(28 septembre.) Jésus,
marchant plus vite que Lazare, arriva deux heures avant lui au lieu où
Jean baptisait. Le jour commençait à poindre lorsqu'il se trouva dans le
voisinage de ce lieu, au milieu d'une troupe de gens qui allaient aussi
au baptême. Il faisait route avec eux et ils ne le connaissaient pas :
toutefois ils le regardaient attentivement, car il y avait en lui
quelque chose qui les frappait. Quand ils arrivèrent, il était tout à
fait jour. une multitude considérable était rassemblée et Jean prêchait
avec beaucoup de feu sur l'approche du Messie, sur la pénitence et sur
ce qu'il devait se retirer bientôt. Jésus se tenait au milieu de la
foule des auditeurs. Jean eut le sentiment de sa présence ; il le vit et
fut rempli d'une joie et d'une ardeur inaccoutumées : mais il
n'interrompit pas son discours et se mit ensuite à baptiser.
Il avait déjà donné le
baptême à plusieurs personnes et il était environ dix heures lorsque
Jésus, confondu dans les rangs des néophytes, descendit aussi à son tour
au réservoir. Alors Jean s'inclina devant lui et dit : " J'ai besoin
d'être baptisé par vous et c'est vous qui venez à moi ? ". Jésus lui
répondit : " Laissez faire, car il convient que nous accomplissions
toute justice, que vous me baptisiez et que je sois baptisé par vous. "
il lui dit aussi : `` Vous recevrez baptême du Saint Esprit et du sang.
" Alors Jean l'invita à le suivre à l'île. Jésus répondit qu'il le
ferait, mais qu'alors il fallait porter dans l'autre bassin de l'eau
dont tous avaient été baptisés ; que tous ceux qui étaient ici avec lui
fussent aussi baptisés là et que l'arbre auquel il se tiendrait fût
transplanté plus tard au lieu ordinaire du baptême afin que tous fissent
comme lui.
Le Sauveur Suivit donc Jean
et deux de ses disciples André et Saturnin (André était venu ici de
Capharnaü avec les neuf disciples et compagnons du Seigneur dont il a
été parlé plus haut) il se rendit sur l'île en passant le pont et entra
dans une petite tente dressée au côté oriental de la fontaine baptismale
pour qu'on pût s'y déshabiller et s'y rhabiller. Les disciples vinrent
avec lui sur l'île, mais les hommes se tinrent au bout du pont pendant
qu'une grande foule se pressait sur le rivage. Trois hommes environ
pouvaient se tenir sur le pont à côté les uns des autres : Lazare était
l'un de ceux qui se trouvaient le plus en avant.
La fontaine baptismale
était dans une excavation octogone, descendant en pente douce, au fond
de laquelle un rebord également octogone entourait la fontaine elle même
: celle ci était en communication avec le Jourdain par cinq conduits
souterrains. L'eau entourait le rebord tout entier et entrait dans la
fontaine par des brèches qu'on y avait laissées. Trois de ces coupures
étaient visibles au côté septentrional de la fontaine par où l'eau
entrait, les deux autres par où l'eau s'écoulait, placées au côté
méridional, étaient recouvertes, car c'était là le lieu de la cérémonie
et celui par lequel on avait accès à la fontaine : c'est pourquoi l'on
n'y voyait pas l'eau circuler autour du rebord. De ce côté, des marches
recouvertes de gazon conduisaient jusqu'à la fontaine en descendant la
pente de l'excavation qui avait à peu près trois pieds de hauteur.
Au sud est, sur le bord de
l'eau était une pierre triangulaire d'un rouge brillant encastrée dans
le rebord de la fontaine : un des côtés était tout contre l'eau et la
pointe était tournée vers la terre. Ce côté du rebord auquel les marches
conduisaient était un peu plus élevé que celui du nord où étaient les
trois ouvertures pour laisser arriver l'eau. Du côté du sud ouest on
descendait par une marche sur l'autre partie du rebord qui était un peu
plus basse et c'était par là seulement qu'on pouvait y arriver. Dans la
fontaine même, devant la pierre triangulaire, s'élevait un arbre
verdoyant à la tige élancée.
L'île n'était pas
parfaitement unie, mais un peu plus élevée au milieu : elle était en
partie sur fond de rocher ; il y avait aussi des places où le sol était
moins dur. Elle était couverte de gazon. Au milieu s'élevait un arbre
dont les branches s'étendaient au loin ; les douze arbres plantés autour
de l'île s'unissaient par le sommet aux branches de cet arbre qui était
au centre, et entre ces douze arbres il y avait une haie formée de
plusieurs petits arbustes.
Les neuf disciples de Jésus
qui avaient toujours été avec lui dans les derniers temps descendirent a
la fontaine et se tinrent sur le rebord. Jésus ôta son manteau dans la
tente, puis sa ceinture et une robe de laine jaunâtre, ouverte par
devant et qui se fermait avec des lacets, puis cette bande de laine
étroite qu'on portait autour du cou, croisant sur la poitrine et qu'on
roulait autour de la tête la nuit et par le mauvais temps. Il lui
restait encore sur le corps une chemise brune faite au métier avec
laquelle il sortit et descendit au bord de la fontaine où il l'ôta en la
retirant par la tête. Il avait autour des reins une bande d'étoffe qui
enveloppait chacune des jambes jusqu'à la moitié des pieds. Saturnin
reçut tous ces vêtements et les donna à garder à Lazare, qui se tenait
au bord de l'île.
Alors Jésus descendit dans
la fontaine où l'eau lui venait jusqu'à la poitrine. Il avait le bras
gauche passé autour de l'arbre, et il tenait la main droite sur sa
poitrine ; la bandelette qui ceignait les reins était détachée aux
extrémités, et flottait sur l'eau. Jean était debout au bord méridional
de la fontaine : il tenait un plat avec un large rebord, à travers
lequel couraient trois cannelures : il se baissa, puisa de l'eau et la
fit couler en trois filets sur la tête du Seigneur. un filet coula sur
le derrière de la tête, un autre sur le milieu, le troisième sur le
front et le visage.
Je ne sais plus bien les
paroles que Jean prononçait en administrant le baptême, mais c'étaient à
peu près celles ci : “Que Jéhova, par les chérubins et les séraphins,
répande sa bénédiction sur toi, avec la sagesse, l'intelligence et la
force”. Je ne sais pas bien si ce furent précisément ces trois derniers
mots ; mais c'étaient trois dons pour l'esprit, l'âme et le corps ; et
là dedans était aussi compris tout ce dont chacun avait besoin pour
rapporter au Seigneur un esprit, une âme et un corps renouvelés.
Pendant que Jésus sortait
de la fontaine, André et Saturnin, qui se tenaient auprès de la pierre
triangulaire, à la droite du précurseur, l'enveloppèrent d'un drap, pour
qu'il s'essuyât, et lui passèrent une longue robe baptismale de couleur
blanche (34) ; et, quand il fut monté sur la pierre
rouge triangulaire qui était à droite de la fontaine, ils lui mirent la
main sur les épaules pendant que Jean la lui mettait sur la tête.
Quand cela fut fait, au
moment où ils se préparaient à remonter les degrés, la voix de Dieu se
fit entendre au dessus de Jésus, qui se tenait, seul, en prière, sur la
pierre. Il vint du ciel un grand bruit, comme le bruit du tonnerre, et
tous les assistants tremblèrent et levèrent les yeux en haut. une noce
blanche et lumineuse s'abaissa, et je vis au dessus de Jésus une forme
ailée resplendissante, dont la lumière l'inonda comme un fleuve. Je vis
aussi comme le ciel ouvert, et l'apparition du Père céleste sous sa
forme accoutumée, et j'entendis, dans la voix du tonnerre, ces paroles :
“C'est mon Fils bien aimé en qui je me complais”.
Jésus était tout inondé de
lumière, et on pouvait à peine le regarder : toute sa personne était
transparente ; je vis aussi des anges autour de lui.
Je vis, à quelque distance,
Satan paraître au dessus des eaux du Jourdain : c'était une forme noire
et ténébreuse, semblable à un nuage, et, dans ce nuage, je vis s'agiter
des dragons noirs et d'autres bêtes hideuses qui se pressaient autour de
lui. Il semblait que, pendant cette effusion de l'Esprit Saint, tout ce
qu'il y avait de mal, de péché, de venin dans le pays tout entier, se
montrât sous des formes visibles, et se retirât dans cette figure
ténébreuse comme dans sa source. C'était un spectacle horrible, mais
rehaussant l'éclat indescriptible, la joie et la clarté qui se
répandaient sur le Seigneur et sur l'île. La sainte fontaine brillait
jusqu'au fond, et tout était transfiguré. On vit alors les quatre
pierres sur lesquelles l'arche d'alliance avait reposé, resplendir
joyeusement au fond de la fontaine : sur les douze pierres où s'étaient
tenus les lévites, se montrèrent des anges en adoration ; car l'esprit
de Dieu avait rendu témoignage, devant tous les hommes, à la pierre
vivante et fondamentale, à la pierre angulaire de l'Église, pierre
choisie et précieuse, autour de laquelle nous devons être posés comme
des pierres vivantes pour former un édifice spirituel, un sacerdoce
saint, afin de pouvoir offrir à Dieu, par son fils bien aimé en qui il
se complaît, un sacrifice spirituel qui lui soit agréable.
Cependant Jésus remonta les
degrés et se rendit sous la tente voisine de la fontaine ; Saturnin lui
porta ses habits que Lazare avait gardés, et Jésus s'en revêtit. Il
sortit alors de la tente, et, entouré de ses disciples, il alla sur la
partie découverte de l'île, près de l'arbre du milieu. Pendant ce temps,
Jean parlait au peuple, en faisant éclater sa joie, et il rendait
témoignage de Jésus, proclamant qu'il était le Fils de Dieu et le Messie
promis. Il rappela toutes les promesses faites aux patriarches et aux
prophètes, lesquelles se trouvaient accomplies maintenant ; il parla de
ce qu'il avait vu, de la voix de Dieu que tous avaient entendue, et
déclara qu'il se retirerait bientôt, lorsque Jésus reviendrait ; il dit
encore que l'arche d'alliance s'était reposée en ce lieu, lorsque Israël
avait pris possession de la Terre Promise, et qu'en ce même lieu, celui
qui était le sceau à l'alliance avait reçu le témoignage de son Père, le
Dieu tout puissant, Il dit à tous d'aller à lui désormais, et proclama
bienheureux le jour où l'attente d'Israël avait été remplie.
Pendant ce temps, il était
encore venu beaucoup de personnes parmi lesquelles se trouvaient des
amis de Jésus ; je vis dans la foule Nicodème, Obed, Joseph d'Arimathie,
Jean Marc et d'autres encore. Jean invita André à annoncer dans la
Galilée que le Messie avait reçu le baptême. Jésus, déclara simplement
que Jean avait dit la vérité ; il ajouta qu'il allait s'éloigner pour un
peu de temps ; qu'ensuite tous les malades et les affligés pourraient
venir à lui ; qu'il voulait les consoler et les secourir ; jusque là,
ils devaient se préparer, puis il entrerait dans le royaume que lui
avait donné son Père céleste. Jésus dit cela sous forme de parabole,
prenant pour comparaison un fils de roi, qui avant de prendre possession
de son trône, se retire à l'écart, demande l'assistance de son père, et
se recueille, etc.
Il y avait parmi les
assistants quelques pharisiens qui interprétaient ces paroles de la
façon la plus ridicule. Ils disaient : “Il n'est peut être pas le fils
du charpentier, mais l'enfant substitué de quelque roi, qui maintenant
va partir, rassembler ses gens et entrer à Jérusalem”. Cela leur
paraissait étrange et extravagant, etc.
Jean continua, ce jour là,
à baptiser tous les assistants sur l'île, dans la fontaine baptismale de
Jésus. La plupart étaient des gens qui plus tard se réunirent aux
disciples de Jésus. Ils se mettaient dans l'eau qui entourait le rebord
de la fontaine, et Jean, debout sur ce rebord, les baptisait.
Quant à Jésus, il quitta ce
lieu avec les neuf disciples et quelques autres qui se joignirent à lui
ici. Lazare, André et Saturnin le suivirent. Ils avaient, par son ordre,
rempli une outre d'eau de la fontaine où il avait été baptisé, et ils la
portaient avec eux. Les assistants se jetèrent aux pieds de Jésus, et le
supplièrent de rester avec eux. Il leur promit de revenir et s'en alla.
(29 et 30 septembre) Jésus,
avec ses compagnons, fit encore ce jour là environ deux lieues dans la
direction de Jérusalem, et il arriva à un petit endroit dont le nom
ressemblait à Bethel. Il y avait là une espèce d'hôpital où se
trouvaient beaucoup de malades, et où Jésus entra. Je le vis prendre là
de la nourriture avec ceux qui l'accompagnaient. Il vint aussi plusieurs
gens âgés. On salua Jésus très solennellement, en qualité de prophète,
car on savait déjà par des gens venus du baptême, ce que Jean avait dit
de lui. Jésus alla avec ses disciples dans la chambre de tous les
malades. Il les consola tous et leur dit qu'il reviendrait les guérir,
s'ils croyaient en lui. Je crois qu'il en guérit un. il était tout
décharné, il avait en outre des ulcères à la tête, et une lèpre blanche.
Jésus le bénit et lui commanda de se lever ; il se leva et s'agenouilla
devant Jésus. Plusieurs personnes furent baptisées ici par le ministère
d'André et de Saturnin. Jésus fit placer sur un escabeau, dans une pièce
de la maison, un grand bassin plein d'eau dans lequel un enfant aurait
pu tenir couché ; qu'il bénit cette eau et y fit une aspersion avec une
branche. C était, je crois, avec de l'eau baptismale prise dans l'outre
apportée par les disciples.
Les néophytes se
dépouillaient jusqu'à la poitrine, courbaient la tête au dessus du
bassin, et Saturnin les baptisait. Je crois qu'il se servait d'une
formule indiquée par Jésus, et qui était autre que celle de Jean, mais
je ne m'en souviens pas bien clairement. Jésus célébra le sabbat en ce
lieu : le lendemain André partit pour la Galilée.
Quant à Jésus, il se rendit
dans une ville nommée Luz. Il alla à la synagogue, et fit un long
discours où il expliqua le sens mystérieux de plusieurs anciennes
figures des Ecritures. Je me souviens qu'il parla des enfants d'Israël,
rappela qu'après avoir traversé la mer Rouge, ils errèrent longtemps
dans le désert, à cause de leurs péchés ; qu'ensuite, ayant traversé le
Jourdain, ils possédèrent la Terre Promise. Maintenant, disait il, le
temps était venu où cela devait arriver réellement par le baptême dans
le Jourdain : ce n'avait été alors qu'une figure, mais maintenant, s'ils
étaient fidèles et observaient les commandements de Dieu, ils
entreraient en possession de la Terre Promise et de la cité de Dieu. Il
entendait cela spirituellement de la Jérusalem céleste. Mais eux
croyaient toujours qu'il s'agissait d'un royaume de ce monde et de leur
affranchissement du joug des Romains. Il parla de l'arche d'alliance et
de la rigueur de la loi ancienne, sous laquelle celui qui s'approchait
je l'arche pour la toucher, était puni de mort : mais maintenant la loi
était accomplie, et la grâce était venue dans la personne du Fils de
l'homme il dit encore que le temps était arrivé où l'ange devait ramener
Tobie dans la Terre Promise, après la longue captivité où il avait
langui, toujours fidèle aux préceptes divins. Il parla encore de Judith,
la veuve qui avait tranche la tète à l'Assyrien Holopherne pendant son
ivresse, et délivré Bethulie réduite à l'extrémité : mais maintenant
c'était la vierge qui, ayant été dès l'éternité ; allait croître et
grandir, et beaucoup de têtes orgueilleuses qui menaçaient Bethulie,
allaient tomber. Il entendait parler de l'Eglise et de sa victoire sur
le prince de ce monde.
Jésus parla encore de
beaucoup de symboles du même genre, qui maintenant trouvaient tous leur
accomplissement. Toutefois il ne disait jamais : " C'est moi ", mais
parlait toujours comme d'une tierce personne. Il parla en outre de ce
qu'il fallait pour le suivre, dit qu'on devait tout quitter et ne pas
s'inquiéter outre mesure de sa subsistance ; car c'était chose plus
importante d'être régénéré que de trouver à se nourrir ; que s'ils
renaissaient de l'eau et du Saint Esprit, celui là les nourrirait qui
les aurait régénérés. Il ajouta que ceux qui voulaient le suivre
devaient quitter tous les leurs et s'abstenir du mariage, car ce n'était
pas le temps de semer, mais le temps de récolter. Il parla aussi du pain
céleste. Ses auditeurs étaient saisis d'admiration et de respect, mais
ils entendaient tous ses enseignements dans un sens matériel et
terrestre.
Lazare le quitta ici : les
autres amis de Jérusalem l'avaient déjà quitté près du Jourdain. Les
saintes femmes, qui étaient chez Suzanne à Jérusalem, se sont mises en
route par le désert. Je crois qu'elles vont à Thébez, où Jésus doit les
retrouver.
(1er octobre) Jésus quitta
Luz et traversa le désert. Il alla dans la direction du midi avec ses
disciples, dont une douzaine à peu près était avec lui. Il y en a deux,
outre Saturnin, qui l'ont suivi après le baptême. Le fils de Véronique
est déjà parti hier, peut être pour porter des nouvelles aux saintes
femmes. Dans la suite de ce voyage, je vis une fois Jésus et les
disciples marcher entre deux rangées de dattiers, et comme les disciples
hésitaient à ramasser les fruits tombés par terre et à les manger, Jésus
leur dit qu'ils pouvaient manger ces fruits en toute sécurité ; il
ajouta que dorénavant ils ne devaient pas être si scrupuleux, qu'ils
devaient chercher la pureté dans les affections de leur âme et dans
leurs discours, et non la faire dépendre de ce qui entre dans la bouche.
Je vis Jésus sur la route
visiter une dizaine de malades dans une rangée de maisons isolées, les
consoler et en guérir quelques uns. Plusieurs personnes se mirent là à
sa suite.
Il vint après cela dans un
petit endroit appelé Ensemès, dont les habitants allèrent à sa
rencontre. On avait déjà annoncé l'arrivée prochaine du nouveau
prophète. Il vint beaucoup de gens tenant des enfants par la main, qui
le saluèrent et se prosternèrent devant lui. Jésus les accueillit avec
bonté. C'étaient des gens considérables de l'endroit qui le conduisirent
chez eux ; mais les pharisiens l'emmenèrent de là à l'école. Ils étaient
bien disposés et se réjouissaient d'avoir un prophète chez eux ; mais
quand ils apprirent par les disciples que Jésus était le fils de Joseph,
le charpentier de Nazareth, ils trouvèrent dans leur for intérieur bien
des choses à blâmer en lui. Ils avaient cru avoir affaire à un autre
prophète. Comme Jésus parla du baptême, ils lui demandèrent quel baptême
était le meilleur, le sien ou celui de Jean' Jésus répéta ce que Jean
avait dit de son baptême et de celui du Messie, mais il ajouta que ceux
qui méprisaient le baptême du précurseur tiendraient également peu de
compte du baptême du Messie. Il ne dit pourtant jamais : " C'est moi "
mais parla toujours à la troisième personne, de même que nous le voyons,
dans l'Evangile, dire : " le Fils de l'homme . " Il prit encore un repas
dans la maison où il était entré, et fit la prière en commun avec ses
disciples avant qu'on ne se retirât pour dormir.
De Luz à Ensemès, Jésus
allait dans la direction du midi. Près d'Ensemès coulait le torrent de
Cédron : il vient de la vallée où Judas se pendit ; il coule le long de
la vallée de Josaphat, au pied de la montagne des Oliviers, puis ensuite
va à l'orient se jeter dans la mer Morte. Il y avait ici beaucoup de
montagnes : la chaîne s'étend jusqu'au mont Amon, près du désert de Giah,
où Jésus se trouvait le soir qui précéda son arrivée à Bethanie.
(2 octobre.) Le jour
suivant je vis Jésus avec ses compagnons quitter Ensemès et entrer dans
la Judée en traversant le torrent de Cédron. Il va le plus souvent par
des chemins détournés ; il me semble qu'il veut passer par les bourgades
situées à un certain rayon autour du lieu où Jean baptise, et suivre les
vallées où la sainte Vierge s'est arrêtée dans son voyage à Bethléem
avec saint Joseph. Il veut visiter Bethléem même, et aussi quelques
lieux où la sainte Vierge a passé la nuit lors de la fuite en Egypte. Il
veut enseigner et guérir dans tous ces endroits, puis, en revenant,
passer devant le lieu du baptême.
Le temps est nébuleux et
assez frais : je vois parfois de la neige ou de la gelée blanche dans
les vallées profondes ; mais du côté exposé au soleil tout est vert et
riant. Partout on voit encore des fruits sur les arbres. Le Seigneur et
les disciples en mangent sur leur chemin.
Jésus maintenant n'entre
pas dans les villes, parce que déjà partout on parle beaucoup de son
baptême, de ce qui s'y est passé et de ce qui a été dit par Jean à
Jérusalem aussi il n'est bruit que de cela. Jésus veut aussitôt après
son retour du désert, prendre la Galilée pour point de départ, et il ne
parcourt maintenant ce pays ci que dans le désir charitable de décider
encore quelques personnes à aller au baptême il ne va pas toujours avec
tous les disciples ensemble ; souvent il n'y en a que deux avec lui. Ils
se dispersent dans des maisons de bergers isolées et écartées de la
route, et ils redressent les idées de ces gens ; car tous ont une si
haute opinion de Jean, qu'ils regardent Jésus comme n'étant que l'un de
ceux qui l'assistent, et ils le nomment seulement l'Assistant. Les
disciples leur font connaître l'apparition du Saint Esprit et les
paroles qui se sont fait entendre pendant le baptême. Ils leur disent ce
que Jean a déclaré, qu'il n'est que celui qui prépare les voies du
Seigneur, et que c'est pour cela aussi qu'il fraye le chemin avec tant
d'ardeur et de véhémence Alors les bergers et les tisserands, qui sont
ici en grand nombre dans les vallées, viennent à Jésus, et écoutent sous
des arbres et des hangars ses courtes instructions : ils se prosternent
devant lui : il les bénit et les exhorte.
Pendant qu'ils étaient en
route, il expliqua aussi aux disciples, dont quelques uns avaient
entendu les paroles proférées lors du baptême : " C'est mon Fils bien
aimé" ; que son Père céleste a dit cela de tous ceux qui ont reçu sans
péché le baptême du Saint Esprit.
Cette contrée est celle par
laquelle passèrent Joseph et Marie allant à Bethléhem. Joseph avait
appris ici que son père avait possédé des pâturages dans les environs.
Il avait fait un détour d'une journée et demie environ du côté de
Jérusalem ; il avait évité toutes les villes, et avait préféré passer
par ici en faisant de petites journées de deux heures, parce que les
maisons de bergers étaient très rapprochées les unes des autres : car la
sainte Vierge ne pouvait ni marcher ni rester longtemps assise sur sa
selle sans se fatiguer beaucoup.
Les deux stations
principales dé Jésus furent aujourd'hui deux maisons de bergers où ses
parents s'étaient adressés alors Il arriva avant midi à cette maison où
Marie avait été mal accueillie, et il enseigna la foule qui s'était
rassemblée. Le maître de la maison en question était un vieillard
grossier ; il ne voulut pas non plus recevoir Jésus, et il se comporta
brutalement, à la façon de certains de nos paysans qui disent souvent :
" Qu'ai je à faire de ceci ou de cela ? Je paie mes redevances et je
vais à l'église ", vivant du reste comme il leur plaît. Les gens de
cette maison disaient aussi : " Qu'avons nous besoin de cela ? Nous
avons notre loi qui date de Mo'se ; c'est Dieu même qui nous l'a donnée
; il ne nous faut rien de plus. "Alors Jésus leur parla de l'hospitalité
et de la miséricorde que tous les anciens patriarches avaient exercée,
car où serait cette bénédiction et ce qui la conserve, si Abraham avait
repoussé les anges qui la lui apportèrent ? Le Seigneur leur dit encore
en paraboles : que celui qui a repoussé la mère portant son enfant dans
son sein, lorsqu'elle frappait à la porte, épuisée par la fatigue du
voyage ; celui qui s'est moqué de son mari cherchant un gîte
hospitalier, repoussait aussi le fils et le salut venant de lui et
apporté par lui. Il leur dit cela en termes expressifs, que je vis ses
paroles entrer dans le coeur de cet homme comme un coup de foudre : car
c'était là la maison où l'on avait refusé d'accueillir Joseph et Marie
lors de leur voyage à Bethléem, et où on l'avait repoussés avec des
paroles injurieuses. Je reconnus bien la maison, et les plus vieux parmi
ceux qui étaient présents furent frappés de stupeur : car sans nommer ni
lui même ni sa mère, ni Joseph, il avait dit sous forme de parabole tout
ce qu'ils avaient fait.
Alors l'un d'eux se jeta à
ses pieds et le pria de vouloir bien entrer chez lui et y prendre de la
nourriture ; car il était certainement prophète, puisqu'il savait tout
ce qui s'était passé en ce lieu trente ans auparavant. Mais Jésus ne
voulut rien accepter de lui. il enseigna encore les bergers assemblés ;
il leur dit que toutes les actions étaient la figure et le germe de
celles qui leur succédaient ; que le repentir et la pénitence
extirpaient les vieilles racines, et que l'homme qui se convertissait
renaissait dans le baptême du Saint Esprit, et portait des fruits pour
la vie éternelle.
Je les vis aller plus loin
à travers les vallées, et enseigner ça et là ; il y avait des possédés
qui le poursuivaient de leurs cris, et se taisaient à son commandement.
Dans l'après midi, Jésus
arriva à une seconde maison de bergers, placée sur une hauteur, et où la
sainte Vierge avait aussi logé. Le maître était à la tête de plusieurs
troupeaux. Des bergers et des gens qui fabriquaient des tentes
habitaient de longues rangées de maisons situées dans ces vallées. Ils
tenaient de longues bandes d'étoffe déployées et travaillaient les uns
en face des autres. Il y avait dans ces parages beaucoup de troupeaux de
montons et aussi beaucoup d'animaux sauvages. Les colombes se
promenaient en troupes comme des poulets, ainsi qu'une autre espèce de
gros oiseaux à longue queue. On voyait aussi courir dans le désert des
animaux avec de petites cornes, qui ressemblaient à des chevreuils. Ils
n'étaient pas timides et se mêlaient aux troupeaux. Ici, Jésus fut
accueilli très amicalement Les gens de la maison ainsi que les voisins
et les enfants allèrent joyeusement à sa rencontre et se prosternèrent
devant lui. La sainte Vierge et Joseph avaient reçu dans cette maison
une hospitalité très bienveillante. Il s'y trouvait deux jeunes gens,
enfants du maître du logis qui vivait encore, et un petit vieillard tout
courbé, portant une petite houlette. Jésus prit de la nourriture :
c'étaient des fruits et des herbes qu'on trempait dans une sauce, et des
petits pains cuits sous la cendre. Ces gens étaient pieux et éclairés.
Ils conduisirent Jésus dans
la chambre où la sainte Vierge avait passé la nuit. Ils en avaient fait
depuis longtemps un oratoire. Ce n'était autrefois qu'une division de la
pièce où ils habitaient, mais plus tard ils l'avaient séparée du reste,
et y avaient fait une entrée particulière. Ils avaient coupé les quatre
angles de la chambre qu'ils avaient ainsi rendue octogone et surmonté la
toiture d'une pointe tronquée. Au milieu, était suspendue une lampe ; on
pouvait aussi ouvrir un jour dans le toit. Devant la lampe, était une
espèce de table étroite comme nos tables de communion, ou ils pouvaient
s'appuyer en priant. C'était joli et propre comme une chapelle. Le
vieillard y conduisit Jésus et lui montra l'endroit où sa sainte Mère
avait reposé ; il lui montra encore un endroit où avait dormi sa grand
mère, sainte Anne, qui, elle aussi, s'était arrêtée là, lorsqu'elle
avait été visiter la sainte Vierge à Bethléem.
Ces gens avaient
connaissance de la nativité de Jésus, de l'adoration des rois, des
prédictions de Siméon et d'Anne dans le temple, de la fuite en Egypte et
du merveilleux enseignement de Jésus au temple. Ils avaient fête
plusieurs de ces anniversaires par des prières dans leur oratoire, et,
dès le commencement, ils avaient fidèlement cru, espéré et aimé. Ils
interrogèrent Jésus en toute simplicité et à la façon des gens de la
campagne : " Que se passe t il donc maintenant, dirent ils, à Jérusalem,
chez les grands personnages ? "
On dit que le nouveau
Messie viendra, comme roi des Juifs, rétablir le royaume et les délivrer
du joug des Romains ; est ce donc que cela aura lieu ? Jésus leur
expliqua tout par une parabole sur un fils de roi que son père envoie
prendre possession de son trône, rétablir le sanctuaire, et délivrer ses
frères de l'esclavage ; mais ils ne devaient pas reconnaître ce fils,
ils devaient le persécuter et le maltraiter ; toutefois il devait être
exalté et tirer à lui, dans le royaume de son Père céleste, tous ceux
qui observeraient ses préceptes.
Beaucoup de personnes
entrèrent avec Jésus dans l'oratoire et je crois qu'il y enseigna. Il a
aussi guéri ici. Le vieux berger le conduisit chez une voisine que la
goutte retenait au lit depuis des années. Jésus la prit par la main et
lui ordonna de se lever ; elle se leva aussitôt, remercia le Seigneur à
genoux, et le reconduisit jusqu'à la porte. Elle marchait toute courbée,
comme la belle mère de Pierre.
Jésus se fit ensuite
conduire par ces gens dans une vallée très profonde, où il y avait
beaucoup de malades. Il en guérit plusieurs et donna des consolations à
tous. Il guérit au moins dix personnes. Ici je ne vis plus rien. Jésus a
passé la nuit chez les bergers.
Jean continue toujours à
baptiser. L'affluence est de plus en plus grande. L'arbre de la fontaine
baptismale de Jésus a été placé dans le grand bassin qui sert pour le
baptême, et il est d'un très beau vert. On descend dans ce bassin par
des degrés ; il y entre plusieurs langues de terre sur lesquelles les
gens viennent à la suite les uns des autres. Ils arrivent par un côté et
s'en vont par l'autre.
( 3 octobre ) Lorsque Jésus
quitta la maison des bergers, qui est à environ cinq lieues de Bethléem,
ces gens l'accompagnèrent. Ils étaient en relations intimes avec les
bergers qui avaient visité Jésus dans la crèche ; voilà pourquoi ils
étaient si bien disposés.
Le Seigneur et les
disciples firent hier beaucoup de détours ; des troupes de bergers et
d'ouvriers se rassemblaient ça et là autour de lui, et il les
instruisait par des comparaisons tirées de leur profession. Il les
exhortait encore au baptême et à la pénitence, et parlait de l'approche
du Messie et des jours de salut.
Sur le chemin de Jésus, je
vis au penchant de la montagne, dans une situation favorable, beaucoup
de gens occupés de divers travaux dans les champs. Dans quelques
endroits, je vis des vignes et des gens qui y travaillaient : je vis
aussi serrer le grain entassé : je vis labourer, semer et planter. La
fertilité était grande ici, quoique dans d'autres parties de ces y
allées il y eût de la gelée blanche ou de la neige. Le blé n'était pas
en gerbes : on le coupait à un demi pied environ au dessous de l'épi, et
on attachait ensemble par le milieu deux faisceaux d'épis, de façon à ce
que la tête des épis fît saillie des deux côtés. Ces faisceaux étaient
entassés les uns sur les autres. On ne les rapportait pas comme si la
moisson eût été faite tout récemment, car elle était faite depuis
longtemps : les épis étaient restés accumulés en meules larges et
élevées, semblables à des collines ; et maintenant que la saison des
pluies arrivait, et qu'on préparait de nouveau la terre, on les couvrait
avec de la paille. On coupait les épis avec une faucille ; la paille
était ensuite arrachée et jetée en tas. Je vis qu'on rentrait le grain
sur des civières portées par quatre hommes : la paille était aussi
rangée et mise en faisceaux pour être brûlée, à ce que je crois. Dans
d'autres endroits on labourait. La charrue n'avait pas de roues, et elle
était tirée par des hommes. La charrue que je vis ressemblait à un
traîneau avec trois lames tranchantes, entre lesquelles était
l'attelage. Ordinairement elle était tirée par des hommes ou des ânes,
et personne ne la tenait par derrière. On labourait en long et en large.
Leur herse que je vis était triangulaire, la pointe était en arrière.
Tout cela marchait très bien. Là où le fond était rocailleux, on jetait
un peu de terre pardessus et la semence y poussait aussi. Les semeurs
portaient leur sac sur le cou, avec les deux extrémités sur la poitrine.
Les plantes que je vis mettre en terre étaient de l'ail et une autre
plante qui avait de grandes feuilles ; je crois que c'était un légume :
il y en avait un qu'on appelait dourra.
Les disciples rassemblaient
ces gens près du chemin, et Jésus les enseigna en paraboles où il était
question de charrues, de semence et de moisson il parla avec les
disciples de la semence qu'ils devaient répandre par le baptême. Il en
désigna deux, dont l'un était Saturnin, pour baptiser dans quelque temps
près du Jourdain. Il leur dit que c'étaient là les semailles, et que
comme les laboureurs d'ici, ils récolteraient aussi dans deux mois. Il
parla encore de la paille qui devait être jetée au feu.
Pendant que Jésus
enseignait, une troupe de travailleurs, venant de Sichar, passa tout
près du chemin. Ils avaient des pelles, des pioches et de longues
perches : ils ressemblaient à des esclaves, et je crois qu'ils
revenaient chez eux après avoir travaillé à des édifices publies ou à
des routes. Ils se tinrent timidement à quelque distance ; ils n'osaient
pas s'approcher près des Juifs et ils écoutaient. Jésus les fit venir et
dit que son Père céleste appelait tous les hommes à lui par son
ministère : il parla de l'égalité de tous ceux qui font pénitence et se
font baptiser. Ces pauvres gens étaient tellement touchés de sa bonté
qu'ils se jetèrent à ses pieds pour le prier de venir aussi les visiter
et de les assister à Samarie. Il répondit qu'il irait les voir, mais que
maintenant il devait se retirer à part pour se préparer à entrer dans
son royaume, suivant la mission qu'il avait reçue de son Père céleste.
Les bergers conduisirent
encore Jésus par divers chemins où sa mère axait passé, et il
connaissait ces lieux mieux que ses conducteurs, en sorte qu'ils
s'écriaient pleins d'admiration : " Seigneur, vous êtes un prophète et
un fils pieux, puisque vous reconnaissez et suivez les traces de votre
heureuse mère "Après avoir enseigné et exhorté tout ce monde, Jésus alla
à la petite ville de Betharaba. Il y arriva dans l'après midi sur une
place découverte, et il monta sur une chaire en pierre qui était sous
des arbres. Beaucoup d'auditeurs se rassemblèrent autour de lui et il
les enseigna. C'étaient des gens bien disposés. Ici je cessai de voir
cette scène.
(1 octobre) Jésus quitta
cet endroit accompagné de plusieurs de ses auditeurs, et marcha dans la
direction de la vallée des Bergers, qui est à environ trois lieues et
demie d'ici. Je ne sais pas où il passa la nuit ; je le vis une fois
seul avec les disciples sous un hangar ouvert : ils mangeaient des
fruits, des baies rouges qu'ils avaient cueillies et des épis, et ils
buvaient de l'eau.
La nuit, ils vont chacun de
leur côté ; Jésus leur désigne un lieu où il se trouvera à tel ou tel
moment, et ils se répandent au loin dans le pays, font des rapports sur
lui, et exhortent au baptême et à la pénitence ceux qui ne sont pas
encore réalises : ces gens viennent pour la plupart avec eux aux
endroits où ces instructions doivent être faites. Jésus aussi fait de
longs circuits : je le vois souvent monter seul sur des collines et
prier, en sorte que tout le temps du voyage trouve son emploi.
J'entendis les disciples de
Jésus, à cause de sa vie austère, de son habitude d'aller pieds nus, de
ses jeûnes et de ses veilles nocturnes dans cette saison froide et
humide, l'engager à ménager un peu son corps. Mais il les éconduisit
avec bonté et continua à faire comme auparavant.
Le matin, au crépuscule, je
vis Jésus avec ses disciples descendre par une pente escarpée dans la
vallée des Bergers. Les bergers qui habitaient là savaient déjà qu'il
allait venir. Ils avaient tous été baptisés par Jean. Il s'en trouvait
même parmi eux qui avaient eu des songes et des visions sur l'approche
du Seigneur. Quelques uns veillaient et regardaient toujours du côté par
où il devait venir. Ils le virent tout entouré de lumière descendre dans
la vallée : car plusieurs de ces gens simples étaient favorisés de
grâces particulières. Aussitôt ils soufflèrent dans un cornet pour
réveiller et convoquer ceux qui demeuraient à distance. Ils avaient
coutume de faire ainsi dans les occasions de quelque importance. Tous
accoururent au devant du Seigneur et se prosternèrent devant lui,
allongeant humblement le cou et ayant leurs longs bâtons sous le bras.
Plusieurs avaient la face contre terre. Ils avaient des jaquettes
courtes, le plus souvent en peau de mouton, les unes ouvertes sur la
poitrine, les autres tout à fait fermées, et qui leur allaient jusqu'aux
genoux : ils portaient des sacs jetés en travers sur les épaules. Ils
saluèrent Jésus avec des passages des psaumes qui se rapportent à
l'avènement du Sauveur, et expriment la reconnaissance d'Israël pour
l'accomplissement de la promesse. Jésus fut très affectueux avec eux, et
il leur parla du bonheur de leur condition. Il enseigna ça et là dans
les cabanes qui étaient rangées tout autour de la large vallée des
prairies : ce fut le plus souvent en paraboles tirées de la vie
pastorale.
Il s'avança ensuite avec
eux dans la vallée, dans la direction de Bethléem, jusqu'à la tour des
Bergers (35). Il leur parla de la visite qu'il leur
faisait maintenant, à eux qui l'avaient salué dans son berceau, et qui
s'étaient montrés charitables envers lui et ses parents. Il enseigna
aussi en paraboles, où il parlait de pasteur et de troupeau, disant que
lui aussi serait un pasteur, rassemblerait le troupeau, le guérirait et
le conduirait jusqu'à la fin des temps.
Les bergers firent des
récits sur l'apparition des anges, sur la sainte Famille et l'Enfant ;
ils racontèrent comment, eux aussi, avaient vu l'image de l'Enfant dans
l'Etoile au dessus de la grotte de la crèche.
Ils parlèrent aussi des
rois mages qui avaient vu la tour des Bergers dans les astres, et des
nombreux présents que les rois leur avaient faits en partant. Parmi ces
présents, il y avait de grosses étoffes pour les tentes dont ils
s'étaient servis ici, à la tour des Bergers et dans leurs cabanes. Il se
trouvait là quelques vieillards qui avaient été à la crèche dans leur
jeunesse. Ils redirent à Jésus tout ce qui s'était passé alors.
(5 octobre) Le jour
d'après, Jésus et les disciples furent conduits par les bergers plus
près de Bethléem, à l'endroit où demeuraient les fils survivants des
trois vieux bergers auxquels les anges étaient apparus d'abord, lors de
la nativité du Christ, et qui lui avaient présenté leurs hommages les
premiers. Ils étaient enterrés à peu de distance de l'habitation qui
était à peu près à une lieue de la grotte de la crèche. Trois fils de
ces vieux bergers étaient vivants et déjà avancés en âge. Les autres les
respectaient beaucoup. Cette famille de bergers jouissait d'une certaine
prééminence parmi les autres, comme les trois rois parmi leurs
compagnons. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité,
et le conduisirent à la sépulture de leurs pères C'était une colline où
il y avait un vignoble : elle était isolée et entourée par le bas d'une
toiture sous laquelle était l'entrée de divers celliers et de plusieurs
grottes. Plus haut, sur la colline, était la grotte sépulcrale des vieux
bergers. Le jour y entrait par en haut. Les tombeaux étaient disposés
dans le sol suivant la direction indiquée par ces lignes : I I. Il y
avait des portes qui étaient fermées Les bergers les ouvrirent pour
Jésus, et je vis les corps emmaillotés avec leur visage noirâtre. On
avait comblé les places vides autour des cercueils en y jetant une
quantité de petits fragments de pierre.
Les bergers montrèrent
aussi à Jésus leur trésor : c'était ce qui était resté à leurs pères des
présents des trois rois : ils le conservaient enfoui dans la grotte. Il
consistait en petites barres d'or natif, enveloppées dans des pièces
d'étoffe très précieuse brochée d'or. Ils demandèrent à Jésus s'ils
devaient donner tout cela au temple. Il leur dit de le conserver pour la
communauté qui serait le nouveau temple. Il leur dit aussi qu'un jour on
élèverait une église au dessus de ce tombeau ( ce qui fut fait par
sainte Hélène ). à cette colline commençaient des vignobles qui
s'étendaient jusqu'à Gaza. C'était le cimetière commun des bergers.
Ils conduisirent ensuite le
Seigneur à la grotte de la crèche (36), lieu de sa
nativité, qui était environ à cinq lieues de là. On suivait, pour y
aller, une vallée charmante que longeaient trois sentiers passant entre
des groupes d'arbres fruitiers taillés.
Ils parlaient en chemin du
cantique des anges, et je vis de nouveau toutes ces scènes. Les anges
apparurent en trois endroits : d'abord aux trois bergers ; dans la nuit
suivante, à la tour des Bergers, et, enfin, près de la fontaine où Jésus
avait été reçu hier matin par les bergers. Ils se montrèrent en plus
grand nombre à la tour des bergers. C'étaient de grandes figures qui
n'avaient pas d'ailes. Sur le chemin de la grotte de la crèche, les
bergers firent entrer le Seigneur dans la grotte du tombeau de Maraha,
nourrice d'Abraham, près du grand térébinthe.
Ils conduisirent ensuite
Jésus à la grotte de la crèche. De ce côté, qui était celui du levant,
il n'y avait pas de chemin par lequel on pût aller directement à
Bethléhem : on pouvait à peine de là voir la ville, qui était séparée de
la vallée des Bergers par des remparts écroulés et toutes sortes de
décombres, au milieu desquels passaient des chemins creux. L'entrée de
la ville la plus rapprochée était la porte du midi, laquelle conduisait
à Hébron. En sortant de cette porte, il fallait contourner la ville au
levant pour se rendre aux environs de la crèche qui se liaient à la
vallée des Bergers. On y arrivait, de cette vallée, sans toucher
Bethléhem. La grotte de la crèche et les grottes adjacentes
appartenaient aux bergers ; de tout temps ils s'en étaient servis pour y
loger du bétail et y déposer toutes sortes d'objets, et aucune personne
de Bethléhem n'avait rien à y faire. Joseph, dont la maison paternelle
était dans la partie méridionale de la ville, y était souvent venu dans
son enfance, et y était entré en rapport avec les bergers ; il s'y était
aussi caché de ses frères et s'y était retiré pour prier.
Les bergers allèrent avec
Jésus à la grotte, où beaucoup de choses avaient été changées : ils en
avaient fait comme un petit oratoire. Pour que personne ne mît le pied
sur ce sol sacré, ils avaient entouré d'un grillage la place de la
crèche ; ils avaient fait un passage autour et agrandi la grotte à cet
effet. Le long de ce passage, étaient des cellules creusées dans le
rocher, comme autour d'un cloître. Les parois et le sol avaient été
tapissés avec des couvertures laissées par les rois mages ; elles
étaient de diverses couleurs, et des pyramides étaient dessinées dans le
tissu même, en plusieurs endroits. (C'étaient vraisemblablement des
triangles de couleur différente dont on ornait souvent les murs chez les
Juifs ; la Soeur mentionne souvent ce genre d'ornement, notamment en
décrivant la chambre à coucher de Marie au temple.)
Ils avaient, en outre,
pratiqué deux escaliers conduisant, du passage dont on vient de parler,
au haut de la grotte de la crèche ; au dessus de la grotte proprement
dite, ils avaient enlevé le plafond avec ses ouvertures étroites pour
laisser passer le jour, et construit à la place une espèce de coupole
par où la lumière tombait d'en haut. On pouvait, par l'un des escaliers,
monter sur la colline, et de là gagner Bethléhem. Ils avaient pu faire
tous ces changements, grâce à ce que les rois mages avaient laissés.
On était au vendredi soir,
à l'ouverture du sabbat, lorsqu'ils conduisirent là Jésus ; ils avaient
allumé des lampes dans la grotte de la crèche. La crèche elle même était
restée à son ancienne place Jésus leur montra l'endroit où il était né,
qu'ils ne connaissaient pas. Il leur fit une instruction, et ils
célébrèrent le sabbat. Il leur dit comment son Père céleste avait
désigné ce lieu par avance, lors de la conception de Marie, et j'eus
aussi connaissance de divers événements figuratifs de l'Ancien
Testament, qui s'étaient passés en cet endroit Abraham y était venu
ainsi que Jacob. Seth, l'enfant de la promesse, y avait été engendré
après une pénitence de sept années, et Eve l'y avait mis au monde.
C'était là qu'un ange avait dit à Eve que Dieu lui donnait ce rejeton à
la place d'Abel. Il y avait été longtemps caché aussi bien que dans la
grotte du tombeau de la nourrice Maraha, parce que ses frères en
voulaient à sa vie comme les fils de Jacob à la vie de Joseph.
Les bergers conduisirent
encore Jésus dans la grotte voisine, où la sainte Famille avait habité
quelque temps. Ils avaient enclos avec soin la fontaine qui avait jailli
là à la naissance du Christ, et ils faisaient usage de son eau dans
leurs maladies. Jésus fit prendre de cette eau pour l'emporter.
(7 octobre) Remarque. A
cette époque, la narratrice était devenue malade à la mort, par suite de
la douleur que lui causait la corruption des hommes, et les visions sur
la vie de Jésus, qui se rapportaient à ces jours là paraissaient tout à
fait perdues. Le 8 octobre au soir, elle tendit la main à l'écrivain, et
lui dit comme pour le consoler : J'ai tout vu ; il est encore chez les
bergers. C'est toujours dans la souffrance qu'elle est le plus
affectueuse. Elle communiqua les fragments qui suivent.
Jésus visita aujourd'hui
avec les disciples les différentes habitations des bergers qui se
trouvent dans les environs ; il y consola et enseigna. Les disciples
allaient parfois seuls dans quelques unes d'entre elles, les unes après
les autres ; ils expliquaient les enseignements de Jésus et racontaient
ce qui s'était passé à son baptême.
Saturnin baptisa plusieurs
vieillards qui n'étaient pas en état d'aller au baptême de Jean. On
mêlait pour cela de l'eau de la fontaine baptismale de Jésus, dans l'île
du Jourdain, avec celle de la source qui était dans la grotte voisine de
ha crèche.
Au baptême de Jean, on
confessait ses péchés en général, mais ceux qui recevaient le baptême de
Jésus confessaient individuellement leurs péchés les plus graves,
témoignaient leur repentir et recevaient l'absolution. Les gens âgés
s'agenouillaient ; leur corps était nu jusqu'à la ceinture. Il y avait
devant eux un grand bassin au dessus duquel ils courbaient la tète, et
on les baptisait. à ce baptême, comme dans la formule dont Jean fit
usage en baptisant Jésus, on prononçait le nom de Jehovah, et on faisait
mention des trois dons célestes, mais on parlait aussi au nom de
l'envoyé de Dieu.
Jésus, le plus souvent,
passait les nuits, seul, en prière sur les collines. A la fin de son
séjour chez lest bergers, il dit aux disciples, qu'il voulait aller seul
visiter des gens qui l'avaient accueilli avec bienveillance, lui et ses
parents, lors, de leur fuite en Egypte, ajoutant qu'il avait là des
malades à guérir et un pécheur à convertir. Aucune trace de ses saints
parents ne devait rester sans bénédiction. Il allait rechercher, pour
les mettre dans la voie du salut, tous ceux qui, autrefois, s'étaient
montrés hospitaliers et charitables envers eux. Toute bonne oeuvre,
toute oeuvre de miséricorde avait été ici une participation à l'oeuvre
du salut, et devait l'être pour toujours ; de même qu'il visitait tous
ceux qui, autrefois, s'étaient montrés charitables envers lui et envers
les siens, de même, son Père céleste se souviendrait de tous ceux qui
auraient témoigné de la charité et fait du bien au moindre de ses
frères. Il donna rendez vous à ses disciples à un certain endroit voisin
d'une ville ou d'une montagne d'Ephraim, près d'une grotte où ils
devaient l'attendre les jours suivants.
Le 8 octobre, je vis Jésus,
seul, à la frontière du territoire d'Hérode, se diriger vers le désert,
près d'Anim ou Engannim, à deux lieues de la mer Morte, dans un pays
sauvage, mais assez fertile. (Elle dit plus tard de cette ville, qu'elle
était habitée par des gens rejetés de la société. La fuite en Egypte eut
lieu par la partie orientale de la Judée, le retour par le côté qui
longe la mer Méditerranée, par Gaza.) On voyait, dans Et` pays,
plusieurs chameaux qui paissaient ; il y en avait bien une quarantaine,
et ils étaient parqués. J'avais déjà vu Jésus sur la route, passer au
milieu de semblables troupeaux. Il y avait une espèce d'hôtellerie pour
les gens qui allaient au désert vers lequel Jésus se dirigeait. On
voyait plusieurs cabanes et hangars à côte les uns des autres ; ces gens
avaient beaucoup de chameaux et ils étaient, je crois, chameliers de
profession. Les maisons étaient adossées à une hauteur. Il se trouvait à
l'entour des fruits sauvages.
Cet endroit avait été le
dernier du territoire d'Hérode où la sainte Famille s'était arrêtée,
lors de la fuite en Egypte. Ceux qui habitaient là, quoique ce fussent
de méchantes gens qui souvent exerçaient le brigandage, avaient pourtant
bien reçu la sainte Famille. La ville voisine était aussi habitée par
des hommes de vie irrégulière qui s'y étaient établis à la suite de
quelques guerres.
Jésus entra dans la maison
et demanda l'hospitalité. Le maître s'appelait Ruben, il avait environ
cinquante ans et se trouvait déjà ici lors de la fuite en Egypte.
Lorsque Jésus lui adressa la parole et fixa les yeux sur lui, il en
partit comme un rayon qui lui entra dans la poitrine ; il fut tout
bouleversé. Les paroles et la salutation de Jésus furent comme une
bénédiction, et cet homme, tout ému, lui répondit : " Seigneur, c'est
comme si la Terre Promise venait avec vous dans ma maison. "Jésus lui
dit que s'il croyait à la promesse et n'en repoussait pas loin de lui
l'accomplissement, il aurait aussi part à la Terre Promise. Il parla
aussi des bonnes oeuvres et de leurs conséquences, lui dit qu'il venait
à lui pour lui annoncer le salut, parce que, trente ans auparavant, sa
mère et son père nourricier, fugitifs, avaient été bien accueillis dans
sa maison ; que cette bonne action portait son fruit ; que chaque oeuvre
portait le sien, bon ou mauvais. Alors cet homme, tout bouleversé, se
prosterna par terre et lui dit : " Seigneur, comment peut il se faire
que vous entriez dans la maison d'un misérable réprouvé comme moi ? "
Jésus lui expliqua qu'il était venu pour ramener les pécheurs et les
purifier. Cet homme ne cessait de parler de la réprobation qui le
poursuivait ; il disait que tous les gens de ce lieu étaient une race
maudite et le rebut de l'humanité. Il dit encore que ses petits enfants
étaient malades, et dans un triste état. Jésus lui répondit que s'il
croyait en lui et voulait se faire baptiser, il rendrait la santé à ses
petits enfants. Il lava les pieds de Jésus, et lui donna ce qu'il avait
pour sa réfection.
Les voisins vinrent alors,
et il leur dit qui était Jésus et ce qu'il lui avait promis. Il y avait
là un de ses parents qui s'appelait Issachar. Il conduisit aussi Jésus à
ses petits enfants malades. Ils étaient ou lépreux ou perclus, et dans
un état de rachitisme complet. Jésus alla aussi voir les femmes qui
étaient malades et affligées de pertes de sang. Il commanda aux enfants
de se lever et ils furent guéris : il donna l'ordre de leur apprêter un
bain. On plaça un grand vase plein d'eau sous une tente, et Jésus y
versa un peu de l'eau baptismale du Jourdain qu'il portait à son côté
sous sa longue robe dans deux flacons attachés avec des courroies, puis
il bénit l'eau. Les malades s'y lavèrent : tous en sortirent guéris et
remercièrent le Seigneur. Il ne les baptisa pas lui même, mais cette
ablution fut comme un ondoiement, et il les exhorta à aller au Jourdain
recevoir le baptême.
Ils lui demandèrent si le
Jourdain avait donc une vertu particulière, et il leur répondit que la
voie du Jourdain avait été mesurée et établie, et que tous les lieux
saints de la Terre Promise avaient été marqués par son Père céleste
avant qu'il y eût des habitants, bien plus, avant que cette terre et le
Jourdain existassent. Il dit à ce sujet d'admirables choses que j'ai
oubliées. Il parla en outre du mariage, s'entretint avec les femmes,
recommanda la chasteté et continence, et représenta l'abaissement des
gens de cet endroit et l'état misérable des enfants, comme étant la
suite d'unions contraires à la règle, qui avaient lieu dans cette
contrée : il parla de la part qu'avaient les parents à l'état misérable
des enfants, des moyens d'arrêter le mal, qui étaient la pénitence et la
satisfaction, et de la renaissance par le baptême.
Il parla de tout ce qu'ils
avaient fait pour la sainte Famille lors de sa fuite, et enseigna dans
les endroits ou elle avait pris sa nourriture et s'était reposée. Joseph
et Marie avaient avec eux, pendant la fuite en Egypte, un âne et une
ânesse. Il leur montra tous leurs actes d'alors comme des figures
prophétiques de ce qu'ils faisaient actuellement pour passer de l'état
de péché à l'état de grâce. Ils apprêtèrent pour le Seigneur un repas
aussi bon que cela leur fut possible. Il se composait d'une espèce de
laitage épais semblable à du fromage blanc, de miel, de petits pains
cuits sous la cendre, de raisins et d'oiseaux.
