LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Saint
Laurent Scupoli
Théatin
(1530 - 1610)

Le Combat Spirituel

CHAPITRE XLVI

De l’oraison qui se fait voie de méditation

Si vous voulez prier pendant un certain espace de temps, une demi-heure, une heure, ou plus encore, vous devez joindre à l’oraison la méditation de la vie et de la Passion de Jésus-Christ, en appliquant chacune de ses actions à la vertu que vous voulez acquérir. Si vous désirez, par exemple, obtenir la vertu de patience, vous choisirez pour sujet de méditation quelques circonstances de la flagellation. Vous considérerez premièrement, comment les soldats, sur l’ordre de Pilate, traînèrent le Sauveur au lieu désigné pour la flagellation, en l’accablant de cris de haine et de railleries sanglantes. Deuxièmement, comment les bourreaux le dépouillèrent de ses vêtements et laissèrent son corps très pur exposé aux regards du public. Troisièmement, comment ses mains innocentes fortement serrées l’une contre l’autre par des liens cruels furent ensuite attachées à colonne. Quatrièmement, comment son corps déchiré et mis en lambeaux, à coups de fouets, inonda la terre de ruisseaux de sang. Cinquièmement, comment les coups ajoutés aux coups renouvelaient et aggravaient sans cesse ses blessures. Vous étant ainsi proposé pour acquérir la patience de méditer sur ces différents points, vous vous exciterez d’abord par l’imagination à ressentir le plus vivement possible les douleurs amères et les tourments affreux que votre bien-aimé Sauveur endurait dans chacun de ses membres adorables et dans son corps tout entier. Passant ensuite à son âme très sainte, vous essayerez de vous représenter la patience et la mansuétude avec laquelle il a supporté ces incroyables douleurs, et la soif insatiable qu’il avait de souffrir des tourments plus grands et plus atroces encore pour la gloire de son Père et pour notre salut. Cela fait, considérez comme votre divin Sauveur brûle du désir de vous voir endurer patiemment votre affliction ; voyez comme il se tourne vers son Père et le conjure de vous accorder la grâce de porter avec résignation la croix qui vous afflige en ce moment ou tout autre qu’il lui plaira de vous envoyer. Efforcez-vous alors de fléchir votre volonté pour l’amener à supporter patiemment ses épreuves, et tournez votre pensée vers le Père céleste. Remerciement d’abord de l’amour immense qui l’a poussé à envoyer son Fils unique sur la terre, afin qu’il y souffrît d’affreuses tortures et qu’il y intercédât pour nous ; demandez-lui ensuite la vertu de patience au nom des souffrances et des prières de son divin Fils.

CHAPITRE XLVII

D’une autre manière de prier par voie de méditation

Vous pourrez, pour prier et méditer, suivre une autre méthode encore. Après avoir considéré attentivement les afflictions du Sauveur et avoir vu des yeux de l’esprit son empressement à les embrasser, vous passerez de la grandeur de ses tourments et de sa patience à deux autres considérations. L’une aura pour objet ses mérites infinis. L’autre, le contentement et la gloire que la parfaite obéissance de Jésus souffrant a procurés à son Père céleste. Vous pourrez appliquer ce mode d’oraison non seulement à tous les mystères de la Passion de Notre Seigneur, mais à tous les actes, soit intérieurs, soit extérieurs, qu’il faisait en chacun de ces douloureux mystères.

CHAPITRE XLVIII

Comment nous pouvons méditer en prenant pour sujet de méditation
la bienheureuse Vierge Marie

Outre les diverses manières de méditer et de prier que nous venons d’indiquer, en voici une autre qui se fait en prenant la Sainte Vierge pour sujet d’oraison. Vous la pratiquerez en tournant votre pensée d’abord vers le Père éternel, ensuite vers le doux Jésus, et en dernier lieu vers sa très glorieuse Mère. À l’égard du Père éternel, vous considérerez deux choses. La première est la complaisance qu’il a eue de toute éternité en contemplant la Vierge Marie en lui-même, avant qu’il ne l’eût tirée du néant. La seconde, les vertus et les actions de Marie depuis le premier instant de son existence. Voici comment vous méditerez sur le premier point. Élevez-vous par la pensée au-dessus de tous les temps et de toutes les créatures et, pénétrant jusqu’au sein de l’éternité et de l’entendement divin, considérez avec quelle satisfaction le Père éternel contemplait dans son essence celle qu’il destinait pour Mère à son Fils unique ; et trouvant Dieu lui-même en ces délices, conjurez-le, en leur nom, de vous accorder la force dont vous avez besoin pour terrasser vos ennemis en général, et en particulier celui qui vous presse en ce moment de ses attaques. Passant ensuite à la considération des vertus sans nombre et des actions héroïques de cette Mère très sainte, présentez-les à Dieu toutes ensemble ou chacune en particulier, et demandez en leur nom à son infinie bonté les grâces qui vous sont nécessaires. Tournant ensuite votre pensée du côté de votre divin Sauveur, vous lui rappellerez ce sein virginal qui l’a porté durant neuf mois ; le respect avec lequel, après sa naissance, la Vierge très pure l’adora et le reconnut tout ensemble pour vrai homme et vrai Dieu, pour son Fils et son Créateur ; les sentiments de compassion qu’elle éprouvait en le voyant si pauvre, l’amour avec lequel elle le pressait sur son cœur, les baisers si doux qu’elle déposait sur ses lèvres divines, le lait dont elle le nourrit, les fatigues et les angoisses qu’elle soutint durant sa vie et à sa mort. En évoquant ces souvenirs, vous ferez au cœur de son Fils une douve violence pour l’amener à exaucer votre prière. Vous tournant enfin vers la très Sainte Vierge, dites-lui que la Providence et la bonté divine l’ont destinée de toute éternité à devenir la Mère de la grâce et de la miséricorde, et l’avocate des pécheurs ; et que, par conséquent, elle est, après son divin Fils, notre plus sûr et notre plus puissant refuge. Rappelez-lui encore cette parole écrite à son sujet et confirmée par tant de miracles, que jamais on ne l’a invoquée avec foi sans avoir ressenti les effets de sa miséricorde. Enfin, vous lui mettrez sous les yeux les tourments que Jésus-Christ a endurés pour notre salut, et vous la supplierez de vous obtenir, pour la gloire et la consolation de ce Fils si cher, la grâce de profiter de ses souffrances.

CHAPITRE XLIX

De quelques considérations qui doivent nous engager à recourir
avec foi et confiance à la Vierge Marie

Si vous voulez, dans vos nécessités, recourir avec foi et confiance à la Vierge Marie, voici quelques considérations qui vous seront d’un grand secours. Premièrement, l’expérience nous montre que les vases où il y a eu du musc ou du baume en retiennent le parfum, surtout si la substance odorante y a séjourné longtemps et s’il en reste quelque peu. Et cependant le musc et les parfums les plus précieux n’ont qu’une vertu limitée et finie. De même, encore, celui qui est demeuré près d’un grand feu en conserve la chaleur longtemps après s’en être éloigné. Cela étant, de quel feu de charité, de quels sentiments de clémence et de miséricorde ne doivent pas être embrasées et remplies les entrailles de cette Vierge incomparable qui a porté durant neuf mois dans son sein virginal, et qui porte encore dans son cœur et dans son amour celui qui est par essence charité, clémence et miséricorde, le Verbe incréé dont la vertu ne connaît ni bornes ni limites. De même qu’on ne peut approcher d’un grand feu sans participer à la chaleur qu’il dégage, ainsi et à plus forte raison encore, on ne peut approcher avec humilité et confiance du foyer de charité, de miséricorde et de clémence qui brûle sans cesse au cœur de la Vierge Marie, sans en recevoir une multitude de faveurs et de bienfaits précieux. Plus nous nous en approcherons souvent, plus notre confiance sera vive, et plus aussi seront abondantes les grâces que nous en retirons. Deuxièmement, jamais aucune créature n’eut autant d’amour pour Jésus-Christ, autant de soumission à sa volonté que sa très sainte Mère. Si donc ce divin Sauveur qui a souffert durant toute sa vie, qui s’est sacrifié tout entier pour le salut de pauvres pécheurs comme nous, si ce Sauveur, dis-je, nous a donné pour mère et avocate sa propre Mère, afin qu’elle nous vînt en aide et fût après lui la médiatrice de notre salut, comment comprendre jamais que cette Mère et cette avocate nous abandonne et devienne à ce point rebelle à la volonté de son Fils ? Recourez donc dans toutes vos nécessités à la Vierge, Mère de Dieu, avec une confiance sans bornes. Cette confiance sera pour vous un trésor inépuisable, un refuge assuré et une source intarissable de grâce et de miséricorde.

CHAPITRE L

Comment nous pouvons dans l’oraison nous aider du secours
et de l’intermédiaire des anges et des saints

Pour vous servir dans l’oraison du secours et de la protection des anges et des saints voici les deux moyens que vous pouvez prendre. Le premier, c’est de vous adresser au Père éternel, de lui représenter l’amour et les louanges dont l’honore toute la cour céleste ; les fatigues et les peines que les saints ont endurées sur la terre pour son amour ; et de conjurer en leur nom sa divine majesté de vous accorder les secours qui vous sont nécessaires. Le second moyen, c’est de recourir à ces esprits glorieux qui, non contents de désirer notre perfection, nous souhaitent une gloire plus élevée que celle dont ils jouissent dans le ciel ; vous les prierez donc instamment de vous aider à vaincre vos passions et à triompher de vos ennemis, et de vous défendre à l’article de la mort. Mettez-vous parfois aussi à considérer les grâces nombreuses et privilégiées qu’ils ont reçues du Créateur souverain ; excitez en votre cœur de vifs sentiments d’amour pour eux, et réjouissez-vous des dons que Dieu leur a prodigués, comme s’ils vous avaient été accordés. Réjouissez-vous même, si c’est possible, de ce que ces faveurs leur ont été accordées de préférence à vous-même, parce que telle a été la volonté de Dieu ; que ce soit là pour vous un motif de le louer et de le remercier. Pour pratiquer cet exercice avec méthode et facilité, vous pourrez partager les jours de la semaine entre les divins ordres des bienheureux et consacrer de la sorte :

 • Le dimanche aux neufs chœurs des anges.

 • Le lundi à saint Jean-Baptiste.

 • Le mardi aux patriarches et aux prophètes.

 • Le mercredi aux apôtres.

 • Le jeudi aux martyrs.

 • Le vendredi aux pontifes et aux autres saints.

 • Le samedi aux vierges et aux autres saintes.

Mais n’oubliez pas de recourir chaque jour à la Vierge Marie, Reine de tous les saints, à votre saint ange gardien, à saint Michel archange et à tous vos saints protecteurs. Chaque jour aussi, demandez à la Sainte Vierge, à son divin Fils et au Père éternel qu’ils daignent vous donner pour principal avocat et protecteur Saint Joseph, époux de Marie ; et vous adressant ensuite à ce grand saint, priez-le avec confiance de vous recevoir sous sa protection. Innombrables sont les merveilles que l’on rapporte avoir été opérées par cet illustre patriarche, et les faveurs signalées qu’en ont reçues tous ceux qui l’ont honoré et qui l’ont invoqué dans leurs nécessités spirituelles et temporelles. Il se plaît surtout à se faire le guide des personnes pieuses dans l’oraison et les exercices de la vie intérieure. Si Dieu honore tant les autres saints parce qu’ils l’ont servi et honoré en ce monde, de quelle considération et de quelle puissance ne doit pas jouir auprès de lui ce très humble et très glorieux patriarche qu’il a honoré lui-même sur la terre jusqu’à vouloir se soumettre à lui et lui obéir comme un fils obéit à son père.

CHAPITRE LI

Des diverses affections que nous pouvons tirer de la Passion de Jésus-Christ

Ce que j’ai dit plus haut touchant la Passion du Sauveur avait pour but de vous enseigner à prier et à méditer par voie de demande ; nous allons voir maintenant de quelle manière nous pouvons tirer du même sujet diverses affections pieuses. Vous vous proposez, je suppose, de méditer sur le crucifiement. Vous pouvez, entre autres circonstances de ce mystère, considérer celles qui suivent. Premièrement, comment les bourreaux arrivés au sommet du Calvaire dépouillèrent violemment le divin Sauveur et mirent en lambeaux sa chair virginale que le sang des blessures avait collée à ses vêtements. Secondement, comme on lui ôta sa couronne d’épines et comment, en la replaçant sur sa tête, on lui fit de nouvelles blessures. Troisièmement, comment on l’attacha à la croix à coups de marteaux, avec d’énormes clous. Quatrièmement, comment ces bourreaux cruels, voyant que les mains et les pieds n’arrivaient pas aux ouvertures destinées à recevoir les clous, les tirèrent si violemment que ses os disjoints pouvaient se compter un à un. Cinquièmement, comment, élevé sur cette croix où il n’était soutenu que par les clous, le Sauveur sentit ses plaies sacrées s’élargir avec d’incroyables tourments sous le poids de son corps. Si vous voulez par ces considérations, ou d’autres semblables, exciter des sentiments d’amour en votre cœur, efforcez-vous d’arriver par la méditation à une connaissance de plus en plus parfaite de la bonté infinie de votre Sauveur, et de l’amour qu’il vous a témoigné en voulant endurer pour vous de si cruelles souffrances ; car plus cette connaissance se perfectionnera en vous, plus aussi s’accroîtra votre amour. De la connaissance de la bonté et de l’amour infini que Jésus vous a témoignés, vous arriverez sans peine à concevoir une douleur profonde d’avoir si souvent et si indignement offensé un Dieu abreuvé d’outrages et de tortures en expiation de vos iniquités. Pour vous exciter à l’espérance, considérez que le Maître souverain de toutes choses a été réduit à cet excès de misère pour détruire le péché, vous délivrer des pièges du démon et expier vos fautes personnelles ; qu’il a voulu par là vous rendre propice son Père éternel et vous encourager à recourir à lui dans tous vos besoins. Votre douleur se convertira en joie si des souffrances du divin Sauveur vous passez à la considération des effets qu’elles ont produits, si vous songez que par sa Passion il a effacé les péchés du monde, apaisé le courroux de son Père, confondu le prince des ténèbres, détruit la mort et rempli les places laissées vides par les anges prévaricateurs. Votre bonheur s’accroîtra encor au souvenir de la joie que la Rédemption causa à la Sainte Trinité, à la Sainte Vierge, à l’Église triomphante et à l’Église militante. Pour vous exciter à la haine du péché, concentrez tous les points de votre méditation sur cette pensée unique que le Sauveur n’a tant souffert que pour vous faire haïr vos mauvaises inclinations, et principalement celle qui domine en vous et qui déplaît le plus à sa divine bonté. Pour éveiller en vous des sentiments d’admiration, considérez s’il est un prodige plus étonnant que de voir le Créateur de l’univers, l’auteur de la vie, persécuté jusqu’à la mort par ses créatures, de voir la majesté suprême avilie et foulée au pieds, la justice condamnée, la beauté suprême souillée de crachats, l’amour du Père céleste devenu un objet de haine, la lumière incréée et inaccessible tombée au pouvoir des ténèbres, la gloire et la félicité même regardée comme l’opprobre du genre humain et plongée dans un abîme de misères. Pour compatir aux douleurs de votre divin Maître, ne vous contentez pas de méditer ses souffrances corporelles mais scrutez par la pensée les peines incomparablement plus grandes qu’il a endurées dans son âme. Que si les premières vous touchent, comment les autres pourraient-elles ne pas vous fendre le cœur ? L’âme de Jésus-Christ voyait la divine essence comme elle la voit maintenant dans le ciel ; il la savait donc souverainement digne d’être honorée et servie ; et il désirait de toute l’ardeur de son amour pour elle voir toutes les créatures se consacrer sans réserve à son service. La voyant au contraire indignement outragée par les crimes sans hommes, il sentait son cœur transpercé de douleurs aiguës ; et ces tortures étaient d’autant plus atroces que son amour était plus grand, et plus ardent son désir de voir une si haute majesté honorée et servie par toutes les créatures. Et comme la grandeur de cet amour et de ce désir surpasse toute conception, personne ne parviendra jamais à comprendre combien furent cruelles et accablantes les souffrances intérieures de Jésus crucifié. De plus, comme il aimait tous les hommes plus qu’on ne saurait le dire, les péchés qui devaient les séparer de lui, lui causaient une douleur incroyable. Il voyait tous les péchés commis ou à commettre par tous les hommes qui ont été ou qui seront jamais, et à chaque péché qui passait sous ses yeux, il se sentait arracher une âme unie à la sienne par les liens de la charité. Cette séparation lui causait une douleur bien supérieure à celle que le corps ressent lorsqu’on disjoint ses membres, attendu que l’âme, étant un pur esprit, est d’une nature plus noble et plus parfaite que le corps, et partant plus susceptible de douleur. Parmi toutes les souffrances du Sauveur, il en est une qui lui fut particulièrement cruelle, c’est la souffrance qu’il éprouva en voyant les péchés des damnés et les tortures qu’ils auraient à souffrir éternellement pour s’être irrémédiablement séparés de lui. Si la vue de votre bien-aimé Jésus attendrit votre âme, pénétrez plus avant dans son cœur et considérez, pour vous exciter davantage encore à la compassion, les douleurs extrêmes qu’il a endurées non seulement pour les péchés qui ont été réellement commis, mais même pour ceux qui ne le furent jamais ; car il est hors de doute qu’il ne nous a préservé des uns, comme il n’a obtenu le pardon des autres, qu’au prix de ses précieuses souffrances. Vous trouverez, âme chrétienne, pour vous exciter à compatir aux douleurs de Jésus crucifié, bien d’autres considérations encore ; car, parmi toutes les souffrances qu’ait jamais endurées et qu’endurera jamais créature raisonnable, il n’en est aucune que le Sauveur n’ait éprouvée en lui-même. Injures, tentations, opprobres, austérités volontaires, angoisses et tourments de tout genre, Jésus-Christ a tout ressenti dans son âme, et plus vivement même que les hommes qui sont subi ces épreuves. Toutes les afflictions, grandes et petites spirituelles et corporelles, jusqu’au moindre mal de tête et à la moindre piqûre d’épingle, ce Maître charitable les a connues distinctement, et il a voulu, dans sa tendresse infinie, y compatir et les graver dans son cœur. Mais qui pourra jamais exprimer combien furent poignantes pour son Cœur les douleurs de sa très Sainte Mère ? Toutes les peines, toutes les tortures que le Sauveur endura, Marie les ressentit de la même manière et dans les mêmes vues ; et quoique ses tourments n’égalassent pas ceux de son Fils, ils étaient pour la Vierge d’une cruauté inouïe. Or, les douleurs de la Mère renouvelèrent les blessures intérieures du Fils et, comme autant de flèches embrasées, elles demeurèrent fixées dans ce cœur affectueux. Tant de tourments, et une infinité d’autres que nous ignorons, ne vous autorisent-ils pas à appeler ce cœur un enfer volontaire allumé par l’amour, selon l’énergique expression d’une âme dévote ? Si vous recherchez, âme chrétienne, la cause des souffrances sans bornes de Jésus crucifié, votre Maître et votre Rédempteur, vous n’en trouverez point d’autre que le péché. Concluez de là que la véritable compassion et la principale reconnaissance que le Sauveur demande de nous et que nous lui devons à tant de titres, c’est un regret sincère de nos fautes inspiré uniquement par notre amour pour lui, une horreur souveraine du péché et une généreuse ardeur à combattre nos ennemis et nos mauvaises inclinations afin que, dépouillés du vieil homme et de ses œuvres, nous nous revêtions de l’homme nouveau et ornions notre âme des vertus évangéliques.

