cherche en vain la vertu solide et l'abandon de bon aloi. Suivons-le fidèlement jusqu'à notre dernier jour. Mais quand nous serons parvenus par cette voie à la conformité parfaite, amoureuse et filiale, nous aurons trouvé le chemin de la sainteté.

   

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