Le souci des âmes et de leur salut habite le cœur
de Joseph de Veuster dès l’enfance. Devenu le Père Damien, il offre sa vie à
Dieu au service des plus abandonnés des hommes: les lépreux. Choisissant de
partager leur vie, il soignera leurs corps et leurs âmes, jusqu’à sa mort.
« Ce
que le Père Damien a été, c’est progressivement qu’il l’est devenu, c’est jour
après jour que s’est construite sa personnalité. Comme pour un puzzle, chaque
période de sa vie a ajouté une pièce nouvelle et c’est seulement quand la
dernière a été mise en place qu’on peut voir l’ensemble du dessin, le visage du
Père Damien »
.
Joseph de Veuster — le futur Père Damien — naît à Tremelo, en
Flandre, le 3 janvier 1840 dans une famille nombreuse d’agriculteurs-commerçants.
L’atmosphère familiale, imprégnée des valeurs évangéliques, marque profondément
Joseph. Plus tard, dans sa correspondance, il reprendra une exclamation de joie
de sa mère : « Dieu soit loué ! » Sa famille montre l’exemple de la charité :
tous les lundis, ils accueillent des mendiants et passent du temps avec eux.
Quand à l’appel que Dieu réserve à chacun des hommes, Joseph a devant les yeux
la réponse de ses frères et sœurs plus âgés : deux de ses sœurs entrent chez les
Ursulines, une se marie et son frère Auguste devient Père des Sacrés-Cœurs où il
prend le nom de Pamphile. Cette ambiance familiale ancrera en lui trois des
éléments-clés de sa vie spirituelle : la confiance en la Providence, le souci
constant de préparer sur terre son salut éternel et sa grande dévotion à la
Vierge Marie.
À dix-huit ans, alors que son père le destine à prendre la
tête de l’exploitation familiale, Joseph comprend qu’il a la vocation religieuse
et il décide de se consacrer à Dieu en entrant dans la Congrégation des
Sacrés-Cœurs où il rejoint Pamphile. En février 1859, il commence son noviciat à
Louvain sous le nom de Damien. Il y entame des études pour se préparer à la
prêtrise. Très rapidement, il se sent attiré par la vie missionnaire et prie
saint François-Xavier de lui obtenir la grâce d’être un jour envoyé en mission.
C’est aussi pendant ces années de noviciat que frère Damien découvrit
l’adoration du Saint-Sacrement, moment d’intimité avec le Christ et source de
force dans les épreuves. En prononçant ses vœux, Damien met toute sa vie sous le
signe d’un Dieu qui aime d’un amour de prédilection les plus pauvres et les plus
abandonnés de ses enfants.
Envoyé à Paris et séparé de sa famille par la distance,
Damien en restera très proche par le cœur. Les nombreuses lettres échangées à
cette époque témoignent de l’affection qu’il porte aux siens. Celle-ci se
traduit surtout par un immense désir de les savoir sur le chemin du Ciel pour
qu’ils y jouissent un jour du bonheur éternel. Ce souci des âmes et de leur
salut s’appliquera non seulement à ses proches, mais à tout homme. D’où son zèle
missionnaire infatigable…
En 1863, son frère Pamphile, qui devait partir pour la
mission des îles Hawaii, contracte le typhus. Les préparatifs du voyage ayant
déjà été faits, Damien obtient du Supérieur Général la permission de prendre la
place de son frère. Dans une lettre à sa famille où il annonce un départ
imminent, on peut toucher du doigt les sentiments qui animent Damien : « Le
sacrifice est grand pour un cœur qui affectionne tendrement ses parents, sa
famille, ses confrères et ce pays qui l’a vu naître. Mais la voix qui nous a
invités, qui nous appelle à faire généreusement cette offrande de tout ce que
nous avons, est la voix de Dieu même. C’est notre sauveur lui-même qui nous dit
comme à ses premiers apôtres : “Allez, enseignez toutes les nations, leur
apprenant à observer tous mes commandements. Et voici que je suis avec vous
jusqu’à la fin des siècles »
.
Il débarque à Honolulu le 19 mars 1864 où il est ordonné
prêtre le 21 mai suivant, devenant ainsi, pour le reste de sa vie et pour le
monde, le Père Damien. Dès lors, il se jette, corps et âme, dans la dure vie de
« prêtre-missionnaire », comme il aimait à se définir, sur l’île de Hawaii, la
plus grande de l’archipel. Sur ce territoire où il ne dispose pas d’une
habitation, il dort dans les huttes des Hawaiiens et partage leur repas. Il est
conscient de l’ampleur de sa tâche, mais compte sur la Providence pour l’y
aider : « Si le Bon Dieu ne convertit pas les cœurs, le missionnaire a beau
faire tout ce qu’il peut, tous ses efforts sont inutiles. Nous ne sommes que des
instruments entre les mains du Bon Dieu »
.