CHAPITRE LII

Des fruits que nous pouvons retirer de la méditation de Jésus crucifié,
et de l’imitation de ses vertus

Cette sainte méditation procure de grands et nombreux avantages. Le premier fruit que vous en retirerez sera de regretter vos péchés passés et de vous affliger de voir vivre toujours dans votre cœur les passions déréglées qui ont attaché votre divin Maître à la croix. Le second, de lui demander le pardon de vos fautes et la grâce de vous haïr vous-même afin de mettre un terme à vos offenses et, en reconnaissance de tant de tourments endurés pour nous, ce que vous ne sauriez faire si vous n’êtes animé de cette haine salutaire. Le troisième, de vous mettre à l’œuvre tout de bon et de poursuivre à outrance jusqu’à vos moindres passions. Le quatrième, de vous efforcer d’imiter le plus parfaitement possible les vertus de notre divin Sauveur. S’il a tant souffert, ce n’est pas seulement pour nous racheter et expier nos iniquités, mais encore pour nous engager à marcher sur ses traces. Voici une matière de méditer qui vous sera à cet égard d’une grande utilité. Si, par exemple, vous voulez, pour imiter votre divin Maître, acquérir la vertu de patience, considérez les points suivants : Premièrement, ce que l’âme de Jésus souffrant fait pour Dieu ; deuxièmement, ce que Dieu fait pour l’âme de Jésus-Christ ; troisièmement, ce que l’âme de Jésus-Christ fait pour elle-même et pour son corps ; quatrièmement, ce que Jésus-Christ fait pour nous ; cinquièmement, ce que nous devons faire pour Jésus-Christ. Considérez donc premièrement comment l’âme de Jésus-Christ tout absorbée en Dieu contemple cette majesté infinie et incompressibilité devant laquelle toutes les choses créées ne sont que néant et demeure saisie d'étonnement en en la voyant s’abaisser, sans rien perdre néanmoins de sa gloire essentielle, jusqu’à souffrir les plus indignes traitements pour des hommes ingrats et rebelles ; et comment, à cette vue, elle adore et remercie Dieu et se dévoue sans réserve à son service. Deuxièmement, voyez ce que Dieu a fait à l’égard de l’âme de Jésus-Christ, avec quelles instances il la presse de souffrir pour nous les soufflets, les crachats, les blasphèmes, les fouets, les épines et la croix, en lui représentant combien il se plaît à la voir ainsi surchargée d’opprobres et d’afflictions. Troisièmement, revenez à l’âme de Jésus-Christ et considérez comment cette âme douée d’une intelligence toute de lumière qui lui découvre le plaisir extrême que Dieu prend à son sacrifice, et d’un amour tout de feu qui la porte à aimer sans mesure sa majesté souveraine, tant à cause de ses infinies perfections que pour les bienfaits immenses dont elle lui est redevable ; considérez, dis-je, comment cette âme accepte avec joie l’invitation que le Seigneur lui fait de souffrir pour notre amour et notre exemple, et comment elle s’empresse d’obéir à sa volonté sainte. Qui pourra jamais pénétrer la profondeur des désirs de cette âme si pure et si aimante ? Perdue comme dans un labyrinthe de souffrances, elle cherche des voies nouvelles, de nouveaux moyens de souffrir ; et, ne trouvant pas ce qu’elle cherche, elle s’abandonne librement elle-même avec sa chair innocente à la merci des hommes cruels et des esprits infernaux. Quatrièmement, représentez-vous votre divin Sauveur tournant vers vous un regard de miséricorde et vous adressant ces paroles : Vois, mon enfant, l’état déplorable auquel tu m’as réduit pour n’avoir pas su te faire un peu de violence à toi-même et à tes passions déréglées. Vois combien je souffre, et avec quelle joie je le fais par amour pour toi et pour te donner l’exemple de la patience. Ô mon enfant, je te conjure au nom de mes douleurs de porter de bon cœur cette croix, ou tout autre qu’il me plaira de t’envoyer, et de t’abandonner entièrement aux mains des persécuteurs, quel que soit leur acharnement à flétrir ton honneur et à tourmenter ton corps. Oh ! si tu savais la consolation que me donnera ta patience ! Juges-en par ces plaies que j’ai reçues comme autant de pierres précieuses, afin d’enrichir de vertus ta pauvre âme que j’aime infiniment plus que tu ne saurais le concevoir. Et si j’ai voulu pour toi être réduit à cette extrémité, pourquoi, ô mon épouse bien-aimée, ne voudrais-tu pas souffrir un peu pour contenter mon cœur et adoucir les plaies que m’a causées ton impatience, qui est pour moi un tourment plus amer encore que mes plaies elles-mêmes. Cinquièmement, considérez quel est celui qui vous parle de la sorte, et vous reconnaîtrez en lui le Roi de gloire, Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. Examinez la grandeur de ses tourments et de ses opprobres : ils sont tels qu’on n’oserait les infliger au plus infâme des voleurs. Voyez-le calme et immobile, que dis-je ? rayonnant de joie au milieu des souffrances comme l’époux au festin nuptial. Et comme quelques gouttes d’eau jetées sur un brasier rendent la flamme plus ardente, ainsi l’excès de ses tourments, trop légers toujours au gré de sa surabondante charité, ne faisait qu’accroître son bonheur et la soif insatiable de souffrances qui le consumait. Considérez que ce bon Maître a tout fait et tout souffert non par contrainte ou par intérêt mais, ainsi qu’il l’a déclaré lui-même, par amour pour nous et afin de vous apprendre, par son exemple, à pratiquer la vertu de patience. Vous pénétrant alors de sa volonté à votre égard et du plaisir qu’il prendra à vous voir pratiquer cette vertu, excitez en vous un désir ardent de supporter avec résignation et même avec joie la croix plus lourdes encore, afin de mieux imiter votre Dieu et de procurer plus consolations à son cœur. Jésus en croix, voilà le livre que je vous conseille de lire : vous y trouverez l’image fidèle de toutes les vertus. C’est le véritable livre de vie destiné non seulement à éclairer l’intelligence par ses enseignements, mais à enflammer la volonté par les exemples vivants qu’il met sous nos yeux. Le monde est rempli de livres, mais tous ces livres ensemble ne valent pas, pour enseigner la pratique de la vertu, un regard jeté sur le crucifix. Sachez-le bien, âme chrétienne, ceux qui emploient des heures entières à pleurer sur la Passion de Notre Seigneur et à admirer sa patience, et qui, dans les afflictions qui leur surviennent, sont aussi impatients que s’ils avaient, dans leur oraison, pensé à tout autre chose, ressemblent à des soldats qui, avant la bataille, sous la tente où ils sont assis, se promettent d’accomplir les plus brillants exploits et qui, à la vue de l’ennemi, jettent les armes et prennent la fuite. Qu’y a-t-il de plus insensé et de plus pitoyable à voir que ces chrétiens qui, après avoir contemplé comme dans un miroir éclatant les vertus du Sauveur, après les avoir aimées et admirées, les oublient ou n’en font plus aucune estime quand l’occasion se présente de les mettre en pratique?

CHAPITRE LIII

De l’adorable Sacrement de l’Eucharistie

Si vous vous en souvenez, j’ai travaillé jusqu’ici à vous munir des quatre armes nécessaires pour triompher de vos ennemis et à vous apprendre la manière de vous en servir. Il me reste maintenant à vous en proposer une autre, et c’est le très Saint Sacrement de l’Eucharistie. De même que cet adorable Sacrement surpasse en dignité tous les autres sacrements, de même aussi l’arme qu’il vous présente l’emporte en efficacité sur toutes les autres armes. Les quatre premières empruntent leur force aux mérites de Jésus-Christ et à la grâce qu’il nous a acquise au prix de son sang ; mais cette dernière, c’est le sang même du Sauveur, c’est son âme, c’est sa divinité. Avec celles-là nous luttons contre nos ennemis par la vertu de Jésus-Christ ; avec celle-ci nous les combattons en compagnie de Jésus-Christ, et Jésus-Christ les combat avec nous, puisque « celui qui mange la chair de Jésus-Christ et boit son sang, demeure en Jésus-Christ et Jésus-Christ en lui » (Jean, VI, 57). Et puisque l’on peut recevoir cet adorable Sacrement et se servir de cette arme de deux façons, sacramentellement une fois le jour, et spirituellement à toute heure, vous devrez faire la communion spirituelle le plus souvent possible, et recevoir la communion sacramentelle toutes fois que vous en aurez la permission.

CHAPITRE LIV

De la manière de recevoir le très Saint Sacrement de l’Eucharistie

Nous pouvons nous approcher de ce divin Sacrement pour plusieurs fins ; et pour arriver à ces fins, nous avons plusieurs choses à observer : avant la communion, au moment de la communion, après la communion. Avant de communier, quel que soit le motif qui nous engage à le faire, nous devons, si nous ne sommes pas en état de grâce, recourir au sacrement de pénitence, afin de laver et de purifier notre âme de la souillure du péché mortel. Nous devons ensuite nous offrir de tout cœur et sans réserve à Jésus-Christ, et lui consacrer notre âme avec toutes ses forces et ses puissances, puisqu’il nous donne lui-même en cet adorable Sacrement son sang, sa chair, son âme, sa divinité et ses mérites ; et comme ce que nous lui offrons est peu de chose et pour ainsi dire rien en comparaison de ce qu’il nous donne, nous devons souhaiter d’avoir tout ce que les créatures du ciel et de la terre lui ont jamais offert de plus agréable, afin d’en faire présent à sa divine majesté. Si vous voulez communier en vue de vaincre et de réduire à néant nos ennemis et les siens, commencez dès la veille au soir, ou le plus tôt que vous pourrez, à considérer le désir qu’a le Fils de Dieu d’entrer, par ce Sacrement, dans le sanctuaire de votre cœur, afin de s’unir à vous et de vous aider à dompter vos passions mauvaises. Ce désir est si grand, si ardent en Notre Seigneur, qu’aucune intelligence créée ne le saurait comprendre. Pour vous en former une idée, gravez profondément ces deux choses dans votre âme. L’une est le plaisir ineffable que ce Dieu si bon prend à demeurer avec nous ; ce sont là ses délices, nous dit-il lui-même au livre des Proverbes. L’autre est la haine infinie que Dieu porte au péché, tant à cause de l’obstacle qu’il met à l’union qu’il désire si ardemment contracter avec nous, qu’à cause de son opposition directe avec ses divines perfections. Étant lui-même un bien infini, une lumière toute pure, une beauté sans tache, il ne peut pas s’empêcher de haïr et de détester souverainement le péché qui n’est que ténèbres, malice et affreuse corruption. Cette haine est si ardente que toutes les œuvres opérées par Dieu dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, et particulièrement la Passion de son Fils bien-aimé, n’ont eu en vue que la destruction du péché. C’est au point que les serviteurs de Dieu les plus éclairés assurent que le Sauveur serait prêt encore à souffrir mille morts, si c’était nécessaire, pour effacer la moindre trace du péché dans notre âme. Quand ces deux considérations vous auront fait comprendre, quoique imparfaitement encore, combien Notre Seigneur désire entrer dans votre cœur pour en chasser ses ennemis et les vôtres, et les exterminer à jamais, vous exciterez en vous, dans le même but, un désir ardent de le recevoir. Sentant alors votre âme animée d’un saint zèle et fortifiée par l’espérance de la venue de votre céleste capitaine, provoquez coup sur coup au combat la passion que vous avez entreprise de vaincre, et réprimez-la par des mouvements réitérés de haine et des actes fréquents de la vertu contraire. Que ce soit là votre principale occupation la veille au soir, et le matin du jour où vous devez communier. Quand vous verrez approcher le moment de la communion, jetez un regard rapide sur les fautes dont vous vous êtes rendu coupable depuis la communion précédente, sur ces fautes que vous avez commises avec autant de liberté que si Dieu n’existait pas et n’avait pas enduré pour vous les tourments effroyables de sa Passion. Songez que vous avez préféré votre plaisir et vos caprices à la volonté et à l’honneur de Dieu, et pénétrez-vous des sentiments d’une confusion profonde et d’un saint effroi à la vue de votre ingratitude et de votre indignité. Venant ensuite à considérer que l’abîme immense de la bonté de votre Dieu appelle l’abîme de votre ingratitude et de votre infidélité, approchez-vous de lui avec confiance et ouvrez-lui bien large votre cœur, afin qu’il s’en rende le maître absolu. Pour lui faire une large place dans votre cœur, vous en bannirez toute affection terrestre, et puis vous le fermerez avec soin pour que rien n’y puisse entrer que votre divin Maître. Après la sainte communion, retirez-vous promptement dans le secret de votre cœur et, après avoir humblement adoré Notre Seigneur, dites-lui intérieurement : Vous soyez, ô mon unique bien, l’inclination violente que j’ai au péché, l’empire que cette passion exerce sur moi, et l’impuissance où je suis de lui résister. C’est donc à vous qu’il appartient de la combattre ; je dois sans doute combattre avec vous, mais c’est de vous que j’attends la victoire. Puis, vous adressant au Père éternel, offrez-lui en actions de grâces et pour obtenir la victoire sur vous-même, son Fils bien-aimé, qu’il vous a donné et que vous possédez au-dedans de vous ; prenez alors la résolution de lutter généreusement contre l’ennemi qui vous poursuit, et attendez la victoire avec la conviction que Dieu vous l’accordera infailliblement tôt ou tard si, de votre côté, vous faites ce qui est en votre pouvoir pour l’obtenir.

CHAPITRE LV

Comment nous devons nous préparer à la communion,
si nous voulons qu’elle nous excite à l’amour de Dieu