(9 octobre) Aujourd'hui
j'ai vu Jésus revenir d'Anim en compagnie de quelques uns de ces hommes,
mais par un autre chemin. Il arriva vers le soir près d'un endroit situé
sur les deux côtés d'une montagne ; il y avait là une vallée sauvage
venant de l'orient, et coupée de ravins profonds. Cet endroit ou cette
montagne avait un nom qui ressemblait à Ephraim ou Ephron. La direction
des montagnes était vers Gaza. Jésus était venu par le pays d'Hébron On
voyait aussi à quelque distance du chemin qu'il avait suivi un bourg en
ruines, avec une tour dont le nom ressemblait à Malaga
(vraisemblablement Malada, que Flavius Josèphe, XVIII, 7, 2, appelle
Malatha). A une lieue d'ici à peu près était le bois de Mambré ou les
anges apportèrent à Abraham la promesse qu'il aurait un fils. La double
caverne qu'il avait achetée d'Ephron, l'Héthéen, et où était sa
sépulture, n'était pas éloignée de là non plus que le lieu du combat de
David contre Goliath.
Jésus, que ses compagnons
avaient quitté, fit le tour d'un côté de la ville, divisée en deux
parties, et ses disciples, auxquels il avait assigné cet endroit, le
trouvèrent dans la vallée, suivant un sentier escarpé. Laissant de côté
cette gorge, il les conduisit à une grotte située dans un endroit tout à
fait sauvage et d'un accès difficile, mais très spacieuse. Ils y
passèrent la nuit. C'était là qu'avait été la sixième station de la
sainte Famille lors de la fuite en Egypte. Voici ce qu'elle dit de cet
endroit, le 18 octobre : " La grotte où s'était réfugiée Marie, près d'Ephraim,
fut appelée dans la suite lieu du séjour de Marie (37),
et des pèlerins la visitaient sans qu'on sût exactement le fait qui s'y
rattachait. Plus tard. il ne demeurait là que de pauvres gens."
Jésus raconta cela aux
disciples, qui, à l'aide d'une mécanique avec laquelle on fait tourner
rapidement un morceau de bois dans un autre. avaient allumé du feu. Il
leur parla de la sainteté de ce lieu. un prophète, Samuel, si je ne me
trompe, y était souvent venu prier. David avait gardé les troupeaux de
son père dans les environs ; il avait prié dans cette grotte et y avait
reçu des ordres de Dieu, apportés par les anges : ce fut là aussi qu'il
lui fut commandé d'aller tuer Goliath. J'ai vu là d'autres choses dont
je ne me souviens plus.
Je vis que la sainte Famille, dans sa fuite, arriva là très fatiguée et
très abattue ; que la sainte Vierge en particulier était fort triste et
pleurait : ils manquaient de tout, car ils allaient par des sentiers
détournés, évitant les grandes villes et les hôtelleries fréquentées :
ce fut leur sixième station. Ils se reposèrent là tout un jour Il y eut
là aussi plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement : une
source jaillit dans la grotte, et une chèvre sauvage vint à eux et se
laissa traire. Je crois aussi qu'un ange vint les consoler.
Jésus parla aux disciples des grandes souffrances qui les attendaient,
eux et tous ceux qui voudraient le suivre. Il parla beaucoup des peines
que sa sainte mère et lui avaient endurées ici, de la miséricorde de son
Père céleste, et de la sainteté de ce lieu. Il ajouta qu'on y bâtirait
un jour une église, et il bénit cette grotte comme s'il l'eût consacrée.
Ils mangèrent là quelques fruits et quelques petits pains que les
disciples avaient apportés avec eux.
(10 octobre.) Ce matin,
Jésus quitta la grotte, et ils se dirigèrent vers Bethléhem, en
contournant l'autre côté de la montagne et de la bourgade. Ils
arrivèrent près de quelques maisons isolées et entrèrent dans une
hôtellerie où ils prirent un peu de nourriture et où on leur lava les
pieds. Les gens étaient bons et curieux. Jésus enseigna sur la
pénitence, sur l'approche du salut` et sur ce qu'il fallait faire pour
le suivre. On lui demanda pourquoi sa mère avait fait le long voyage de
Nazareth à Bethléhem, lorsqu'elle aurait pu rester chez elle où elle
aurait été si bien. Alors Jésus parla de la promesse, dit qu'il avait dû
naître dans la pauvreté, à Bethléhem, et parmi les bergers, comme étant
lui même un berger qui devait rassembler le troupeau : c'était pour cela
qu'il avait voulu parcourir ces contrées habitées par des bergers,
aussitôt après que son Père céleste avait rendu témoignage de lui.
D'ici il alla vers la
partie méridionale de Bethléhem, qui n'était guère qu'à deux lieues,
suivit quelque temps la vallée des Bergers, là où elle se dirigeait vers
le midi, et contourna la partie occidentale de Bethléhem. Il laissa à
droite la maison paternelle de Joseph, et arriva le soir à Maspha,
petite ville aujourd'hui, et située à quelques lieues de Bethléhem.
On pouvait voir Maspha de
loin. Autour de la ville brillaient des feux allumés dans des lanternes
de fer, placées sur les routes principales. La ville avait des remparts
et des tours, et plusieurs grandes routes la traversaient. Elle avait
été longtemps un chef lieu religieux. Judas Macchabée (Macch.,III,46) y
avait présidé à des prières solennelles avant le combat, et rappelé à
Dieu ses promesses et l'injure que lui faisaient les édits de ses
ennemis ; il avait aussi déposé, en présence du peuple, ses vêtements
sacerdotaux. Alors cinq anges lui apparurent devant la ville et lui
promirent la victoire. C'est ici aussi que les Israélites s'assemblèrent
pour combattre contre la tribu de Benjamin, à cause des outrages faits à
la femme d'un lévite qui voyageait, et de la mort de cette femme qui en
avait été la suite. Ce crime fut commis près d'un arbre ; l'endroit
était encore entouré d'un mur et personne n'en approchait. Samuel aussi
a jugé à Maspha ; et c'est là qu'était le couvent des Esséniens, où
habitait Manahem, qui, dans son enfance, avait prédit la royauté à
Hérode. Il avait été bâti par un Essénien du nom de Kharioth. Il vivait
environ cent ans avant Jésus Christ. C'était un homme marié des environs
de Jéricho. Il s'était séparé de sa femme, et tous deux avaient fondé
plusieurs communautés pour les Esséniens, l'une pour les hommes, l'autre
pour les femmes. Il avait aussi établi un autre couvent à peu de
distance de Bethléhem, et il était mort. Il avait été un si saint homme,
qu'à la mort du Christ, il fut un des premiers qui sortirent de leur
tombeau et apparurent.
Il y avait en cet endroit
un grand nombre d'hôtelleries, et on y savait très promptement quand un
étranger était arrivé. Jésus était à peine dans l'hôtellerie, que
beaucoup de gens se pressèrent autour de lui. On le conduisit à la
synagogue, où il expliqua la loi. Il y avait là des espions dont les
intentions n'étaient pas droites et qui voulurent lui tendre des pièges,
parce qu'ils avaient entendu dire qu'il voulait amener les païens eux
mêmes au royaume de Dieu, et qu'il avait parlé des trois rois chez les
bergers. Jésus prêcha en termes très sévères : il dit que le temps de
l'accomplissement de la promesse était venu, que tous ceux qui
renaîtraient par le baptême, qui croiraient à celui que le Père avait
envoyé et observeraient ses préceptes, auraient part au royaume de Dieu
; mais que si les juifs ne croyaient pas, la promesse leur serait
retirée et passerait aux gentils.
Je ne sais pas bien
m'exprimer, mais il dit qu'il n'ignorait pas qu'on l'espionnait, que du
reste ils pouvaient aller à Jérusalem y rapporter ce qu'ils venaient
d'entendre. Jésus dit aussi quelque chose de Judas Macchabée, et
d'autres événements arrivés ici. Comme on lui parlait de la magnificence
du temple et de la prééminence des Juifs sur les gentils, il leur
expliqua que le but de l'élection du peuple juif et de son temple était
atteint : car celui que le Seigneur avait promis par la bouche des
prophètes, était venu pour fonder le royaume et le temple du Père
céleste, etc.
Après avoir ainsi enseigné,
Jésus quitta Maspha et alla à une lieue plus à l'est. Il passa d'abord à
travers un groupe de maisons et arriva à une ferme isolée, chez des gens
alliés à saint Joseph ; un beau fils du père de saint Joseph, fils d'une
veuve qu'il avait épousée, s'était marié ici et ses descendants y
habitaient. Ils avaient eux mêmes des enfants, ils étaient baptisés et
ils accueillirent Jésus avec une bienveillance respectueuse. il vint
aussi chez eux plusieurs voisins. Jésus leur fit une instruction et prit
un repas chez eux. Après le repas, il sortit seul avec deux de ces
hommes qui s'appelaient Aminadab et Manassé. Ils lui demandèrent s'il
connaissait leurs relations de famille, et s'ils devaient le suivre dès
à présent. Il leur dit que non ; qu'ils devaient se borner maintenant à
être ses disciples en secret. Ils se mirent à genoux et il les bénit`.
ils se réunirent ouvertement aux disciples avant sa mort. Il passa ici
la nuit.
(1er octobre) Le 1er
octobre, Jésus alla deux lieues plus loin avec ses disciples, et arriva
près d'une ferme qui avait été l'avant dernier séjour de Marie avant
Bethléhem, dont elle pouvait être éloignée d'environ quatre lieues. Des
hommes de cette maison vinrent à sa rencontre et se prosternèrent devant
lui sur le chemin, pour l'inviter à venir chez eux. On l'y accueillit
avec beaucoup de joie. Ces gens allaient presque journellement à 1a
prédication de Jean. et ils savaient ce qui s'était passé de merveilleux
au baptême de Jésus. On lui prépara un repas et un bain chaud ; ils lui
avaient aussi préparé une belle couche. Jésus enseigna ici comme à
l'ordinaire.
La femme qui, trente ans
auparavant, reçut ici la sainte Famille, vivait encore. Elle habitait
seule dans le bâtiment principal, ses enfants demeuraient près de là, et
lui envoyaient sa nourriture. Quand Jésus se fut baigné, il alla visiter
cette femme, elle était aveugle et tout à fait courbée depuis plusieurs
années. Jésus parla de la miséricorde et de l'hospitalité, des oeuvres
incomplètes et de l'amour propre. Il lui représenta le triste état où
elle était, comme un châtiment de péchés de ce genre. Elle fut très
émue, se confessa coupable, et Jésus la guérit. Il lui prescrivit de se
mettre dans l'eau où il s'était lavé. Alors elle recouvra la vue, et
redevint droite et bien portante. Il lui défendit de parler de cela à
personne.
Ces gens lui demandèrent en
toute simplicité quel était le plus grand de lui ou de Jean. Il répondit
: " celui auquel Jean rend témoignage. " Ils parlèrent aussi de
l'énergie et du zèle de Jean, puis de la belle taille et de la robuste
apparence de Jésus. Jésus leur dit que, dans moins de quatre ans, ils ne
verraient plus rien d'apparent en lui, et ne le reconnaîtraient plus,
tant ce corps serait défiguré. Il parla de l'ardeur et du zèle de Jean,
le comparant à un homme qui frappe à la porte de ceux qui dorment avant
l'arrivée du maître, à un ouvrier qui fraye le chemin à travers le
désert pour que le roi puisse passer, à un torrent d'eau qui nettoie le
lit du fleuve.
(12 octobre) Le matin, dès
l'aube du jour, Jésus partit avec ses disciples et une troupe de gens
qui s'étaient réunis ici à lui ; il se dirigea vers le Jourdain, qui
pouvait être à trois lieues de distance, si ce n'est davantage. Le
Jourdain coule dans une large vallée qui s'étend bien à une demi lieue
de chaque côté. La pierre de l'arche d'alliance, placée dans l'endroit
clos de murs où l'on avait célébré la fête dont il a été parlé, se
trouvait à une lieue à peu près en avant de l'endroit où Jean baptisait,
quand on allait directement vers Jérusalem. La cabane de Jean, près des
douze pierres, était dans la direction de Bethabara, un peu plus au nord
que la pierre de l'arche d'alliance. Les douze pierres elles mêmes
étaient à une demi lieue de l'endroit où l'on baptisait, dans la
direction de Galgala. Galgala est sur le côté occidental de la hauteur à
un point où elle s'abaisse un peu.
Du bassin baptismal de
Jean, on avait une belle vue sur les deux rives en amont du fleuve, où
la fertilité était très grande. Le district le plus renommé par les
agréments du paysage, l'abondance des fruits et la richesse du sol se
trouvait au bord de la mer de Galilée ; ici et ; autour de Bethléem,
c'étaient plutôt des champs de blé des prairies ? des plantations de
dourra, d'ail et de concombres.
Jésus avait déjà passé la
pierre de l'arche d'alliance, et, se trouvant à un quart de lieue de la
cabane de Jean, où celui ci enseignait, il passa devant une ouverture de
vallée, à un endroit d'où l'on pouvait ` voir Jean dans le lointain.
Jésus ne fut en vue du précurseur que pendant deux minutes. Mais Jean
fut saisi de l'esprit. Il montra Jésus du doigt et s'écria `' Voici
l'agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. etc. "Jésus passa
outre ; ses disciples étaient en groupes séparés, en avant et en
arrière. La troupe qui s'était adjointe à lui en dernier lieu, venait
ensuite. On était au commencement de la matinée. Beaucoup de personnes
ayant entendu les paroles de Jean coururent de ce côté, mais Jésus était
déjà passé. Ils le suivirent de leurs acclamations, mais ils ne lui
parlèrent pas autrement.
(Note de l'écrivain.