Très vite, Damien se prend d’affection pour ses ouailles : « J’aime beaucoup mes
pauvres canaques à cause de leur simplicité et je fais tout ce que je puis pour
eux »
.
Isolé de ses confrères parfois pendant des mois, il souffre de ne pouvoir se
confesser et de ne pouvoir compter sur aucun soutien humain et spirituel dans la
tâche qui est la sienne. Mais il fait confiance à la Providence et écrira par
exemple : « Plus je suis exposé et abandonné à moi-même, plus j’ai le droit de
compter sur le secours du bon Dieu »
.
Il visite malades et mourants, enseigne le catéchisme,
construit des chapelles et des églises, parcourant sans cesse les routes du
district qui lui est confié.
Pour freiner la propagation de la lèpre, le gouvernement
décide, en 1866, de déporter à Molokai, une île voisine, tous ceux et celles qui
sont atteints de ce mal alors incurable (entre 600 et 1000 personnes). Leur sort
préoccupe toute la mission. L’évêque, Mgr Maigret, en parle à ses prêtres. Le 10
mai 1873, Damien est le premier à partir, sans poser de conditions ni faire de
réserves. À sa demande et selon le désir des lépreux, il restera définitivement
à Molokai. Il est alors âgé de trente-trois ans.
Dans cet enfer du désespoir, il apporte l’espérance. Il
devient le consolateur des lépreux, le pasteur, le médecin des âmes et des
corps, sans faire de distinction de race ni de religion. Il donne une voix aux
sans-voix. Peu à peu, il construit une communauté dans laquelle la joie d’être
ensemble et l’ouverture à l’amour de Dieu donnent de nouvelles raisons de vivre.
Il avoue dans ses lettres que certaines choses lui pèsent beaucoup, comme
l’odeur fétide qui se dégage des plaies des malades. C’est pourquoi il s’est mis
à fumer la pipe. Mais, derrière ces hommes en décomposition, il s’attendrit à
l’idée que leurs âmes, elles, sont à l’image de Dieu : « Mon plus grand bonheur
est de servir le Seigneur dans ses pauvres enfants malades, repoussés par les
autres hommes. Je m’efforce de les amener tous sur le chemin du Ciel »
.
Il partage tout avec eux : nourriture, maison, temps, prière,
cœur, travail…
Ce travail consiste à construire un orphelinat pour mettre
les petites filles à l’abri d’adultes indignes et des chapelles pour héberger
Celui qui lui procure force et réconfort, à exercer de plus en plus la médecine
qu’il apprend sur le tas et dans des livres… Par amour de Jésus et de ses frères
malades, il ajoute à son désir de sauver des âmes, celui de sauver des corps…
Un jour, en janvier 1885, en rentrant chez lui, il plonge son
pied par inadvertance dans une bassine d’eau bouillante sans percevoir la
moindre douleur : il comprend alors que lui-même a contracté la terrible
maladie. Loin d’être un surhomme, le Père Damien mettra presque une année
entière avant d’accepter son sort et il n’y parviendra qu’au pied de l’autel, en
rapprochant sa situation de celle de Jésus crucifié. Petit à petit, il reçoit
une sérénité qui ne le quittera plus jusqu’à la fin et qui ne sera départie par
aucune difficulté, matérielle, morale ou spirituelle. Il redouble alors d’ardeur
à la tâche, prodiguant soins et consolations et administrant les sacrements. Le
seul but de sa vie, comme il le répétait souvent, était de faire le plus de bien
possible aux autres et surtout de plaire au Dieu tout-puissant. Il souffre, mais
il offre ses souffrances à Dieu, confiant en la constante bonté de son Père du
Ciel.
Il meurt le 15 avril 1889, dans une pauvreté totale, après
seize années de dévouement aux plus petits de ses frères, les malades, les
lépreux. Son corps est ramené, en 1936, en Belgique, à Louvain.
Béatifié à Bruxelles, par le Pape Jean Paul II, le 4 juin
1995, le Père Damien restera pour tous un homme ordinaire — avec des défauts et
des qualités — mais toujours à l’écoute de la voix de Dieu et tâchant d’ouvrir
son cœur à tout homme, surtout aux délaissés.
Isabelle Maissin
http://www.editemma.com/iev/144/144_16_1.htm
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