Si vous voulez que la sainte Eucharistie embrase votre cœur du feu de l’amour divin, pensez à l’amour que Dieu vous a témoigné. Dès la veille au soir, considérez que ce Seigneur si grand et si puissant ne s’est pas contenté de vous créer à son image et à sa ressemble et d’envoyer son Fils unique sur la terre afin qu’il y souffrît durant trente-trois ans en expiation de vos iniquités et qu’il endurât, pour votre salut, des tourments inouïes et la mort cruelle de la croix, mais que de plus il a voulu vous le laisser pour être votre nourriture et votre soutien dans le très saint Sacrement de l’autel. Examinez attentivement, en cet amour, les qualités éminentes qui le rendent à tous égards parfait et sans égal. Premièrement, si vous considérez sa durée, vous y reconnaîtrez un amour perpétuel, un amour sans commencement. Comme Dieu est éternel en sa divinité, ainsi l’est-il en son amour. C’est cet amour qui lui a fait prendre en lui-même, avant tous les siècles, la résolution de nous donner son Fils unique d’une manière si admirable. À cette pensée, vous vous écrierez dans les transports d’une sainte allégresse : Il est donc vrai qu’en cet abîme de l’éternité, ma bassesse était si chérie et si estimée de ce grand Dieu qu’il pensait à moi et désirait dans son ineffable charité me donner son Fils unique en nourriture ! Deuxièmement, tous les autres amours, si ardents qu’ils soient, ont des bornes qu’ils ne peuvent dépasser ; l’amour de Dieu seul est sans mesure. C’est pour satisfaire pleinement cet amour qu’il nous a donné son propre Fils, ce Fils unique qui l’égale en majesté et en perfection, qui a la même substance et nature que lui. Ainsi l’amour est aussi grand que le don, et le don aussi grand que l’amour, et l’un et l’autre sont tels qu’ils surpassent tout ce que l’intelligence peut imaginer de plus sublime. Troisièmement, Dieu dans son amour pour nous n’a cédé à aucune nécessité, à aucune contrainte ; c’est à sa bonté naturelle uniquement que nous devons ce gage ineffable de son affection pour nous. Quatrièmement, aucune œuvre, aucun mérite de notre part n’a pu engager ce Maître souverain à honorer notre bassesse d’un tel excès d’amour ; c’est par pure libéralité qu’il s’est donné à de pauvres créatures telles que nous. Cinquièmement, si vous examinez la pureté de cet amour, vous n’y verrez pas ce mélange d’intérêt qui se rencontre dans les amitiés mondaines. Le Seigneur n’a que faire de nos biens, puisqu’il jouit en lui-même et indépendamment de nous d’un bonheur et d’une gloire sans bornes ; et si, dans sa bonté et sa charité ineffables, il s’est abaissé vers nous, c’est notre avantage et non le sien qu’il a recherché. À cette pensée, vous vous direz en vous-même : Comment se peut-il qu’un Dieu infiniment grand mette son affection dans une si abjecte créature ? Que voulez-vous, ô Roi de gloire, qu’attendez-vous de moi qui ne suis qu’un peu de poussière ? Je vois parfaitement, ô mon Dieu, dans les splendeurs de votre ardente charité, que vous n’avez qu’un seul dessein, et cette vue me découvre plus clairement que jamais la pureté de votre amour : vous voulez, en vous donnant à moi en nourriture, me transformer en vous, non que vous ayez besoin de moi, mais parce que vous désirez que, vivant en vous, et vous en moi, je devienne par cette union amoureuse un autre vous-même, et que mon cœur si vil et si attaché aux choses de la terre ne fasse plus avec le vôtre qu’un cœur céleste et divin. Pénétré d’étonnement et de joie à la vue de l’estime et de l’amour dont Dieu vous honore, et persuadé que son amour tout-puissant n’a d’autre dessein, d’autre volonté que d’attirer à lui votre amour, en le détachant d’abord de toutes les créatures, et ensuite de vous-même qui êtes aussi une créature, offrez-vous tout entier en holocauste au Seigneur, afin que son amour seul et le désir de lui plaire dirigent votre entendement, votre volonté et votre mémoire, et règlent désormais l’usage de vos sens. Considérant ensuite que rien n’est capable de produire en vous ces fruits divins, comme la digne réception du très Saint Sacrement de l'autel, ouvrez au Seigneur le chemin de votre âme par les oraisons jaculatoires et les amoureuses aspirations qui suivent : Ô nourriture plus que céleste, quand viendra l'heure où, embrasé des seules flammes de votre amour, je me sacrifierai tout entier à vous ? Quand donc viendra cette heure, quand viendra-t-elle, ô amour incréé ? Ô manne céleste, quand sera-ce que, dégoûté de tout aliment terrestre, je ne soupirerai plus qu'après vous, je ne me nourrirai plus que de vous ? Quand sera-ce, ô douceur de mon âme, ô mon unique bien ? Je vous en conjure, ô mon très aimant et très puissant Seigneur, dégagez dès maintenant ce misérable cœur de toute attache, de toute passion coupable, et ornez-le de vos admirables vertus et de cette intention pure qui ne cherche en toute chose que votre bon plaisir ; alors je vous ouvrirai mon cœur, je vous inviterai, j'userai d'une douce violence pour vous contraindre d'y entrer ; et vous, Seigneur, vous opérerez en moi, sans rencontrer de résistance, les effets que vous avez toujours désiré y produire. Ce sont là les sentiments d'amour que vous entretiendrez dans votre âme le soir et le matin, afin de vous préparer à la communion. Quand approche le temps de communier, considérez quel est celui que vous allez recevoir. C'est le Fils de Dieu, celui dont la majesté souveraine fait trembler les cieux et toutes les vertus des cieux. C'est le Saint des saints, le miroir sans tache, la pureté incompréhensible, en comparaison de laquelle toute créature est souillée. C'est celui qui, devenu semblable à un ver de terre et confondu avec la lie du peuple, a voulu par amour pour vous être rebuté, foulé aux pieds, tourné en dérision, couvert de crachats et attaché à la croix par la malignité et l'injustice du monde. Vous allez, dis-je, recevoir ce Dieu qui tient dans sa main la vie et la mort de l'univers entier. Considérez d'un autre côté que de vous-même vous n'êtes rien, et que par le péché, vous vous êtes volontairement ravalé au-dessous des êtres les plus vils et les plus immondes, et rendu digne d'être à jamais l'opprobre et le jouet des esprits infernaux. Qu'au lieu de témoigner à Dieu votre reconnaissance pour les immenses et innombrables bienfaits qu'ils vous a accordés, vous avez, en suivant vos caprices et vos passions, méprisé ce Maître si grand et si plein d'amour, et foulé aux pieds son sang précieux. Que dans sa charité persévérante et son immuable bonté, il vous invite néanmoins à vous approcher de sa Table sainte, qu'il vous y oblige même sous peine de mort. Il ne vous refuse point l'accès de sa miséricorde, il ne se détourne point de vous, bien que par nature vous soyez couvert de lèpre, boiteux, hydropique, aveugle, possédé du démon, et que vous vous soyez livré à toutes les débauches. Tout ce qu'il demande de vous, c'est : Premièrement, que vous vous repentiez de l'avoir offensé. Deuxièmement, que vous haïssiez par-dessus toute chose le péché, mortel et véniel.` Troisièmement, que vous vous teniez étroitement uni à sa volonté sainte, par l'affection toujours, et par les effets quand il vous intimera ses ordres. Quatrièmement enfin, que vous espériez avec une ferme confiance qu'il vous pardonnera vos offenses, effacera vos souillures et vous défendra contre tous vos ennemis. Ainsi fortifié par la pensée de l'amour ineffable que vous porte votre divin Sauveur, vous vous approcherez de la Table sainte avec un respect mêlé de crainte et d'amour. Seigneur, lui direz-vous, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je vous ai si souvent et si grièvement offensé, et que je n'ai pas encore pleuré mes fautes comme je dois le faire. Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je ne suis pas pur de toute attache au péché véniel. Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je ne me suis pas encore donné sincèrement à votre amour, à votre volonté, et à l'entier accomplissement de vos ordres. Ô Dieu tout-puissant et infiniment bon, je vous en conjure au nom de votre bonté et de vos promesses, rendez-moi digne de vous recevoir avec foi et amour. Aussitôt après la communion, recueillez-vous dans le secret de votre cœur et, oubliant toute chose créée, entretenez-vous avec votre divin Sauveur en ces termes, ou autres semblables. Ô Roi du ciel, qui donc vous a fait descendre en moi qui ne suis qu'une créature misérable, pauvre, aveugle et dénuée de tout ? Et il vous répondra : C'est l'amour. Et vous lui répliquerez : Ô amour incréé, ô amour plein de charmes, que voulez-vous de moi ? Rien, dira-t-il, sinon l'amour. Je ne veux voir d'autre feu brûler sur l'autel de ton cœur, dans tes sacrifices et dans toutes tes œuvres, que le feu de mon amour ; qu'il consume en toi tout amour terrestre et toute volonté propre, et fasse monter jusqu'à moi le plus suave des parfums. C'est là ce que j'ai toujours demandé et que je demande encore, car mon désir est que je sois tout à toi, et que tu sois toi-même tout à moi ; et ce désir restera sans accomplissement aussi longtemps que, faute d'avoir fait cet acte de renoncement à toi-même qui m'est si agréable, tu demeureras attaché à ton amour-propre, à ton jugement, à tes volontés et au désir que tu as d'être estimé des hommes. Je demande de toi la haine de toi-même pour te donner mon amour, ton cœur pour l'unir à mon cœur qui a été ouvert sur la croix pour recevoir le tien ; je te requiers tout entier pour me donner tout entier à toi. Tu sais que je vaux incomparablement plus que toi, et néanmoins je consens dans ma bonté à ne pas m'estimer plus haut que toi. Achète-moi donc maintenant, ô âme bien-aimée, en te donnant à moi. Je veux que tu arrives à ne rien vouloir, ne rien penser, ne rien entendre, ne rien voir en dehors de moi et de ma volonté, afin qu'en toi ce soit moi qui veuille, pense, entende et voie ; et que ton néant ainsi absorbé dans l'abîme de ma grandeur infinie se convertisse en elle. De cette façon, tu seras pleinement heureuse en moi, et moi-même pleinement heureux en toi. Enfin, vous présenterez au Père éternel son Fils bien-aimé, pour le remercier du don qu'Il vous a fait et pour solliciter de sa bonté les grâces que vous désirez obtenir pour vous-même, pour la sainte Église, pour vos parents, pour vos bienfaiteurs et pour les âmes du purgatoire. Cette offrande, vous l'unirez à celle que Jésus-Christ fit de lui-même sur la croix, lorsqu'il s'offrit tout sanglant à son Père céleste. Vous pourrez lui offrir de même toutes les messes qui se célèbreront ce jours-là dans la sainte Église romaine.

CHAPITRE LVI

De la communion spirituelle

Bien qu'on ne puisse recevoir sacramentellement notre divin Sauveur plus d'une fois le jour, on peut, comme je l'ai dit, le recevoir spirituellement à chaque heure, à chaque instant ; cet avantage, rien ne peut nous le ravir, sinon votre négligence ou une faute quelconque dépendant de notre volonté. Il arrivera parfois que cette communion sera plus fructueuse et plus agréable à Dieu que ne le sont, faute de dispositions convenables, bon nombre de communions sacramentelles. Lors donc que vous serez disposé à faire la communion spirituelle, vous trouverez toujours le Fils de Dieu prêt à se donner à vous de ses propres mains, pour être la nourriture de votre âme. Pour vous y préparer, tournez votre pensée vers le Seigneur et, après avoir jeté un regard rapide sur vos fautes, exprimez-lui la douleur que vous en ressentez, et priez-le avec foi et humilité de daigner descendre dans votre pauvre âme pour la guérir et la fortifier contre ses ennemis. Quand vous vous ferez violence à vous-même pour mortifier une passion ou pratiquer un acte de vertu, faites-le dans le but de préparer votre cœur à Notre Seigneur qui vous le demande sans cesse. Vous tournant ensuite vers lui, conjurez-le instamment de venir avec sa grâce vous guérir de vos blessures et vous délivrer de vos ennemis, afin que désormais il soit seul à posséder votre cœur. Ou bien, rappelant à votre souvenir votre dernière communion sacramentelle, dites-lui avec un cœur embrasé : Quand donc, Seigneur, quand pourrai-je vous recevoir encore ? Cet heureux jour, quand viendra-t-il ? Si vous voulez faire la communion spirituelle avec plus de dévotion, disposez-vous-y dès le soir précédent en offrant à Dieu dans ce but toutes vos mortifications, tous vos actes de vertu, toutes vos bonnes œuvres. Et le matin de bonne heure, considérez quel avantage et quel bonheur c'est pour une âme de recevoir dignement le Saint Sacrement de l'autel, puisque par là elle recouvre les vertus perdues, reprend sa beauté première et participe aux fruits et aux mérites de la Passion du Fils de Dieu ; songez combien Dieu lui-même désire que nous le recevions et que nous possédions tous ces biens ; et efforcez-vous d'allumer en votre cœur un grand désir de le recevoir, pour vous rendre agréable à ses yeux. Enflammé de ce désir, tournez-vous vers lui et dites-lui : Puisqu'il ne m'est pas donné de vous recevoir aujourd'hui sacramentellement, faites, ô bonté, ô puissance infinie, que purifie de mes fautes et guéri de mes blessures, je vous reçoive spirituellement maintenant, chaque jour et à chaque heure du jour, et que j'obtienne ainsi des grâces et des forces nouvelles pour triompher de tous mes ennemis, de celui surtout que je combats actuellement en vue de vous plaire.

CHAPITRE LVII

De l'action de grâces

Puisque tout ce que nous avons et faisons de bien est à Dieu et vient de Dieu, nous sommes tenus de le remercier de toutes les vertus que nous pratiquons, de toutes les victoires que nous remportons sur nous-mêmes et de tous les bienfaits, soit généraux soit particuliers, que nous recevons de sa main miséricordieuse. Pour nous acquitter convenablement de ce devoir nous devons considérer la fin que Dieu se propose en nous communiquant ses dons. Cette considération nous apprendra la manière dont le Seigneur veut être remercié. Comme, dans tous les bienfaits qu'il accorde, Dieu a principalement en vue d'accroître sa gloire et de nous attirer à son amour et à son service, faites d'abord cette réflexion en vous-même : Quelle preuve de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu, que ce bienfait qu'il m'a accordé, cette grâce qu'il m'a faite ! Puis, voyant que de vous-même vous n'avez rien qui mérite les faveurs de Dieu, et qu'en vous au contraire tout est démérite et ingratitude, vous direz à Dieu avec une humilité profonde : Comment daignez-vous regarder et combler de vos bienfaits une créature aussi vile que moi ? Que votre nom soit béni dans les siècles des siècles ! Considérant enfin que Dieu vous accorde ces bienfaits pour vous exciter à l'aimer et à le servir, allumez en votre âme un ardent amour pour ce Dieu si aimant, et un désir sincère de le servir en tout conformément à sa sainte volonté. Vous ferez alors une entière offrande de vous-même au Seigneur, de la manière que nous allons dire.

CHAPITRE LVIII

De l'offrande de soi-même à Dieu

Pour que cette offrande soit entièrement agréable à Dieu, nous avons deux choses à faire : la première, unir cette offrande à celle que Jésus-Christ a faite à son Père ; la seconde dégager notre volonté de toute attache aux créature. Pour la première, vous devez savoir que le Fils de Dieu, lorsqu'il vivait en cette vallée de larmes, ne se contentait pas de s'offrir lui-même avec ses œuvres à son Père céleste, mais qu'il lui offrait en même temps notre personne et nos œuvres. Notre offrande doit donc se faire en union avec la sienne et s'appuyer entièrement sur elle. Pour la seconde, voyez, avant de vous offrir au Seigneur, si votre volonté est entièrement détachée des créatures : et, si elle ne l'est pas, débarrassez-la d'abord de ses liens ; pour cela, recourez à Dieu et demandez-lui de briser lui-même vos entraves, afin que vous puissiez vous offrir à se divine majesté, dégagé et libre de toute affection terrestre. Ce point mérite toute votre attention ; car lorsque vous offrez à Dieu un cœur attaché aux créatures, ce n'est pas votre bien que vous offrez à Dieu, mais le bien des autres, puisque ce n'est plus à vous-même que vous appartenez, mais bien aux créatures à qui vous avez attaché votre volonté. Un semblable présent est plutôt une moquerie et elle ne peut que déplaire au Seigneur. De là vient que l'offrande que nous faisons de nous-mêmes au Seigneur ne produit en nous aucun fruit de vertu, et même qu'elle nous fait tomber en beaucoup d'imperfections et de fautes. Nous pouvons, il est vrai, nous offrir à Dieu alors même que nous sommes attachés aux créatures, mais c'est à la condition de demander à Dieu qu'il daigne briser nos liens, pour que nous puissions ensuite nous dévouer tout entiers au service de sa divine majesté ; ce qu'il faut faire souvent et avec beaucoup de ferveur. Que votre offrande soit donc pure de toute affection étrangère et de tout attachement à votre volonté propre. Ne considérez ni les biens de la terre, ni ceux du Ciel ; n'envisagez que la volonté et la Providence de Dieu, à laquelle vous devez vous soumettre sans réserve et vous sacrifier en perpétuel holocauste ; et oubliant toutes les choses créées, dites-lui : Voici, ô mon Dieu et mon Créateur, que je remets ma personne et ma volonté tout entière entre les mains de votre éternelle Providence ; faites de moi tout ce qui vous plaira durant ma vie, la mort et après ma mort, dans le temps et dans l'éternité. Si en parlant ainsi, vous parlez sincèrement (et vous vous en apercevrez au temps de l'adversité), de terrestre que vous êtes vous deviendrez tout spirituel, et vous ferez avec Dieu un échange à jamais heureux : vous serez à Dieu et Dieu sera à vous, car il est toujours à ceux qui se détachent des créatures et d'eux-mêmes pour se donner à lui et se sacrifier à sa divine majesté. Vous voyez donc, âme chrétienne, un moyen très puissant de vaincre tous vos ennemis ; car si par l'offrande de vous-même à Dieu vous vous unissez à lui de manière à être tout à lui de manière à être tout à lui et lui tout à vous, quel ennemi sera capable de vous nuire ? Et lorsque vous voudrez lui offrir des jeûnes, des oraisons, des actes de patience et autres bonnes œuvres, rappelez-vous les jeûnes, les oraisons et toutes les actions que Jésus-Christ offrait à son Père, mettez votre confiance en leur mérite et leur vertu, et offrez-lui ensuite les vôtres. Si vous voulez offrir au Père céleste les actions de Jésus-Christ en satisfaction de vos offenses, voici la méthode que je conseille de suivre. Faites une revue générale, et parfois même détaillée, des égarements de votre vie et, convaincu que de vous-même vous ne pouvez apaiser la colère de Dieu, ni satisfaire à sa justice, recourez à la vie et à la Passion de son Fils. Considérez-le dans une circonstance quelconque de sa vie. Voyez-le, par exemple, prier et jeûner, souffrir et répandre son sang, afin de vous réconcilier avec lui et de payer la dette contractée par vos péchés. Ô Père éternel, dit-il, voilà que, pour être fidèle à vos ordres, je satisfais surabondamment à votre justice pour les péchés et les dettes de N... Que votre divine majesté daigne lui pardonner et l'admettre au nombre des élus. Présentez alors pour vous-même au Père céleste l'offrande et les prières de son divin Fils, et conjurez-le, par leur mérite, de vous remettre vos offenses. Vous pourrez suivre cette méthode, que vous passiez d'un mystère à l'autre ou que vous parcouriez les différentes circonstances d'un même mystère ; que vous priiez pour vous-même ou que vous priiez pour d'autres.

CHAPITRE LIX

La dévotion sensible et la sécheresse spirituelle

La dévotion sensible procède tantôt de la nature, tantôt du démon, tantôt de la grâce. Vous en reconnaîtrez l'origine aux fruits qu'elle produira. Si elle ne rend pas votre vie meilleure, vous avez sujet de craindre qu'elle ne vienne du démon ou de la nature ; et cette crainte sera d'autant plus fondée que vous prendrez plus de goût et de plaisir à cette dévotion, que vous vous y attachez davantage et qu'elle vous donnera une plus grande estime de vous-même. Lorsque vous sentirez les consolations spirituelles abonder en votre âme, ne vous amusez point à examiner quel en peut être le principe ; gardez-vous de mettre en elles votre confiance et de perdre de vue la connaissance de votre néant ; mais, redoublant de vigilance et de haine à l'égard de vous-même, efforcez-vous vous de tenir votre cœur libre de tout attachement, même spirituel, et de ne désirer que Dieu seul et son bon plaisir. De cette manière, la douceur que vous ressentez, dût-elle son origine à l'action de la nature ou du démon, deviendra un effet de la grâce. La sécheresse spirituelle peut procéder pareillement des trois principes que nous venons de mentionner : - Du démon qui espère par là nous porter au relâchement et nous faire abandonner les exercices spirituels pour les amusements et les plaisirs du monde ; - De nous-mêmes, qui y donnons lieu par nos fautes, notre attachement aux choses de la terre et notre négligence ; - De l’Esprit Saint, qui nous envoie cette épreuve, soit pour nous avertir d'être plus diligents à nous détacher de tout ce qui n'est pas Dieu ou qui ne tend pas à lui ; soit pour nous convaincre, par notre propre expérience, que tout ce qu'il y a de bien en nous vient de Dieu ; soit pour nous faire estimer davantage les dons du Ciel et nous les faire garder avec plus d'humilité et de vigilance ; soit pour nous unir plus étroitement à sa divine majesté, en nous faisant renoncer à tout, même aux délices spirituelles, de peur que les aimant trop nous ne leur donnions une part de ce cœur que le Seigneur veut tout entier pour lui ; soit enfin parce qu'il se plaît, pour notre bien, à nous voir combattre de toutes nos forces et mettre sa grâce à profit. Lors donc que vous sentirez cette sécheresse spirituelle, rentrez en vous-même, examinez quel est le défaut qui vous a fait perdre, non pour recouvrer les consolations de la grâce, mais pour bannir de votre âme tout ce qui déplaît aux yeux de Dieu. Si vous ne découvrez pas en vous ce défaut, efforcez-vous d'acquérir, au lieu de la dévotion sensible, la dévotion véritable qui consiste dans une prompte résignation à la volonté de Dieu. Gardez-vous bien surtout d'abandonner vos exercices spirituels ; employez au contraire toute votre énergie à les continuer, quelque infructueux et insipides qu'ils vous paraissent, et acceptez de bon cœur le calice d'amertume que vous présente l'amoureuse volonté de Dieu. Et si la sécheresse est accompagnée de tant et de si épaisses ténèbres spirituelles que vous ne sachiez où vous tourner, ni quel parti prendre, ne vous découragez moins pour cela, mais demeurez fermement attaché à la croix, ne recherchez point les consolations terrestres, repoussez-les même, si le monde et les créatures venaient vous les offrir. Que tous ignorent vos peines, hormis votre père spirituel à qui vous les découvrirez, non pour les alléger, mais pour apprendre de lui le moyen de les supporter conformément au bon plaisir de Dieu. Ne faites point vos communions, vos prières et vos exercices spirituels pour obtenir de Dieu qu'il vous détache de la croix, mais bien pour acquérir la force dont vous avez besoin pour la porter à la plus grande gloire de Jésus crucifié. Que si le trouble de votre âme vous empêche de méditer et de prier comme vous le souhaiteriez, méditez le moins mal que vous pourrez. Ce que vous ne pouvez faire par l'intelligence, efforcez-vous de le faire par la volonté ; servez-vous de la prière, vous adressant tantôt à vous-même, tantôt à votre divin Maître. Vous en retirerez des fruits merveilleux ; et votre cœur pourra respirer et reprendre des forces. Dites à votre âme : Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi troubles-tu ? Mets en Dieu, ton espérance, car je le louerai encore : il est le salut de mon visage, il est mon Dieu (Ps., XLI, 8). Pourquoi, Seigneur, vous êtes-vous retiré de moi, et dédaignez-vous de me regarder au temps de ma détresse et de ma tribulation ? (Ps.,X, Heb., I). Ne m’abandonnez pas pour toujours (Ps., CXVIII, 8). Rappelez-vous la doctrine consolante que Dieu révéla à Sara, femme de Tobie, au temps de sa tribulation ; mettrez-la à profit et dites de vive voix avec cette servante bien-aimée du Seigneur : Quiconque vous honore à la certitude que si sa vie est éprouvée, elle sera couronnée ; que si elle est dans la tribulations, elle en sera délivrée ; que si elle est châtiée, elle obtiendra miséricorde. Car vous ne prenez point plaisir à nos tribulations ; mais après la tempête, vous rendez le calme, et après les larmes et les soupirs, vous répandez l’allégresse. Ô Dieu d’Israël, que votre nom soit béni dans tous les siècles (Tobie, III, 21, 22, 23). Rappelez-vous à quel excès de douleur Jésus se vit abandonné, dans le jardin et sur la croix, par son Père céleste lui-même ; et portant votre croix a son exemple, vous direz de tout cœur : Que votre volonté soit faite. Si vous agissez de la sorte, la patience et l’oraison élèveront la flamme de votre sacrifice jusqu’au trône de Dieu, et vous acquerrez la vraie dévotion. Cette dévotion, comme je l’ai dit plus haut, consiste à avoir la ferme volonté de suivre, sans hésiter et la croix sur les épaules, notre divin Sauveur, en quelque lieu qu’il nous appelle et nous conduise ; elle consiste à aimer Dieu pour lui-même, et parfois aussi à quitter Dieu pour Dieu. Si les personnes qui font profession de piété, et les femmes principalement, mesuraient leurs progrès à leur résignation plutôt qu’à leur dévotion sensible, elles ne seraient pas victimes de leurs illusions et des artifices du démon ; elles ne se ingratitude, du bienfait signalé que le Seigneur leur accorde et elles s’appliqueraient avec plus de ferveur à servir sa divine majesté qui dispose ou permet tout ce qui nous arrive pour sa gloire et notre avantage. Voici encore une illusion commune chez les personnes du sexe, chez celles mêmes qui s’éloignent avec crainte et prudence des occasions dangereuses. Parce qu’elles sont tourmentées de pensées impures et horribles, parfois, perdent courage et se croient abandonnées et repoussées de Dieu ; il leur semble impossible que l’Esprit Saint demeure dans une âme remplie de semblables pensées. Leur abattement devient tel parfois qu’elles sont sur le point de se laisser aller au désespoir et d’abandonner leurs exercices spirituels pour retourner en la terre d’Egypte. Elles ne savent pas apprécier le don Seigneur et comprendre que, si Dieu permet qu’elles soient assaillies de ces horribles fantômes, c’est afin de les ramener à la connaissance d’elles-mêmes et de les forcer, par le sentiment de leur impuissance, à s’approcher de lui. Faute de comprendre les vues de Dieu à leur égard, elles se plaignent amèrement de ce qui devrait être pour elles l’objet d’une reconnaissance sans bornes envers la bonté infinie du Seigneur. Ce que vous avez à faire en ces occasions, c’est de considérer attentivement les inclinations perverses de votre nature. Dieu veut, dans votre intérêt, que vous sachiez combien ces inclinations sont promptes à vous entraîner au mal, et dans quel abîme elles vous précipiteraient, s’il ne venait à votre secours. Excitez-vous ensuite à la confiance en Dieu ; persuadez-vous bien que, s’il vous découvre le péril, c’est qu’il est prêt à vous venir en aide ; que son désir est de vous attirer et de vous unir plus étroitement à lui par la prière et l’invocation de son nom ; que, partant, vous lui devez d’humbles actions de grâces. Tenez pour assuré que ces tentations et ces pensées mauvaises se dissipent mieux par la souffrance paisible de la peine qu’elles vous causent et par une adroite fuite, que par une résistance pleine d’inquiétudes.

CHAPITRE LX

De l’examen de conscience

Dans l’examen de conscience, il y a trois choses à considérer : les fautes commises pendant la journée, leur cause, le courage et l’ardeur que vous apportez à les combattre et à acquérir les vertus contraires. Quant aux fautes commises, vous ferez ce que j’ai dit au chapitre XXVI, où j’ai parlé de ce qu’il y a faire, lorsqu’on se sent blessé. Pour ce qui est de la cause de vos chutes, vous tâcherez de l’abattre et de la réduire à néant. Pour arriver à ce but, et tout ensemble pour acquérir les vertus chrétiennes, vous fortifierez votre volonté par la défiance de vous-même, par la confiance en Dieu, par l’oraison, par une application soutenue à vous exciter à la haine du vice et au désir de la vertu contraire. Tenez pour suspectes les victoires que vous avez gagnées et les bonnes œuvres que vous avez accomplies. Je vous conseille même de ne pas trop y arrêter votre pensée, pour ne pas vous exposer au danger presque inévitable de vous laisser entraîner à un secret mouvement de vaine gloire et d’orgueil. Abandonnez-les plutôt entre les mains de la divine miséricorde, et oubliant ce qui est derrière vous, tournez votre regard vers le chemin beaucoup plus long qui vous reste à parcourir. Quant aux actions de grâces à rendre au Seigneur pour les dons et les faveurs qu’il vous a accordés durant le jour, reconnaissez qu’il est accordés durant le jour, reconnaissez qu’il est l’auteur de tout bien ; remerciez-le de vous avoir délivré de tant d’ennemis visibles et invisibles ; et de vous avoir donné des pensées salutaires, des occasions de pratiquer la vertu et tant d’autres bienfaits que vous ne connaissez point.

CHAPITRE LXI

Comment nous devons persévérer dans la lutte
et combattre jusqu’à la mort

Entre les conditions requises pour réussir en ce combat, il faut ranger la persévérance. Nous devons nous attacher à mortifier sans relâche nos passions déréglées, parce qu’elles ne meurent jamais, tant que nous sommes sur la terre, et qu’elles germent incessamment comme de mauvaises herbes. C’est en vain qu’on voudrait fuir le combat : il ne finit qu’avec la vie, et quiconque refuse la lutte est nécessairement fait prisonnier ou mis à mort. De plus, nous avons affaire à des ennemis qui nous portent une haine implacable ; nous ne pouvons en espérer ni paix ni trêve, car ils sont d’autant plus acharnés à notre perte que nous recherchons davantage leur amitié. Vous ne devez pourtant vous épouvanter ni de leur puissance, ni de leur nombre : car, en ce combat, n’est vaincu que celui qui veut l’être. Toute la force de nos ennemis est entre les mains du divin capitaine pour l’honneur duquel nous combattons. Non seulement il ne permettra pas que vous tombiez entre leurs mains, mais il prendra lui-même les armes ; et comme il est plus puissant que tous vos adversaires, il vous mettra la victoire entre les mains, pourvu toutefois que vous combattiez courageusement à ses côtés, et que vous mettiez votre confiance, non en vous-même, mais en sa puissance et en sa bonté. Et si le Seigneur tarde à vous donner la victoire, ne perdez pas courage. Songez, pour vous animer au combat, que les obstacles que vous rencontrerez, que toutes les circonstances les plus défavorables et les plus désastreuses en apparence, il les fera tourner à votre profit et à votre avantage, du moment que vous vous comportez en soldat fidèle et généreux. Marchez donc à la suite de votre céleste capitaine qui a vaincu le monde et a été mis à mort pour vous ; soutenez la lutte avec un cœur magnanime, et poursuivez-la jusqu’à l’entière destruction de vos ennemis ; car si vous en laissiez vivre un seul, ce serait là pour vous comme une paille dans l’œil ou comme une lance au côté qui vous empêcherait de courir à une si glorieuse victoire.