Comme le lundi suivant, 17 octobre, Jésus arriva le soir à Dibon pour
la fête des Tabernacles, ce soir du 15 octobre est nécessairement le
commencement du 15 du mois de Tisri où s'ouvrait ; la fête des
Tabernacles ; le jour d'aujourd'hui est alors le 11 Tisri ou le second
jour de la fête expiatoire, dans laquelle le grand prêtre maudissait
dans le temple un bouc chargé de ses péchés et de ceux de tout le
peuple, et le faisait chasser dans le désert. La coïncidence de cette
cérémonie avec les paroles du précurseur, jette une lumière sur les mots
: " Voici l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde ! ")
Lorsque ces gens revinrent,
ils dirent à Jean qu'il allait bien du monde avec Jésus. Ils avaient
aussi entendu dire que ses disciples avaient déjà baptisé ; qu'allait il
advenir de tout cela ? Jean leur répéta encore une fois qu'il quitterait
bientôt ce lieu pour faire place à Jésus, car il n'était que le
précurseur et le serviteur. Cela ne plaisait pas beaucoup à ses
disciples ; ils étaient un peu jaloux des disciples de Jésus.
Jésus dirigea sa marche
vers le nord ouest, laissa Jéricho à droite, et alla vers Galgala, qui
était à environ deux lieues de Jéricho. Sur son chemin, il s'était
arrêté dans plusieurs endroits, où les enfants l'accompagnaient en
chantant des cantiques de louange, ou bien couraient dans les maisons
pour faire venir leurs parents.
On appelait Galgala toute
la plaine située à une certaine élévation au dessus du niveau de la
vallée du Jourdain, et elle est entourée dans une circonférence de cinq
lieues, de ruisseaux qui vont se jeter dans le fleuve. Mais l'endroit
nommé Galgala, dont Jésus s'approcha avant le soir, s'étend sur une
longueur d'environ une lieue dans la direction de la contrée où
séjournait le précurseur. Les maisons sont disséminées et il y a des
jardins dans les intervalles.
Jésus entra d'abord en
avant de la ville, dans un lieu considéré comme saint, où l'on menait
les prophètes et les docteurs renommés. Ce fut là que Josué communiqua
aux enfants d'Israël quelque chose que Moïse, avant de mourir, avait
fait connaître à Eléazar et à lui. C'étaient six malédictions et six
bénédictions. La colline où les Israélites furent circoncis était
voisine de ce lieu et entourée d'un mur.
Je vis à cette occasion la
mort de Mose. Il mourut sur une petite colline escarpée, qui est au
milieu des montagnes de Nébo, entre l'Arabie et Moab. Le camp des
Israélites s'étendait au loin à l'entoure : seulement quelques postes
s'avançaient dans la vallée qui tournait autour de la colline. Cette
colline était toute recouverte d'une plante verte comme le lierre, qui
venait en touffes assez semblables à celles du genévrier. Moïse s'en
servait pour s'aider à monter. Josué et Eléazar étaient près de lui. Je
ne sais plus bien tout ce qui se passa là. Je crois qu'il eut une vision
de Dieu que les autres ne virent pas. Il donna à Josué un rouleau où
étaient écrites six malédictions et six bénédictions, qu'il devait faire
connaître au peuple lorsqu'il serait entré dans la Terre Promise.
Ensuite, les ayant embrassés, il leur ordonna de se retirer sans
regarder derrière eux. Alors il se mit à genoux les bras étendus, et il
tomba mort sur le côté. Je vis la terre s'ouvrir pour ainsi dire sous
lui, et se refermer après l'avoir reçu comme dans une belle sépulture.
Lorsque Moïse apparut sur le Thabor au moment de la transfiguration de
Jésus, je le vis venir de cet endroit. Josué lut au peuple les six
bénédictions et les six malédictions.
Plusieurs amis de Jésus
étaient venus l'attendre ici ; c'étaient Lazare, Joseph d'Arimathie,
Obed, le fils d'une des veuves de Nazareth, et d'autres encore. Il y
avait ici une hôtellerie. On lava les pieds au Seigneur et ses
compagnons, et on leur offrit quelque chose à manger.
Jésus fit une instruction
devant une grande foule d'auditeurs, parmi lesquels il y en avait
plusieurs qui voulaient aller au baptême de Jean ; c'était près du bras
du fleuve, où l'on avait ménage, contre la rive qui s'élevait en
terrasse et qui était coupée par des marches, un emplacement pour se
baigner ou faire ses ablutions. un pavillon était étendu au dessus, et
il y avait à l'entour des jardins d'agrément avec des arbres, des
massifs de verdure et du gazon. Saturnin et, je crois, deux autres
disciples auxquels Jean se joignit, baptisèrent ici après une
instruction de Jésus sur le Saint Esprit. Il parla de ses divers
attributs, et dit à quels signes on pouvait reconnaître qu'on l'avait
reçu.
Le baptême de Jean était
précédé d'une exhortation générale à la pénitence, puis d'une
protestation de repentir et d'une promesse de ne plus pécher. Au baptême
de Jésus, il n'y avait pas seulement confession des péchés en général,
mais chacun s'accusait à part et confessait ses vices dominants, puis
Jésus adressait des exhortations et disait souvent leurs péchés en face
à ceux que l'orgueil ou la mauvaise honte retenait, afin de les porter
par là à la contrition. Jésus enseigna encore sur le passage du Jourdain
et sur la circoncision oui avait eu lieu ici, ajoutant que le baptême
s'y donnait maintenant pour ce motif, afin qu'il opérât la circoncision
du coeur chez ceux qui le recevaient ; il parla aussi de
l'accomplissement de la loi, etc.
Ceux qu'on baptisait ici
n'entraient pas dans l'eau ; ils courbaient seulement la tête au dessus
; on ne les revêtait pas non plus d'une robe baptismale, on se bornait
.`l leur mettre un drap blanc sur les épaules. Les disciples n'avaient
pas une écuelle avec trois rainures comme Jean, mais ils puisaient trois
fois avec la main dans un bassin placé devant eux Jésus avait béni l'eau
et y avait versé de celle de son baptême. Lorsque les baptisés, qui
étaient bien au nombre de trente, sortirent de là, ils étaient très émus
et très joyeux, et disaient qu'ils sentaient bien maintenant qu'il
avaient reçu le Saint Esprit.
Jésus alla à Galgala pour
le sabbat, suivi des acclamations de la foule.
Le jour du sabbat, je vis Jésus, accompagné d'une suite nombreuse, aller
à la synagogue de Galgala. Elle était située dans la partie orientale de
la ville, du reste, très grande et très ancienne. Elle était en forme de
carré long, avec des pans coupés : par conséquent, elle était plutôt
octogone. Elle avait trois étages où étaient des écoles placées l'une au
dessus de l'autre. Autour de chaque étage régnait une galerie
extérieure, et les escaliers montaient au dehors le long des murs. Au
dessus, dans les pans coupés de l'édifice, se trouvaient des niches dans
lesquelles on pouvait se tenir et d'où l'on voyait à une grande distance
autour de soi. La synagogue était dégagée de deux côtés et bordée de
petits jardins. Devant l'entrée étaient un vestibule et une chaire,
comme au temple de Jérusalem. Elle était précédée d'une cour antérieure
avec un autel en plein air où on avait sacrifié autrefois : il y avait
aussi des places couvertes pour les femmes et les enfants. On retrouvait
là les traces de toute une organisation semblable à celle du temple ; on
voyait que l'arche d'alliance y avait séjourné et qu'on y avait
sacrifié.
Dans l'école d'en bas, où
tout était particulièrement bien disposé, il y avait, à l'extrémité qui
correspondait à l'emplacement du Saint des Saints dans le temple, une
colonne octogone autour de laquelle étaient des tablettes avec des
rouleaux d'écritures. Plus bas s'étendait une table qui entourait la
colonne, et au dessous se trouvait un caveau ou l'Arche d'alliance avait
reposé. Je ne sais pas si cette colonne était déjà là à cette époque :
je crois qu'elle fut placée plus tard pour indiquer la sainteté de ce
lieu qui était encore révéré. Cette colonne était d'une belle pierre
blanche polie.
Jésus enseigna dans l'école
d'en bas, devant le peuple, les prêtres et les docteurs. Il dit, entre
autres choses, que le royaume promis avait d'abord été fondé ici, qu'on
y avait pratiqué plus tard une idolâtrie abominable, si bien qu'il s'y
trouvait a peine sept justes. Ninive était cinq fois plus grande, et il
n'y avait que cinq justes. Galgala avait été épargnée par Dieu ; mais
maintenant il ne fallait pas qu'ils repoussassent la promesse d'un
envoyé de Dieu au moment où elle s'accomplissait ; il fallait faire
pénitence et renaître par le baptême, etc. Il ouvrit alors les écrits
qui étaient devant la colonne, et y lut des textes qu'il commenta.,
Il enseigna ensuite les
jeunes gens au second étage, et puis les enfants au troisième. Étant
descendu, il enseigna encore les femmes, sous une halle qui était sur la
place, et il s'entretint ensuite avec les jeunes filles. Il traita ici
de la chasteté et de la discipline, de la curiosité qu'il fallait
surmonter, de la décence dans les habillements, dit qu'il fallait cacher
sa chevelure et porter un voile sur la tête, au temple et à l'école. Il
parla de la présence de Dieu et de celle des anges dans les lieux
sanctifiés, et dit que les anges eux mêmes voilaient leur visage. Il dit
encore qu'au temple ou à l'école, ils étaient présents parmi les hommes
; il expliqua en outre pourquoi les femmes devaient avoir la tête
voilée. Je l'ai oublié. Jésus fut très affectueux envers les enfants :
il les bénit et les prit dans ses bras : ils montraient beaucoup de
penchant pour lui. Sa présence ici causa en général beaucoup de
satisfaction et de joie ; lorsqu'il quitta l'école, le peuple faisait
entendre devant lui et derrière lui des acclamations dont le sens était
à peu près celui ci : " Que la promesse s'accomplisse, qu'elle reste
avec nous, qu'elle ne nous quitte pas. "
Le 14, après que Jésus eut
enseigné à Galgala, on voulait lui amener des malades, mais il s'y
refusa, disant que ce n'était pas le lieu ni le moment, qu'il devait
s'en aller, qu'il était appelé ailleurs. Lazare et les amis de Jérusalem
étaient retournés chez eux. Il fit dire à la sainte Vierge en quel
endroit il irait la trouver avant de s'en aller au désert, je crois que
c'était à Corozaïm. Les saintes femmes n'étaient plus à Thébez, elles
étaient déjà en route pour l'endroit où elles devaient se rencontrer
avec Jésus. Mais elles n'allèrent pas à Capharnaum, parce qu'on y tenait
beaucoup de propos sur leurs fréquents voyages.
(14 octobre) à Jérusalem,
il y avait de grandes contestations touchant Jésus, dont on avait
entendu beaucoup parler : car ils avaient partout des gens à leurs gages
qui leur faisaient des rapports. Il y eut une longue délibération sur
Jésus dans un tribunal appelé le sanhédrin, qui se composait de soixante
et onze prêtres et docteurs : l'affaire fut traitée dans un comité de
vingt personnes, qui se divisaient encore cinq par cinq pour consulter
et discuter. Ils firent des recherches dans les registres généalogiques,
et il leur fut impossible de nier que Joseph et Marie fussent de la race
de David, et la mère de Marie de la race d'Aaron ; mais, disaient ils,
ces familles étaient tombées dans l'obscurité la plus complète, et Jésus
allait ça et là avec des gens de bas étage ; il se souillait en frayant
avec des publicains et des païens et caressait les esclaves. Ils avaient
ou' dire que, tout récemment, dans les environs de Bethléem, Jésus
s'était entretenu familièrement avec les Sichémites qui revenaient de
leur travail : ils supposaient qu'il pourrait bien avoir le dessein de
soulever la populace. Quelques uns prétendaient que c'était peut être un
enfant supposé, puisqu'il s'était une fois donné pour un fils de roi.
C'était une fausse interprétation de sa parabole. Il devait avoir été
instruit secrètement, croyaient ils, et ce ne pouvait être que par le
diable ; car il se retirait souvent à part et passait les nuits, seul,
dans des lieux déserts ou sur des collines. Ils avaient déjà pris des
informations sur tout cela. Parmi ces vingt personnes, il s'en trouvait
plusieurs qui connaissaient mieux Jésus et ses adhérents, qui avaient
été fort touchées de ses discours, et qui étaient au nombre de ses amis
secrets. Mais ils ne contredisaient pas les autres, afin de rester en
position de rendre des services à Jésus et à ses disciples auxquels,
dans la suite, ils envoyèrent fréquemment des informations. On finit par
répandre dans Jérusalem la décision suprême des vingt ; c'est ainsi
qu'on qualifiait leur opinion que Jésus devait avoir été instruit par le
diable.
Le baptême qui avait eu
lieu à Galala fut annoncé à Jean par ses disciples et représenté comme
une usurpation sur ses droits. Mais il continua à déclarer, comme
toujours, en s'humiliant profondément, qu'il céderait bientôt la place à
son Seigneur, dont il avait été le précurseur, et auquel il avait
préparé la voie. Toutefois, ses disciples ne le comprirent pas.
Le 14, Jésus, accompagné
d'une vingtaine de personnes, s'avança à deux lieues vers le nord, dans
la plaine de Galgala : ils passèrent un cours d'eau à l'aide d'un tronc
d'arbre, après quoi ils traversèrent un bois et se dirigèrent au levant,
par un chemin qui menait au Jourdain. Ils passèrent le fleuve sur un
radeau dirigé par des rameurs. Il y avait des bancs le long de ce radeau
; au milieu se trouvaient de grands baquets où l'on plaçait les chameaux
qui, autrement, auraient pu enfoncer leurs pieds dans l'eau, entre les
poutres. Il y avait place pour trois chameaux. En ce moment, il n'y en
avait point ; le Seigneur et ses disciples étaient seuls. C'était le
soir, et le passage se faisait aux flambeaux. Jésus raconta la parabole
du semeur, qu'il expliqua encore le lendemain. Le passage durait bien un
bon quart d'heure, car le fleuve était très rapide en cet endroit ; il
fallait d'abord remonter à une certaine hauteur, puis se laisser porter
parle courant. Le lieu où ils abordèrent n'était pas tout à fait en face
de celui d'où ils étaient partis. Le Jourdain est un singulier fleuve :
en beaucoup d'endroits on ne peut pas le passer, et il n'y a pas de
chemin le long de ses rives escarpées. Souvent il tourne très court, et
semble couler vers un point autour duquel il fait un détour. Souvent il
est hérissé de rochers où ses eaux se brisent en mille endroits ; il y a
aussi beaucoup d'îles. Il est tantôt trouble, tantôt limpide, selon la
nature du sol.
Il y a aussi quelques chutes ; son eau est douce et tiède.
A l'endroit où ils
débarquèrent, il y avait des maisons de publicains. Il passait là une
grande route qui descendait du pays de Cédar, vers lequel se dirigeait
une vallée. Jésus entra chez des publicains qui avaient déjà reçu le
baptême de Jean. Plusieurs de ses compagnons furent choqués de ce qu'il
en agissait si familièrement avec ces gens méprisés, et ils se tinrent à
l'écart. Jésus et ses disciples passèrent ici la nuit ; les publicains
les hébergèrent avec beaucoup d'humilité. Leurs maisons étaient dans le
fond de la vallée, tout contre le Jourdain ; un peu plus loin étaient
les hôtelleries pour les marchands et les chameaux. Il y en avait un
grand nombre pour le moment : ils se trouvaient arrêtés là, parce qu'ils
ne pouvaient pas se mettre en route à cause de la fête des Tabernacles
qui commençait le lendemain. La plupart étaient pa'ens, mais ils étaient
obligés d'observer le repos des jours de fête.
Les publicains demandèrent
à Jésus ce qu'ils devaient faire du bien mal acquis. Jésus répondit
qu'il fallait le porter au temple : il entendait cela dans le sens
spirituel, et voulait parler de la communauté chrétienne qui se forma
par la suite. On devait acheter de cet argent un champ pour de pauvres
veuves, près de Jérusalem. Il leur expliqua aussi pourquoi ce devait
être un champ : cela se liait à un développement de la parabole du
semeur.
Le jour suivant, Jésus alla
avec eux dans les environs, sans quitter les bords du fleuve. Il parla
encore là du semeur et de la moisson à venir. C'était probablement à
cause de la fête des Tabernacles, qui est en même temps la fête de la
récolte des fruits et du vin.
J'ai oublié de dire que, tout récemment, lorsqu'il vit faire la moisson
dans la vallée des Bergers, où il parla aux Sichémites on faisait aussi
la vendange dans cet endroit.
Quand le Seigneur eut
marché quelque temps avec les publicains, et leur eut donné des
enseignements dont j'ai oublié une grande partie, je le vis, ce même
jour, continuer sa route en suivant la vallée jusqu'à un endroit peu
éloigné où s'élevaient des deux côtés des rangées de maisons qui
bordaient le chemin pendant une demi lieue en bas et en haut des
montagnes. On allait par là à Dibon, dont cet endroit semblait être un
faubourg. Dans toutes ces maisons on célébrait la fête des Tabernacles ;
à côté des maisons étaient dressées des cabanes de feuillage, ornées de
bouquets, de guirlandes de fruits et de grappes de raisin. Je vis d'un
côté du chemin les cabanes de feuillage, et à part des cabanes plus
petites pour les femmes : de l'autre côté, celles où l'on tuait les
animaux. Dés gens portant toute espèce d'aliments traversaient le
chemin, ainsi que des troupes d'enfants, allant d'une cabane à l'autre.
Ils faisaient de la musique et chantaient ; ils étaient couronnés de
guirlandes et avaient des instruments triangulaires avec des anneaux ;
ils les faisaient sonner. Ils avaient aussi des triangles où étaient
tendues des cordes, et un instrument à vent auquel étaient adaptés
plusieurs tuyaux roulés comme des serpents.
Jésus s'arrêtait ça et là
et enseignait : on lui offrit à manger ainsi qu'aux disciples, notamment
des grappes de raisin portées par deux personnes sur des bâtons. Le
soir, le Seigneur logea dans une hôtellerie, à l'extrémité de cette
rangée de maisons, non loin de la grande et belle synagogue de Dibon,
qui était située entre Dibon et ces habitations, sur une large place au
milieu du chemin ; elle était entourée d'arbres. Jésus fut aussi hébergé
dans une cabane de feuillage et il y enseigna.
Le jour d'après, Jésus
enseigna dans la synagogue. Il raconta encore la parabole du semeur, il
enseigna sur le baptême et sur l'approche du royaume de Dieu, parla
aussi de la fête des Tabernacles et de la manière dont on la célébrait
ici. Il reprocha à ces gens de mêler des choses païennes à leur culte,
car il y avait encore ici des Moabites, et les habitants avaient
contracté des alliances avec eux. Lorsque Jésus sortit de la synagogue,
il trouva sur la place beaucoup de malades qu'on avait apportés dans des
litières. Ils criaient : " Seigneur, vous êtes un prophète ! vous êtes
l'envoyé de Dieu, vous pouvez nous secourir. Secourez nous, Seigneur ? "
Il en guérit plusieurs. Le soir, on lui donna, ainsi qu'aux siens, un
grand repas dans l'hôtellerie. Il y avait dans le voisinage beaucoup de
marchands païens qui écoutaient. Il parla de la vocation des gentils, de
l'étoile qui avait paru dans le pays des rois mages, et du voyage
qu'avaient fait les rois pour visiter l'Enfant.
Il quitta cet endroit
pendant la nuit, et alla seul prier sur une montagne. Il donna rendez
vous à ses disciples pour le jour suivant sur la route du côté du Dibon.
Dibon est à six lieues de Galgala ; c'est un endroit où il y a beaucoup
de sources et de prairies ; on y voit beaucoup de jardins et de
terrasses.
Remarque. Aujourd'hui, 17
octobre et les jours suivants, la narratrice, qui était très souffrante,
fut tellement gênée et dérangée par des visites, qu'elle oublia beaucoup
de choses, et fit peut être plus d'une confusion dans son récit.
Jésus, pendant la nuit, n'alla pas par la route du commerce qui passait
par Dibon, mais il prit un chemin de traverse, à deux lieues du
Jourdain, en remontant le fleuve. Le mercredi matin, je le vis avec les
disciples passer par un misérable village dont les maisons étaient
recouvertes avec des joncs. Les habitants dormaient encore dans les
cabanes de feuillage. Le nom de cet endroit signifie la maison de l'Hyssope.
Jésus ne fit que le
traverser, mais sur le chemin, il parla aux disciples des jugements
terribles qui devaient venir, d'une époque de détresse et de dépravation
où la mère mangerait son propre enfant. Je vis alors une scène de la
destruction de Jérusalem ; je vis une femme qui alors n'était pas encore
née, sortir de cette ville, et, poussée a bout par le désespoir, faire
rôtir son enfant et le manger.
Il alla encore dans une
petite ville où il enseigna ; mais les habitants étaient mal disposés
pour lui. Il se trouvait là des espions de Jérusalem qui le
contredisaient et lui reprochaient ce qu'il disait de son Père céleste.
Il s'arrêta là quelque temps, et quitta cet endroit. Je le vis traverser
une petite rivière.
Vers le soir il arriva à
Sukkoth. La ville n'était pas très grande ; mais il vint à lui une foule
extraordinairement nombreuse où se trouvaient plusieurs malades. Il
enseigna dans la synagogue, et fit donner le baptême. Outre Saturnin,
quatre autres disciples baptisaient. Lorsque Jésus passa devant Jean, il
se trouva entre autres, parmi ceux qui le suivirent, deux frères, neveux
de Joseph d'Arimathie par leur mère : l'un s'appelait Aram, le nom de
l'autre était comme Thémé ou Théméni. Ils étaient de Jérusalem et
orphelins. C'était principalement à cause d'eux que Joseph, qui était
leur tuteur, était venu d'Arimathie. Ils avaient une part de propriété
dans le jardin où Jésus fut enseveli. Leur souvenir m'est revenu à la
fête de saint Luc. Ils furent disciples de saint Luc, qu'ils avaient
connu antérieurement, lorsqu'il voyageait encore en qualité de médecin
et de peintre, et auquel ils communiquaient fréquemment des nouvelles de
toute espèce. Ils furent aussi avec saint Paul, mais alors ils avaient
reçu d'autres noms. Ils allèrent avec Luc en Egypte, et aussi en
Bithynie, ou il fut martyrisé : c'est un pays par rapport auquel la
Judée est très élevée.
A Sukkoth, le baptême se
donnait près d'une fontaine située dans une grotte creusée dans le roc,
et tournée au couchant vers le Jourdain. Toutefois, on ne pouvait pas
voir le fleuve de là, à cause d'une colline qui interceptait la vue.
L'eau de la fontaine venait pourtant du Jourdain ; elle était très
profonde. La lumière y arrivait d'en haut par des ouvertures : devant la
grotte était un lieu de plaisance spacieux, élégamment arrangé, avec des
arbustes, des touffes de plantes aromatiques et du gazon. Il y avait là
une ancienne pierre monumentale qui avait rapport à une apparition de
Melchisédech à Abraham.
Jésus enseigna ici sur le
baptême de Jean : c'était un baptême de pénitence qui devait bientôt
cesser et être remplacé par le baptême du Saint Esprit pour la rémission
des péchés. Il leur fit faire une confession de leurs péchés en général,
après quoi ils s'accusèrent individuellement de leurs principales
transgressions les plus graves et de leurs passions dominantes. Il en
terrifia plusieurs en leur disant les péchés dont ils s'étaient rendus
coupables. Il leur imposa les mains pour les absoudre. Ils ne furent pas
plongés dans l'eau. Près de la pierre commémorative d'Abraham, il y
avait un grand bassin au dessus duquel ceux qui devaient être baptisés
se courbaient, les épaules nées. Celui qui administrait le baptême leur
versait trois fois de l'eau sur la tête avec la main ; un grand nombre
de personnes furent baptisées ici.
Abraham a habité à Sukkoth
avec sa nourrice Maraha. Il y avait des champs en trois endroits. Il fit
déjà ici un partage avec Loth. Ce fut ici que Melchisédech vint pour la
première fois visiter Abraham : ce fut une visite semblable à celle que
lui faisaient souvent les anges. Il lui prescrivit un triple sacrifice
de colombes, d'oiseaux à long bec et d'autres animaux. Il lui dit aussi
qu'il viendrait plus tard à lui pour faire une oblation de pain et de
vin, lui fit connaître différentes choses pour lesquelles il fallait
qu'il priât, et lui annonça aussi des événements futurs concernant
Sodome et Loth. Melchisédech, à cette époque, n'avait plus sa résidence
terrestre à Salem. Jacob aussi demeura ici.
Pendant que Jésus était à
Dibon, je vis Luc dans la vallée de Zabulon chez Barthélémy qui y avait
son établissement. Ils parlaient du baptême de Jean que Barthélémy avait
reçu, et des bruits qui couraient sur Jésus. Luc ne pouvait pas
comprendre qu'il frayât avec des gens de si bas étage. Je ne sais pas
trop de quelle religion était Luc. Il n'était ni juif ni païen : c'était
un savant qui recueillait partout des informations. Il était d'Antioche
et portait un costume plutôt romain que juif : il avait étudié en Egypte,
exerçait la médecine, recueillait des plantes, et il choisissait aussi
des idoles qu'il envoyait en Egypte. Il eut des relations fréquentes
avec les disciples de Jésus, mais ce ne fut que peu de temps avant la
mort du Sauveur qu'il s'adjoignit définitivement à eux.
(18 octobre. ) Jésus
continua son voyage vers le grand Chorazim, où il avait donné rendez
vous à sa mère et aux saintes femmes dans une hôtellerie située près de
là. Il passa par Geras où il célébra le sabbat. Après le sabbat, il se
rendit à une hôtellerie située dans le désert, à quelques lieues de la
mer de Galilée. Les gens qui la tenaient demeuraient dans le voisinage.
On l'avait ornée comme une cabane de feuillage. Les saintes femmes
l'avaient louée depuis quelques jours et y avaient tout disposé ; elles
y célébraient vraisemblablement pour leur compte la fête des
Tabernacles. Elles faisaient venir leur nourriture de Gerasa. La femme
de Pierre était avec elles ainsi que toutes les autres, même Suzanne de
Jérusalem, mais non Véronique. Jésus s'entretint en particulier avec sa
mère ; il lui dit qu'il irait encore à Bethanie, puis au désert. Marie
était sérieuse et triste : elle le pria de ne pas aller à Jérusalem,
parce qu'elle avait entendu parler de la délibération qui y avait eu
lieu à son sujet. Jésus passa la nuit ici.
Plus tard, il enseigna sur
une colline où était un siège de pierre qui avait autrefois servi de
chaire. Il y avait là beaucoup de gens du pays et une trentaine de
femmes. Celles ci se tenaient à part toutes ensemble. l
Après l'instruction, il dit
à ses compagnons qu'il se séparerait bientôt d'eux pour un temps, qu'ils
devraient alors s'en aller chacun de leur côté, et les femmes de même,
jusqu'à ce qu'il fût de retour. Il parla aussi du baptême de Jean qui
allait cesser, et de persécutions qui l'attendaient lui et tous les
siens.
(23 octobre) Le dimanche
soir, Jésus quitta l'hôtellerie avec une vingtaine de disciples et de
compagnons, et alla au sud ouest dans un district situé à environ douze
lieues. Sur sa route étaient plusieurs villes dont j'ai oublié les noms
en partie. J'ai vu cette nuit tant de villes dont il ne reste plus trace
! Il arriva près d'une ville devant laquelle était une hôtellerie qui
avait été louée à perpétuité pour lui et les siens. : Marthe, qui venait
de voyager pour la première fois en compagnie des saintes femmes
lorsqu'elles étaient allées à Gerasa, avait, lors de ce voyage, tout
disposé dans cette hôtellerie. Les gens qui la tenaient demeuraient dans
le voisinage. Les amis de Jérusalem en faisaient les frais. Les femmes
l'avaient indiquée hier à Jésus, lors de son départ. La ville est à
environ neuf lieues de Jérusalem et à six ou sept de Jéricho.
