

Castelnuovo, Châteauneuf en
français, est situé à une vingtaine de kilomètres à l’est de Turin.
Jean-Melchior Bosco naquit
dans
le hameau de Muriado, au lieu-dit Les Becchi. Son père, François-Louis Bosco se
plaçait comme ouvrier agricole, car le petit terrain qu’il possédait ne
suffisait pas pour nourrir six personnes: lui-même, un fils de douze ans,
Antoine, né de sa première femme, décédée, sa vieille mère, son épouse,
Marguerite, et deux autres garçons nés de Marguerite: Joseph et Jean. La famille
était modeste, mais heureuse.
En mai 1817, le père de famille
mourut subitement d’une pneumonie, laissant sa veuve, Marguerite éduquer ses
trois enfants: Antoine, qui allait, très vite, s'occuper de la ferme avec sa
mère; le second, Joseph n’avait que 4 ans, et le petit Jean, né en août 1815,
n’avait pas deux ans. Maman Marguerite devint le chef de famille. C’était une
femme sans culture, ne sachant ni lire, ni écrire, mais elle aimait Dieu et
savait par cœur son catéchisme; elle apprit elle-même les prières du
chrétien à ses trois enfant qui priaient tous ensemble matin et soir. Elle fut
une éducatrice remarquable pour les trois garçons, tendre, mais ferme, car il
fallait préparer ses enfants aux difficultés de la vie paysanne. Maman
Marguerite fut pour beaucoup dans la vocation de celui qui deviendrait saint
Jean Bosco. Elle voulait être obéie, et elle l’était. Il le fallait bien si elle
voulait éduquer correctement trois garçons:
— Antoine, l’aîné, qui n’était pas
son fils, avait hérité d’un caractère violent et agressif. Peu intelligent, il
avait cependant réussi à apprendre à lire et à écrire, mais il était plein de
mépris pour tout ce n’était pas un travail physique. Ses frères, et le petit
Jean particulièrement, eurent beaucoup à souffrir à cause de lui.
— Joseph était, par contre, un
enfant doux et tranquille, ingénieux, sachant tirer parti de tout.
— Jean, intelligent et sérieux
parlait peu et observait beaucoup. Il était doué d’un tempérament
exceptionnellement imaginatif, énergique et doublé d’un étonnant talent
d’imitateur.
C'est dans cette ambiance
chrétienne et rurale que le petit Jean fit, vers l'âge de neuf ans, un rêve qui
lui laissa une profonde et durable impression. Le lendemain il s'empressa de le
raconter à sa famille. Ce n’est que bien des années plus tard qu’il en comprit
la signification profonde. Il le raconta souvent à ses disciples, les Salésiens.
Ce récit est considéré comme l’un des textes fondateurs de la Congrégation des
Salésiens.
À neuf ans j'ai fait un songe
qui m'est resté profondément gravé dans l'esprit pendant toute ma vie. Dans ce
songe, il me semblait que j'étais près de notre maison dans une cour très
spacieuse où étaient rassemblés une foule d'enfants qui jouaient. Les uns
riaient, beaucoup blasphémaient. En entendant ces blasphèmes je me suis tout de
suite jeté au milieu d'eux, donnant du poing et de la voix pour les faire taire.
À ce moment, apparut un Homme
imposant, noblement vêtu. Son visage était si lumineux qu'on ne pouvait pas le
regarder en face. Il m'appela par mon nom et me dit:
— Ce n'est pas avec des coups
mais avec la douceur et la charité que tu devras faire d'eux tes amis. Commence
donc tout de suite à leur parler de la laideur du péché et de la valeur de la
vertu.
Intimidé, craintif, je répondis
que j'étais un pauvre enfant ignorant. Alors, les garçons, cessant de se battre
et de crier, se groupèrent tous autour de Celui qui parlait. Comme si je ne
savais plus ce que je disais, je demandai:
— Qui êtes-vous pour m'ordonner
des choses impossibles?
