LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Damien de Molokai
prêtre de la compagnie des Sacrés-Coeurs
1840-1889

Le souci des âmes et de leur salut habite le cœur de Joseph de Veuster dès l’enfance. Devenu le Père Damien, il offre sa vie à Dieu au service des plus abandonnés des hommes: les lépreux. Choisissant de partager leur vie, il soignera leurs corps et leurs âmes, jusqu’à sa mort.

« Ce que le Père Damien a été, c’est progressivement qu’il l’est devenu, c’est jour après jour que s’est construite sa personnalité. Comme pour un puzzle, chaque période de sa vie a ajouté une pièce nouvelle et c’est seulement quand la dernière a été mise en place qu’on peut voir l’ensemble du dessin, le visage du Père Damien » [1] .

Joseph de Veuster — le futur Père Damien — naît à Tremelo, en Flandre, le 3 janvier 1840 dans une famille nombreuse d’agriculteurs-commerçants. L’atmosphère familiale, imprégnée des valeurs évangéliques, marque profondément Joseph. Plus tard, dans sa correspondance, il reprendra une exclamation de joie de sa mère : « Dieu soit loué ! » Sa famille montre l’exemple de la charité : tous les lundis, ils accueillent des mendiants et passent du temps avec eux. Quand à l’appel que Dieu réserve à chacun des hommes, Joseph a devant les yeux la réponse de ses frères et sœurs plus âgés : deux de ses sœurs entrent chez les Ursulines, une se marie et son frère Auguste devient Père des Sacrés-Cœurs où il prend le nom de Pamphile. Cette ambiance familiale ancrera en lui trois des éléments-clés de sa vie spirituelle : la confiance en la Providence, le souci constant de préparer sur terre son salut éternel et sa grande dévotion à la Vierge Marie.

À dix-huit ans, alors que son père le destine à prendre la tête de l’exploitation familiale, Joseph comprend qu’il a la vocation religieuse et il décide de se consacrer à Dieu en entrant dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs où il rejoint Pamphile. En février 1859, il commence son noviciat à Louvain sous le nom de Damien. Il y entame des études pour se préparer à la prêtrise. Très rapidement, il se sent attiré par la vie missionnaire et prie saint François-Xavier de lui obtenir la grâce d’être un jour envoyé en mission. C’est aussi pendant ces années de noviciat que frère Damien découvrit l’adoration du Saint-Sacrement, moment d’intimité avec le Christ et source de force dans les épreuves. En prononçant ses vœux, Damien met toute sa vie sous le signe d’un Dieu qui aime d’un amour de prédilection les plus pauvres et les plus abandonnés de ses enfants.

Envoyé à Paris et séparé de sa famille par la distance, Damien en restera très proche par le cœur. Les nombreuses lettres échangées à cette époque témoignent de l’affection qu’il porte aux siens. Celle-ci se traduit surtout par un immense désir de les savoir sur le chemin du Ciel pour qu’ils y jouissent un jour du bonheur éternel. Ce souci des âmes et de leur salut s’appliquera non seulement à ses proches, mais à tout homme. D’où son zèle missionnaire infatigable…

En 1863, son frère Pamphile, qui devait partir pour la mission des îles Hawaii, contracte le typhus. Les préparatifs du voyage ayant déjà été faits, Damien obtient du Supérieur Général la permission de prendre la place de son frère. Dans une lettre à sa famille où il annonce un départ imminent, on peut toucher du doigt les sentiments qui animent Damien : « Le sacrifice est grand pour un cœur qui affectionne tendrement ses parents, sa famille, ses confrères et ce pays qui l’a vu naître. Mais la voix qui nous a invités, qui nous appelle à faire généreusement cette offrande de tout ce que nous avons, est la voix de Dieu même. C’est notre sauveur lui-même qui nous dit comme à ses premiers apôtres : “Allez, enseignez toutes les nations, leur apprenant à observer tous mes commandements. Et voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles » [2].

Il débarque à Honolulu le 19 mars 1864 où il est ordonné prêtre le 21 mai suivant, devenant ainsi, pour le reste de sa vie et pour le monde, le Père Damien. Dès lors, il se jette, corps et âme, dans la dure vie de « prêtre-missionnaire », comme il aimait à se définir, sur l’île de Hawaii, la plus grande de l’archipel. Sur ce territoire où il ne dispose pas d’une habitation, il dort dans les huttes des Hawaiiens et partage leur repas. Il est conscient de l’ampleur de sa tâche, mais compte sur la Providence pour l’y aider : « Si le Bon Dieu ne convertit pas les cœurs, le missionnaire a beau faire tout ce qu’il peut, tous ses efforts sont inutiles. Nous ne sommes que des instruments entre les mains du Bon Dieu » [3]. Très vite, Damien se prend d’affection pour ses ouailles : « J’aime beaucoup mes pauvres canaques à cause de leur simplicité et je fais tout ce que je puis pour eux » [4]. Isolé de ses confrères parfois pendant des mois, il souffre de ne pouvoir se confesser et de ne pouvoir compter sur aucun soutien humain et spirituel dans la tâche qui est la sienne. Mais il fait confiance à la Providence et écrira par exemple : « Plus je suis exposé et abandonné à moi-même, plus j’ai le droit de compter sur le secours du bon Dieu » [5].