Des Esséniens demeuraient
dans le voisinage de l'hôtellerie ; ils vinrent trouver Jésus, lui
parlèrent et mangèrent avec lui. Il alla aussi à la synagogue et
enseigna sur le baptême de Jean, disant que c'était un baptême de
pénitence, une première purification incomplète, cérémonie préparatoire,
comme il s'en trouve quelques unes dans la loi, et qu'il différait du t
baptême de Celui que Jean annonçait. Je n'ai vu rebaptiser ceux qui
avaient reçu le baptême de Jean qu'après la mort de Jésus et la descente
du Saint Esprit : cela se fit à la piscine de Bethesda. Les pharisiens
de l'endroit lui demandèrent à quels signes on devait reconnaître le
Messie, et il le leur dit. Il prêcha contre les mariages mixtes avec les
Samaritains et avec les païens.
Judas Iscariote, qui fut
plus tard apôtre, avait assisté ici à la prédication de Jésus. Il vint
seul et non pas avec les disciples. Après avoir écouté Jésus deux jours
de suite, et bavardé à ce sujet avec les pharisiens qui contredisaient
le Sauveur, il était allé à un endroit voisin assez mal famé, et il
avait parlé avec emphase à un homme pieux de l'enseignement de Jésus.
Cet homme fit prier Jésus de venir le voir.
Judas s'occupait de trafic,
tenait des écritures et se chargeait de toute espèce de commissions pour
les uns et les autres. Il avait hautement vanté Jésus ici, car c'était
un flatteur, et il disait à chacun ce qu'il croyait devoir lui plaire.
Il partit avant l'arrivée de Jésus.
(24 octobre) Jésus, sur
l'invitation de l'homme dont il a été question, se rendit chez lui avec
ses disciples, après avoir fini son instruction. Ce bourg n'était pas
grand, il était d'origine nouvelle et en assez mauvais renom, à cause
des gens de toute espèce qui l'habitaient. Il doit s'être passé près
d'ici quelque chose qui a rapport aux Benjamites : car il y avait dans
le voisinage un arbre entouré d'un mur dont personne n'approchait. il y
avait aussi un endroit où Abraham et Jacob avaient offert des
sacrifices. Esau s'y était retiré lorsque Jacob et lui se brouillèrent
au sujet de la bénédiction paternelle. Isaac résidait alors près de
Sichar.
L'homme que Jésus vint
visiter ici s'appelait Ja're. C'était un Essénien de ceux qui vivaient
dans l'état de mariage. Il avait une femme et plusieurs enfants. Ses
deux fils s'appelaient Ammon et Caleb. Il avait aussi une fille que
Jésus guérit plus tard ; mais ce n'est pas le Jaire de l'Evangile. Il
était de la race de l'Essénien Khariot, qui avait fondé les couvents de
Bethléhem et de Maspha, et il savait beaucoup de choses touchant les
parents et la jeunesse de Jésus. Il alla au devant de lui avec son fils,
et le reçut avec beaucoup de déférence. Sa charité faisait de lui le
principal personnage de cet endroit mal famé. Il prenait soin des
pauvres, instruisait, à certains jours fixés, les enfants et les
ignorants, car il n'y avait en ce lieu ni école, ni prêtres. Il
assistait aussi les malades. Jésus mangea et logea chez lui. Le Seigneur
enseigna ici, comme à l'ordinaire, sur le baptême de Jean, l'approche du
royaume de Dieu, etc. Il alla avec Ja're voir les malades et les consola
: toutefois, il ne voulut pas opérer de guérisons. Il promit qu'il
reviendrait dans quatre mois, et qu'alors il les guérirait. Dans sa
prédication, il fit allusion aux événements qui s'étaient passés ici,
rapprocha la conduite d'Esau, qui dans son ressentiment s'était éloigné
de son frère, des sentiments de mépris et de répulsion que cet endroit
inspirait aux autres juifs. Il parla de la miséricorde du Père céleste,
en vertu de laquelle la promesse était accomplie pour tous ceux qui
croyaient à celui qu'il avait envoyé, recevaient le baptême, faisaient
pénitence, et dit comment la pénitence interrompait les suites des
mauvaises actions.
Le soir, Jésus partit pour
Bethanie, accompagné de Jaïre, des fils de celui ci et des disciples.
Les premiers allèrent avec lui jusqu'à moitié chemin. Le jour suivant,
Jésus était avec ses disciples dans une hôtellerie voisine de Bethanie.
Il y enseigna longtemps, et en prenant congé de ses auditeurs, il parla
des dangers qu'il aurait à courir ainsi que tous ceux qui
l'accompagneraient dans la carrière où il allait entrer. Il leur dit
aussi qu'ils étaient libres de le quitter, et qu'il leur fallait
mûrement réfléchir s'ils voulaient à l'avenir persévérer avec lui.
Lazare vint ici à sa
rencontre, et lorsque les disciples furent partis pour retourner chez
eux, il ne resta avec lui qu'Aram et Théméni qui l'accompagnèrent à
Bethanie, où plusieurs de ses amis de Jérusalem l'attendaient. Les
saintes femmes y étaient aussi, entre autres Véronique.
(26 octobre) Je vis
aujourd'hui Jésus à Bethanie chez Lazare. Nicodème, Joseph d'Arimathie,
Obed, fils de Véronique, Jean Marc et Simon le lépreux, un pharisien de
Bethanie, ami de Lazare, se trouvaient là. Jésus enseigna sur le baptême
de Jean et sur celui du Messie, sur la loi et son accomplissement, sur
toutes les sectes des juifs et sur les caractères qui les distinguaient.
On avait apporté de Jérusalem des livres de l'Ecriture, et il leur
expliqua des passages des prophètes qui se rapportaient au Messie. Tous
n'étaient pas présents à cette explication, mais seulement Lazare et
quelques uns des plus intimes. Jésus parla de sa résidence future : ils
lui conseillèrent de ne pas s'établir à Jérusalem, et ils lui firent
part de tout ce qu'on y disait de lui. Ils l'engagèrent à résider à
Salem, parce qu'il y avait peu de pharisiens. Il parla de tous ces
lieux, et parla aussi de Melchisédech, dont le sacerdoce devait avoir
son accomplissement, ajoutant que Melchisédech avait mesuré les chemins
et posé les fondements des lieux où le Père céleste voulait que le Fils
de l'homme passât. Il leur dit encore qu'il serait le plus souvent sur
les bords du lac de Génésareth, etc. Jésus eut cet entretien avec eux
dans un lieu retiré des appartements qui donnaient sur le jardin.
Jésus s'entretint aussi
avec les femmes. Ce fut dans les anciens appartements de Madeleine, qui
avaient vue sur la route de Jérusalem. Sur la demande de Jésus, Lazare
lui amena sa soeur Marie la Silencieuse et le laissa avec elle : les
autres femmes se retirèrent dans le vestibule.
Aujourd'hui, Marie se
comporta avec Jésus tout autrement que la première fois. Elle se
prosterna devant lui et lui baisa les pieds. Jésus la laissa faire et la
releva en la prenant par la main. Comme l'autre fois, elle parla les
yeux levés au ciel, et tint les discours les plus profonds et les plus
merveilleux, ce qu'elle fit de la façon la plus simple et la plus
naturelle. Elle parla de Dieu, de son Fils et de son royaume, comme une
fille de la campagne parlerait du père de son seigneur et de l'héritage
de celui ci. Tout ce qu'elle disait était prophétie, parce qu'elle
voyait tout devant ses yeux. Elle parla des dettes énormes qu'avait
accumulées une mauvaise administration dirigée par des serviteurs et des
servantes infidèles ; maintenant le Père avait envoyé son Fils pour tout
remettre en ordre et tout payer ; mais il devait être mal accueilli,
mourir dans les tourments, racheter son royaume au prix de son sang, et
acquitter les dettes des serviteurs, afin qu'ils pussent redevenir les
enfants de son Père Elle disait tout cela en très beaux termes, d'une
façon toute naturelle, comme si elle eût parlé de quelque chose qui se
passait près d'elle : elle s'en réjouissait, puis elle s'attristait de
ce qu'elle aussi était une servante inutile, et de ce qu'un si rude
labeur était imposé au Fils du Seigneur et du Père miséricordieux. Elle
gémissait aussi de ce que les serviteurs ne voulaient pas comprendre
cela : c'était pourtant bien naturel et il en devait être ainsi. Elle
parla encore de la résurrection, dit que le Fils devait aller aussi
visiter ces serviteurs qui languissent dans les prisons souterraines,
pour les consoler et les délivrer après qu'il les aurait rachetés ;
qu'alors il reviendrait avec eux vers son Père, et que tous ceux qui ne
le reconnaîtraient pas comme leur Rédempteur et continueraient leurs
mauvaises pratiques, seraient jetés dans le feu quand il reviendrait
pour juger. Elle parla de la mort et de la résurrection de Lazare. "Il
quitte ce pays, disait elle, il regarde tout, et on pleure autour de lui
comme s'il ne devait jamais revenir : mais le Fils le rappelle, et il
travaille à la vigne. " Elle parla aussi de Madeleine et dit : "La jeune
fille est dans l'affreux désert où étaient les enfants d'Israël (38),
à la mauvaise place où il fait si sombre et que le pied de l'homme n'a
jamais foulée : mais elle en sortira pour aller dans un autre désert où
elle réparera tout par la pénitence. "
Marie la Silencieuse
parlait d'elle même comme d'une prisonnière. Son corps lui paraissait
une prison. Elle ne savait pas que c'était là la vie, et elle désirait
ardemment retourner dans sa maison. Tout était étroit ici et personne ne
la comprenait ; ils étaient comme des aveugles. Elle se résignait
pourtant volontiers à rester : elle voulait attendre tranquillement :
certainement elle ne méritait pas mieux.
Jésus lui parla très
affectueusement : il la consola et lui dit : " Tu retourneras dans la
patrie après la Pâque, lorsque je reviendrai ici. "Ensuite il lui donna
sa bénédiction, qu'elle reçut à genoux. Il lui imposa les mains, et il
me sembla qu'il lui versait quelque chose sur la tête avec une fiole :
je ne sais pas bien si c'était de l'huile ou de l'eau. J'eus l'idée
confuse que c'était un baptême. Mais je n'en puis rien dire : cela est
resté obscur pour moi, et je crois maintenant que peut être je ne dois
pas le savoir. " Après un intervalle de silence, la narratrice continua
en ces termes : " Marie la Silencieuse était une très sainte personne.
Nul ne la connaissait et ne la comprenait ; elle vivait entièrement
absorbée dans des visions touchant l'oeuvre de la Rédemption que
personne ne pressentait, mais qu'elle comprenait d'une façon tout à fait
na've. On la croyait idiote. Lorsque Jésus lui fit connaître l'époque où
elle mourrait, et lui dit qu'elle sortirait alors de sa prison pour
retourner dans sa demeure, il lui fit une onction sur le corps en vue de
sa mort. On peut induire de là que le corps a plus de valeur que
beaucoup de gens ne le croient. Jésus prit pitié de Marie la
Silencieuse, qui, étant considérée comme aliénée, ne devait pas être
embaumée. Sa sainteté était un secret. Jésus congédia Marie la
Silencieuse, et elle retourna dans son appartement.
Jésus s'entretint ensuite
avec les hommes, et leur parla du baptême de Jean et du baptême du Saint
Esprit. Je ne me souviens d'aucune différence considérable entre le
baptême de Jean et le premier baptême donné par les disciples de Jésus :
celui ci seulement se rapportait d'une manière plus prochaine à la
rémission des péchés. Je n'ai vu rebaptiser aucun de ceux qui avaient
reçu le baptême de Jean qu'après la descente du Saint Esprit. Avant le
sabbat, les amis de Jérusalem retournèrent à la ville. Aram et Théméni
allèrent avec Joseph d'Arimathie. Jésus leur avait dit qu'il voulait se
séparer des hommes pendant quelque temps, afin de se préparer à sa
laborieuse prédication. Il ne leur dit pas qu'il voulait jeûner.
34.
Auparavant on
ne mettait sur les baptisés qu'un drap blanc de petite
dimension, mais à partir du baptême de Jésus, on en employa un
plus grand.
35. Cette tour a été
décrite en détail dans la Vie de la sainte Vierge.
36. Ce qui
concerne cette grotte se trouve tout au long dans la Vie de la
sainte Vierge.
37. Dans le
Voyage à Jérusalem du franciscain Ant. Gonzalez, Anvers, 1673,
on lit première partie, page 556 ; qu'à un mille d'Hébron, dans
la direction de Jérusalem, à gauche du chemin, il est allé dans
un village appelé Village de Marie, où la sainte Vierge s'est
arrêtée lors de faite en Egypte. Il est situé sur une hauteur et
il y a encore une église entière avec trois arcades et trois
portes. Sur le mur on voit encore une peinture représentant
Marie avec l'Enfant, montée sur un âne et conduite par saint
Joseph : au bas de la montagne sur laquelle sont l'église et le
village, se trouve une belle fontaine appelée la fontaine de
Marie.
38. La narratrice
ne se souvient plus quel désert des enfants d'Israël. Marie la
Silencieuse comparait avec l'état de Madeleine. Elle dit à ce
sujet : " C'était un affreux endroit. Les Israélites y vinrent
après avoir fait quelque chose de mal, et Aaron dit que personne
n'y avait jamais mis le pied : ils n'y restèrent que onze jours.
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