— C'est justement parce que ces
choses te paraissent impossibles que tu devras les rendre possibles en obéissant
et en acquérant la science.
— Comment pourrai-je acquérir la
science ?
— Je te donnerai une
institutrice. Sous sa conduite, tu pourras devenir savant.
— Mais qui êtes-vous ?
— Je suis le Fils de cette Femme
que ta mère t'a appris à prier trois fois par jour. Mon nom, demande-le à ma
Mère.
Aussitôt, je vis à ses côtés une
Dame d'aspect majestueux, vêtue d'un manteau qui resplendissait comme le soleil.
S'approchant de moi qui demeurais tout confus, elle me fit signe d'avancer et me
prit par la main avec bonté:
— Regarde ! dit-elle."
En regardant, je m'aperçus que
les enfants avaient tous disparu. À leur place je vis une multitude de cabris,
de chiens, de chats, d'ours et beaucoup d'autres animaux.
— Voilà ton domaine! Voilà où tu
devras travailler. Deviens humble, courageux, et vigoureux: et ce que tu vois
arriver en ce moment à ces animaux, tu le feras pour mes enfants.
Je tournai donc les yeux et
voilà qu'à la place des bêtes sauvages apparurent autant de paisibles agneaux
qui sautaient, couraient, bêlaient autour de cet Homme et de cette Femme comme
pour leur rendre hommage. Alors, toujours dans mon rêve, je me mis à pleurer et
je priai cette Dame de vouloir bien s'expliquer d'une façon plus claire, car je
ne comprenais pas ce que tout cela signifiait. Elle posa sa main sur ma tête et
me dit:
— Tu comprendras tout au moment
voulu.
Elle avait à peine dit cela
qu'un bruit me réveilla. Tout avait disparu. J'étais abasourdi. J'avais
l'impression que les mains me faisaient mal à cause des coups de poings que
j'avais distribués et que le visage me cuisait d'avoir reçu des gifles de tous
ces galopins.
Le matin, j'ai raconté le songe
d'abord à mes frères qui se mirent à rire, puis à ma mère et à la grand-mère.
Chacun donnait son interprétation:
— Tu deviendras berger, dit
Joseph.
— Chef de brigands, insinua
perfidement Antoine.
Et ma mère ajouta :
— Qui sait si tu ne deviendras
pas prêtre.
C'est la grand-mère qui prononça
le jugement définitif:
— Il ne faut pas s'occuper des
rêves.
J'étais de l'avis de l'aïeule et
pourtant je ne réussis jamais à m'ôter tout cela de l'esprit.
Plus tard Jean comprit qu’il
deviendrait prêtre, et alors il dit à sa mère:
— Si je puis arriver un jour au
sacerdoce, je consacrerai ma vie aux enfants. Je les attirerai à moi. Je les
aimerai et m’en ferai aimer. Je leur donnerai de bons conseils et me dépenserai
sans mesure pour le salut de leurs âmes.
Mais Jean n’avait encore que neuf
ans. Il savait déjà lire couramment, et cela lui permettait d’animer les longues
veillées d’hiver. L’été le lecteur se transformait en jongleur, acrobate,
acteur, etc. ... et même funambule! Dès l’âge de dix ans, l’apôtre-acrobate qui
multipliait les sauts périlleux sut s’imposer. Prestidigitateur, il étonnait ses
spectateurs qui n’étaient admis que s’ils avaient, au préalable, payé leur écot,
c’est-à-dire récité avec lui tout un chapelet en l’honneur de la Sainte Vierge.
C’était à prendre ou à laisser... et on prenait!
Mais que de travail pour acquérir
cette souplesse physique et cette habilité manuelle! Et comment ce petit
bonhomme pourrait-il devenir prêtre alors que sa famille était si pauvre?
Comment trouver l’argent et le temps, car Jean devait déjà travailler dans les
champs? Et comment vaincre l’opposition du frère aîné, Antoine?


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