Il visite malades et mourants, enseigne le catéchisme, construit des chapelles et des églises, parcourant sans cesse les routes du district qui lui est confié.

Pour freiner la propagation de la lèpre, le gouvernement décide, en 1866, de déporter à Molokai, une île voisine, tous ceux et celles qui sont atteints de ce mal alors incurable (entre 600 et 1000 personnes). Leur sort préoccupe toute la mission. L’évêque, Mgr Maigret, en parle à ses prêtres. Le 10 mai 1873, Damien est le premier à partir, sans poser de conditions ni faire de réserves. À sa demande et selon le désir des lépreux, il restera définitivement à Molokai. Il est alors âgé de trente-trois ans.

Dans cet enfer du désespoir, il apporte l’espérance. Il devient le consolateur des lépreux, le pasteur, le médecin des âmes et des corps, sans faire de distinction de race ni de religion. Il donne une voix aux sans-voix. Peu à peu, il construit une communauté dans laquelle la joie d’être ensemble et l’ouverture à l’amour de Dieu donnent de nouvelles raisons de vivre. Il avoue dans ses lettres que certaines choses lui pèsent beaucoup, comme l’odeur fétide qui se dégage des plaies des malades. C’est pourquoi il s’est mis à fumer la pipe. Mais, derrière ces hommes en décomposition, il s’attendrit à l’idée que leurs âmes, elles, sont à l’image de Dieu : « Mon plus grand bonheur est de servir le Seigneur dans ses pauvres enfants malades, repoussés par les autres hommes. Je m’efforce de les amener tous sur le chemin du Ciel » [6].

Il partage tout avec eux : nourriture, maison, temps, prière, cœur, travail…

Ce travail consiste à construire un orphelinat pour mettre les petites filles à l’abri d’adultes indignes et des chapelles pour héberger Celui qui lui procure force et réconfort, à exercer de plus en plus la médecine qu’il apprend sur le tas et dans des livres… Par amour de Jésus et de ses frères malades, il ajoute à son désir de sauver des âmes, celui de sauver des corps…

Un jour, en janvier 1885, en rentrant chez lui, il plonge son pied par inadvertance dans une bassine d’eau bouillante sans percevoir la moindre douleur : il comprend alors que lui-même a contracté la terrible maladie. Loin d’être un surhomme, le Père Damien mettra presque une année entière avant d’accepter son sort et il n’y parviendra qu’au pied de l’autel, en rapprochant sa situation de celle de Jésus crucifié. Petit à petit, il reçoit une sérénité qui ne le quittera plus jusqu’à la fin et qui ne sera départie par aucune difficulté, matérielle, morale ou spirituelle. Il redouble alors d’ardeur à la tâche, prodiguant soins et consolations et administrant les sacrements. Le seul but de sa vie, comme il le répétait souvent, était de faire le plus de bien possible aux autres et surtout de plaire au Dieu tout-puissant. Il souffre, mais il offre ses souffrances à Dieu, confiant en la constante bonté de son Père du Ciel.

Il meurt le 15 avril 1889, dans une pauvreté totale, après seize années de dévouement aux plus petits de ses frères, les malades, les lépreux. Son corps est ramené, en 1936, en Belgique, à Louvain.

Béatifié à Bruxelles, par le Pape Jean Paul II, le 4 juin 1995, le Père Damien restera pour tous un homme ordinaire — avec des défauts et des qualités — mais toujours à l’écoute de la voix de Dieu et tâchant d’ouvrir son cœur à tout homme, surtout aux délaissés.

Isabelle Maissin

http://www.editemma.com/iev/144/144_16_1.htm


* * * * *

[1] Édouard Brion, Comme un arbre au bord des eaux, Paris, Cerf, 1994, p.9.
[2] Extrait de la lettre à ses parents du 30 octobre 1863.
[3] Extrait de la lettre à son supérieur général du 1er novembre 1864.
[4] Extrait de la lettre à ses parents du 24 août 1865.
[5] Extrait de la lettre au père Modeste Favens du 28 janvier 1868.
[6] Extrait de la lettre à ses parents du 25 novembre 1873.

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr