CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

CHAPITRE IV
CONFORMITÉ A  LA VOLONTÉ DE BON PLAISIR

En réservant le nom d'obéissance pour désigner l'accomplissement de la volonté de Dieu signifiée, et celui de conformité pour marquer la soumission au bon plaisir divin, nous avons cru suivre l'usage le plus général. Mais il faut convenir qu'il règne une assez grande diversité sur ce point. Saint Alphonse, en particulier, indique souvent les deux choses sous le seul mot de conformité. On aura donc besoin de recourir au contexte pour voir le sens que chaque auteur donne à ces expressions.

Comme toutes les autres vertus, la conformité à la Providence, ou la soumission au bon plaisir de Dieu, contient plusieurs degrés de perfection, soit qu'on regarde l'adhésion plus ou moins généreuse de la volonté, soit qu'on envisage le motif plus ou moins élevé de cette adhésion.

1. – Si l'on prend comme base de cette classification la générosité avec laquelle nous adaptons notre vouloir à celui de Dieu, le P. Rodriguez réduit ces degrés à trois :

“ Premier degré : au lieu de désirer et d’aimer les contrariétés et les afflictions, on les fuit autant que possible ; toutefois on aimerait mieux les souffrir que de commettre aucun péché pour les éviter. C'est là le plus bas échelon, la première marche de la conformité, le simple accomplissement d'un devoir 'rigoureux. On peut, en effet, s'affliger des maux que l'on souffre, gémir et se plaindre sous les étreintes de la maladie, pleurer la mort de ses parents et de ses amis, et se résigner cependant à la volonté de Dieu.

“ Deuxième degré : bien que, par les désirs de son cœur, on n'appelle pas sur soi les peines et les souffrances, cependant quand elles arrivent, on les accepte et on les souffre volontiers, parce qu'on sait que ces peines et ces souffrances sont dans l'ordre des desseins de Dieu. Il y a là amour des afflictions par amour pour Dieu, et c'est ce qui distingue ce degré du précédent. Parvenu à ce point de la résignation, il n'est pas d'épreuve douloureuse qu'on ne consente à subir, non seulement avec patience, mais avec une certaine joie, comme un sacrifice que l'on sait être agréable à Dieu. Dans le premier degré, on souffre patiemment ; dans le second, on sourit à la douleur, on l'accueille avec empressement, comme un hôte envoyé de Dieu.

“ Troisième degré : dans ce degré, le plus parfait de tous, non seulement on reçoit et on souffre de bon cœur, pour l'amour de Dieu, toutes les peines qu'il nous envoie, mais, dans l'élan de cet amour, on va pour ainsi dire au-devant des peines ; on se réjouit de leur arrivée, parce qu'on sait qu'elles viennent de la main de Dieu et sont un effet de son adorable volonté ” . C'est ainsi que les Apôtres exultaient d'avoir été jugés dignes de souffrir outrage pour le nom de Jésus , et saint Paul débordait de joie au milieu de ses tribulations.

Nous sera-t-il permis de faire remarquer que l'amour d'où procède le second degré peut fort bien être l'amour d'espérance, et que la différence entre ce degré et le troisième pourrait être plus précise ?

Cette classification est généralement reçue. Les détails varient suivant les auteurs, le fond reste le même. D'ailleurs, on trouve déjà cette division dans notre Père saint Bernard, et il nous semble que personne n'a été plus heureux que lui, soit pour préciser les degrés, soit pour en marquer les motifs. Tout d'abord, il rappelle les trois voies classiques des commençants, des progressants et des parfaits, et il leur assigne, pour mobiles respectifs, la crainte, l'espérance et l'amour. Puis il ajoute : “ Le commençant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiemment ; le progressant, mû par l'espérance, la porte volontiers; celui qui est consommé en charité l'embrasse désormais avec ardeur ”.

2.  Si l'on considère le motif de notre conformité au bon plaisir de Dieu, nous distinguerons celle qui vient du pur amour, et celle qui procède d'une autre cause surnaturelle.

Selon saint Bernard, à prendre les choses en général, les commençants n'ont que la simple résignation, et elle leur vient de la crainte ; les progressants portent la croix volontiers, et cette conformité plus élevée est due à l'espérance ; les parfaits embrassent la croix avec ardeur, et cette parfaite conformité est le fruit du saint amour.

On conçoit sans peine que la crainte suffise à produire la simple résignation. Mais que la soumission grandisse en générosité, qu'elle devienne même joyeuse, elle suppose un détachement plus complet, une foi plus vive, une confiance en Dieu plus ferme. Elle n'est cependant pas nécessairement fille du pur amour : le désir des biens éternels peut très bien nous élever jusque-là. Une âme éprise du Ciel regardera comme une bonne fortune les petites épreuves et même de grosses tribulations, pénétrée qu'elle sera- des séduisantes promesses de l'Apôtre: “ Les souffrances de la vie présente sont sans proportion avec -la gloire à venir qui sera manifestée en nous... Nos tribulations, si courtes et si légères, opèrent en nous un poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire ”.

Il y a enfin la conformité par pur amour, qui est en soi la plus parfaite ; car rien n'est élevé, délicat, généreux, persévérant, comme la sainte dilection. Dès lors que la charité est commandée à tous, il n'est aucun fidèle, ce semble, qui ne puisse faire, au moins de temps en temps, des actes de cette conformité par -amour. On les produira mieux et plus volontiers, à mesure que l'on grandira dans la charité. Un jour viendra où, vivant principalement de pur amour, c'est également par pur amour que l'on se conformera aux dispositions de la Providence, au moins d'une manière habituelle. Mais aussi, de même que l'âme avancée peut s'élever toujours plus dans la sainte dilection, elle pourra grandir sans cesse dans la conformité qui naît de l'amour.

Et maintenant, parmi tous ces degrés de conformité, où se trouve le Saint Abandon ? Il occupe les sommets. Si l'on considère la générosité de la soumission, l'abandon ne semble avoir sa place que dans le degré supérieur : le premier, c'est-à-dire la résignation, ne s'élève pas jusque-là ; il suffit pour la vie simplement chrétienne, mais non pour la vie parfaite ; il n'offre pas ce complet détachement, cette pleine donation de la volonté que signifie l'abandon. Le deuxième est plus généreux ; mais il nous paraît que l'âme n'y est pas encore parvenue à ce complet détachement, sans lequel elle ne saurait se faire indifférente à tout et remettre entièrement sa volonté dans les mains de la Providence.

Si l'on considère le motif déterminant, l'abandon est une conformité par amour, avec des nuances particulières qui lui donnent un caractère accentué de confiance filiale et de totale donation. Bref, comme on le verra mieux dans la suite, c'est le sommet de l'amour et de la conformité.

Loin de vouloir déprécier la simple résignation et la conformité qui ne procède pas du pur amour, nous serions heureux d'en faire ressortir l'importance et le mérite. Mais notre dessein est de ne parler explicitement que du Saint Abandon, et nous commencerons par le décrire, d'une façon précise et minutieuse, d'après la doctrine de saint François de Sales. Nous espérons toutefois que les âmes moins avancées dans la conformité pourront suivre avec profit nos développements, et s'appliquer beaucoup de choses, toute proportion gardée.

   

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