CHAPITRE LXII

De la résistance à opposer aux ennemis qui nous attaquent,
au moment de la mort

Quoique toute notre vie soit ici-bas une guerre continuelle, la journée la plus importante et la plus périlleuse est celle où il nous faudra faire le grand passage du monde à l’éternité. Celui qui tombe en ce moment ne se relève plus. Le moyen à prendre pour vous trouver à cette heure dans de bonnes dispositions, c’est d’employer le temps que Dieu vous accorde à combattre vaillamment. Celui, en effet, qui combat bien durant la vie se prépare, par l’habitude acquise de la victoire, un triomphe facile à l’heure de la mort. De plus, pensez souvent à la mort, considérez-la d’un œil attentif ; c’est le moyen de la craindre moins, lorsqu’elle se présentera, et d’avoir alors l’esprit libre et prêt au combat. Les gens du monde évitent cette pensée pour ne pas interrompre le plaisir qu’ils prennent aux choses de la terre : attachés de devoir les quitter un jour serait un tourment pour eux. C’est ainsi que leur affection désordonnée, bien loin de diminuer, va toujours croissant ; et lorsque arrive pour eux le moment de dire adieu à cette vie et à tant d’objets chers à leur cœur, ils sont en proie à un tourment incroyable et d’autant plus horrible qu’ils ont joui plus longtemps des biens qu’ils vont quitter. Parfois aussi pour mieux vous préparer à ce moment terrible, représentez-vous seul et sans secours parmi les douleurs de la mort, et considérez les choses que je vais dire et qui pourraient alors vous tourmenter. Puis vous entretiendrez votre pensée des remèdes que je vais vous proposer, afin de vous mettre à même de mieux vous en servir à cette heure de suprême angoisse ; car il faut nécessairement apprendre à bien faire une chose qu’on ne peut faire qu’une fois, de peur de commettre une faute à jamais irréparable.

CHAPITRE LXIII

Des quatre assauts que nos ennemis nous livrent à l’heure de la mort,
et premièrement de la tentation contre la foi et de la manière d’y résister

Parmi les assauts que nos ennemis nous livrent à l’article de la mort, il y en a quatre qui sont particulièrement dangereux. Ce sont : la tentation contre la foi le désespoir, la vaine gloire, et enfin les diverses illusions dont ces esprits de ténèbres, transfigurés en anges de lumière, se servent pour nous tromper. Pour ce qui regarde le premier assaut, si l’ennemi emploie pour vous tenter des raisonnements faux et captieux, laissez là votre intelligence, et recourez à la volonté, en disant : Retire-toi, Satan, père du mensonge ; je ne veux pas même t’écouter : il me suffit de croire ce que croit la sainte Église romaine. Fermez, autant que possible, l’entrée de votre âme à toute considération sur la foi, vous semblât-elle de nature à fortifier en vous cette vertu ; regardez-la comme un moyen dont le démon se sert pour engager la discussion. Si vous n’êtes plus en état de vous défaire de ces pensées, demeurez ferme et ne croyez rien aux raisons que l’ennemi vous allèguera, non plus qu’aux textes de la sainte Écriture qu’il apportera à l’appui de ses insinuations : quelque clairs et décisifs que ces textes vous paraissent, soyez certain qu’ils sont tous tronqués, mal cités et mal interprétés. Et si le serpent rusé vous demande ce que croit la sainte Église, ne répondez pas ; mais, sachant qu’il veut vous surprendre et abuser de vos paroles, contentez-vous de faire intérieurement un acte de foi vive ; ou, si vous voulez le faire dépiter davantage, répondez-lui que la sainte Église romaine croit la vérité. Et s’il vous demande quelle est cette vérité, répliquez-lui : C’est précisément ce que croit l’Église. Par-dessus tout, tenez votre cœur attaché à Jésus crucifié et dites-lui : Ô mon Dieu, mon Créateur et mon Sauveur, venez promptement à mon secours et ne vous éloignez pas de moi, afin que je ne m’écarte pas de la vérité de la foi catholique ; et puisque vous m’avez accordé la grâce de naître dans cette foi sainte, faites que j’y finisse mes jours pour votre plus grande gloire.

CHAPITRE LXIV

De l’assaut du désespoir et de la manière de s’en défendre

Le second assaut au moyen duquel le malin esprit cherche à nous abattre sans retour, c’est l’épouvante qu’il suscite en nous au souvenir de nos péchés, afin de nous précipiter dans l’abîme du désespoir. Dans ce danger, prenez pour règle infaillible que la pensée de vos péchés vient de la grâce et qu’elle vous est accordée pour votre salut, lorsqu’elle produit en vous des sentiments d’humilité, de repentir de vos péchés et de confiance en la bonté divine. Mais lorsque cette pensée vous jette dans l’inquiétude, la défiance et la pusillanimité, portât-elle sur des choses vraies et capables de faire croire que vous êtes damné et qu’il n’y a plus pour vous de salut à espérer, regardez-la comme un artifice du démon, humiliez-vous et redoublez de confiance en Dieu. C’est le moyen de vaincre votre ennemi avec ses propres armes et de rendre gloire à Dieu. Excitez-vous, je le veux bien, au repentir de vos péchés toutes les fois qu’ils vous reviendront à la mémoire, mais que ce soit pour en demander pardon au Seigneur avec une confiance sans bornes dans les mérites de sa Passion. Je suppose même que vous croyiez entendre Dieu vous dire au fond du cœur que vous n’êtes point du nombre de ses élus, ce n’est pas une raison pour rien perdre de votre confiance en lui. Dites-lui plutôt avec un sentiment profond d’humilité : Vous avez bien sujet de me réprouver à cause de mes péchés, mais j’ai plus de sujet encore d’espérer que votre miséricorde me les pardonnera. J’espère donc le salut d’une misérable créature vouée à la damnation par sa propre malice, mais aussi rachetée au prix de votre sang adorable. Je veux me sauver pour votre gloire, ô mon Rédempteur, et confiant en votre miséricorde infinie, je m’abandonne entre vos mains. Faites de moi ce qu’il vous plaira, pourvu que vous soyez mon unique maître : quand vous me tueriez, je ne laisserais pas d’avoir en vous une inébranlable confiance.

CHAPITRE LXV

De l’assaut de la vaine gloire

Le troisième assaut, c’est celui de la vaine gloire et de la présomption. Sous ce rapport, veillez à ne pas vous laisser entraîner, sous quelque prétexte que ce soit, au moindre mouvement de complaisance en vous-même ou en vos actions ; glorifiez-vous uniquement dans le Seigneur, dans sa miséricorde, dans les mérites de sa vie et de sa Passion. Humiliez-vous de plus en plus à vos propres yeux jusqu’à votre dernier soupir ; et si vos bonnes œuvres vous reviennent à la mémoire, reconnaissez que c’est Dieu qui en est l’auteur. Implorez son secours, mais ne l’attendez point de vos mérites, si nombreuses et si éclatantes qu’aient été vos victoires. Tenez-vous toujours dans une crainte salutaire, et confessant ingénument que toutes vos œuvres seraient inutiles si Dieu ne vous recueillait à l’ombre de ses ailes, vous vous confierez uniquement en sa protection. Si vous suivez fidèlement ces avis, vos ennemis ne pourront prévaloir contre vous ; et vous vous ouvrirez ainsi le chemin pour passer joyeusement à la Jérusalem céleste.

CHAPITRE LXVI

De l’assaut des illusions et des fausses apparences, à l’article de la mort

Si l’ennemi qui s’acharne à notre perte avec une activité que rien ne lasse se transforme en ange de lumière pour vous assaillir de vaines illusions, demeurez ferme et immobile dans la connaissance de votre néant, et dites-lui hardiment : Retourne, malheureux, dans les ténèbres d’où tu es sorti ; je ne mérite pas d’être favorisé de visions célestes ; je n’ai besoin que de la miséricorde de mon Jésus et des prières de la Vierge Marie, de Saint Joseph et des autres saints. Eussiez-vous les meilleurs motifs de croire que ces visions vous viennent du Ciel, gardez-vous d’y ajouter foi ; rejetez-les bien loin de vous. Cette résistance fondée sur le sentiment de votre indignité ne saurait déplaire au Seigneur. Si c’est lui qui agit en vous, il saura bien rendre son action évidente à vos yeux ; et vous n’y perdrez rien, car celui qui donne sa grâce aux humbles ne la retire point, quelques actes d’humilité qu’ils posent. Voilà les armes dont notre ennemi se sert généralement contre nous, à ce moment suprême. En outre, il nous tente chacun en particulier d’après les inclinations auxquelles il sait que nous sommes plus sujets. C’est pourquoi nous devons, avant l’approche du grand combat, nous armer et lutter vaillamment contre les passions qui nous attaquent avec plus de violence et qui exercent sur nous un plus grand empire, afin de remporter plus facilement la victoire à ce moment suprême qui ne laisse plus d’autre moment après lui, pour le pouvoir faire encore. « Vous combattrez contre eux jusqu’à leur complète destruction » (I Rois, XIV, 18).

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Lorenzo Scupoli (1530 - 1610).
Né à Otrante (Italie).
Théatin. – Le Combat spirituel (livre recommandé à la lecture par Saint François de Sales).

 

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