LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

sainte
CATHERINE DE SIENNE
dominicaine, auteur mystique
et Docteur de l'Église
(1347-1380)

INDEX

TROISIÈME PARTIE

CXLIV

Providence de Dieu envers les imparfaits pour les conduire à la perfection.

CXLV

Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite.

CXLVI

Résumé de ce qui précède.- Explication des paroles de Jésus-Christ à saint Pierre : "Jetez vos filets à droite". (Saint Jean, XXI, 6.)

CXLVII

De ceux qui jettent plus parfaitement que les autres les filets dans la mer.

CXLVIII

Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie et dans l'autre.

CXLIX

Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres, même dans les choses temporelles.

CL

Des maux que causent la possession et le désir déréglé des richesses.

 

TROISIEME PARTIE

CXLIV

Providence de Dieu envers les imparfaits pour les conduire à la perfection.

1.     Sais-tu, ma fille bien-aimée, quelle conduite je tiens à l'égard des imparfaits pour les mener à la perfection et les faire avancer dans la vertu ? Quelquefois je les éprouve par la confusion de leurs pensées ou par la stérilité de leur esprit. Il semble à l'âme que je l'ai abandonnée et qu'il n'y a plus en elle aucune affection ; elle ne peut se reposer dans le monde, parce qu'elle ne lui appartient pas, et il lui paraît qu'elle m'est étrangère, parce qu'elle n'éprouve aucun bon sentiment ; sa volonté seulement l'empêche de m'offenser. Et comme dans l'homme la volonté est la porte principale qui garde l'âme, je lui ai fait présent d'une liberté forte et indépendante. Je ne laisse jamais les démons et les autres ennemis de l'homme ouvrir et forcer cette porte, à moins que le libre-arbitre n'y consente ; mais je leur permets souvent d'attaquer et de briser les autres portes de l'âme.

2.      La cité de l'âme a plusieurs portes ; elle en a trois principales : la première est la volonté, qui est inexpugnable et garde toutes les autres ; la force, que je lui ai donnée, est le libre arbitre, qui peut ouvrir et fermer à qui lui plaît et quand il veut. Les autres portes sont la mémoire et l'entendement ; si la volonté cède et ouvre, aussitôt entre l'ennemi, qui est l'amour-propre, avec les autres ennemis qui l'accompagnent. L'entendement reçoit les ténèbres qui combattent la véritable lumière ; la mémoire retient la haine, qui naît du souvenir de l'injure et qui détruit la charité du prochain. Elle se rappelle les plaisirs et les jouissances de la vie du monde, aussi variés que les péchés opposés aux vertus.

3.     Dès que ces trois portes omit cédé, toutes les petites portes des sens sont ouvertes ; les sens extérieurs sont des instruments, des organes qui correspondent à l'âme. Ces portes prises correspondent à ces organes ; et alors l'harmonie est détruite, le mal souille tous les rapports et tous les actes qui en viennent. L’œil dorme et propage la mort, parce qu'il considère une chose morte avec un regard coupable et dissolu ; et ce regard entraîne là légèreté, la vanité du cœur et un extérieur déshonnête, qui lui cause la mort et la donné aux autres. Malheureux, tu profanes ce que je t'ai donné dans ma bonté ; tu devais regarder le ciel et tout ce qui est beau dans mes créatures, pour me glorifier et admirer les mystères de ma providence ; et, en n'y voyant que matière et corruption, tu n'arrives qu'à la mort.

4.      L'oreille aussi se délecte de choses déshonnêtes et de propos sur le prochain, qu'elle juge sans examen comme sans justice, et je l'ai donnée à l'homme pour qu'il écoute ma parole et serve son semblable. Je lui ai donné la langue pour confesser ses fautes, annoncer ma vérité et travailler au salut des âmes ; il en abuse pour blasphémer son Créateur et perdre son prochain, qu'il déchire par ses mensonges. Il blâme le bien et loue le mal qu'il voit faire ; il rend de faux témoignages, il corrompt son âme et celle des autres par des paroles lascives. Ses lèvres profèrent des injures, qui blessent le cœur comme un glaive aigu, et qui provoquent la haine et la colère. Oh! combien la langue produit d'homicides, d'impuretés, de colères, de querelles, de haines, de maux de toute espèce !

5.     L'odorat commet l'offense en abusant du plaisir qu'il trouve dans ses sensations ; le goût, avec son avidité insatiable et ses appétits désordonnés, demande sans cessé des mets, et ne semble occupé qu'à remplir le corps ; et cette âme malheureuse ne s'aperçoit pas que ces excès allument dans sa chair fragile une chaleur pernicieuse qui engendre presque toujours la corruption.

6.      Les mains se perdent aussi en ravissant le bien d'autrui et en faisant des actes honteux et déshonnêtes, tandis qu'elles sont données à l'homme pour servir son semblable, surtout quand il est malade, et pour lui distribuer l'aumône dont il a besoin. Les pieds lui sont accordés seulement pour aller où l'appelle son utilité, celle du prochain et la gloire de mon nom ; il s'en sert souvent pour aller à des rendez-vous coupables, pour courir aux conversations légères et défendues, qui corrompent son âme et celles des autres au gré de ses mauvais désirs.

7.     Je te dis tout cela, ma fille bien-aimée, pour que tu redoubles tes pieux gémissements à la vue de cette noble cité de l'âme si cruellement désolée. Tu vois bien que toutes ces iniquités entrent par la porte principale de la volonté, que nul ennemi de l'homme ne peut ouvrir par la violence. Mais je permets que les portes soient attaquées et forcées par l'ennemi ; quelquefois je permets que d'épais nuages tourmentent et obscurcissent l'entendement ; quelquefois c'est la mémoire qui ne peut plus se souvenir de moi. D'autres fois il semble qu'il y a des révoltes dans les sens de votre corps, même en voyant, en touchant, en entendant et en sentant les choses saintes ; quand vous vous en approchez, on dirait que tout apporte à vos sens un trouble honteux et corrupteur. Mais ces choses ne donnent pas la mort à l'homme ; je l'en préserve, à moins qu'il n'ouvre follement la porte de sa volonté.

8.      Je permets que les ennemis frappent au dehors, mais non pas qu'ils entrent malgré lui ; ils ne le peuvent que si le libre arbitre devient leur complice. Pourquoi permettre que cette âme soit tourmentée par tant d'ennemis qui l'assiègent ? Ce n'est pas pour qu'elle succombe et qu'elle perde les richesses de la grâce ; c'est pour qu'elle comprenne ma providence, qu'elle espère en moi, et non pas en elle-même ; c'est pour qu'elle se réveille de sa négligence, et que, pleine d'une sainte inquiétude, elle se réfugie vers moi qui suis son protecteur, son tendre père ; vers moi qui veux la sauver en lui faisant reconnaître humblement qu'elle n'est rien par elle-même, et qu'elle reçoit son être et ses grâces de moi qui suis sa vie.

9.     Dès que l'âme reconnaît cette vérité et se fie en ma providence, elle éprouve mon secours dans tous ses combats ; car chaque jour je permets qu'elle soit tourmentée de la manière qui convient le plus à son salut, Il lui semble quelquefois qu'elle est en enfer, et bientôt, sans aucun effort de sa part, elle se trouve délivrée de toute angoisse, et elle savoure dans une paix profonde comme un avant-goût du ciel. Tout en elle est calme et bien ordonné ; tout la porte à Dieu, et son cœur s'enflamme d'amour en contemplant les mystères de ma providence. Elle se sent délivrée des tempêtes de cette mer profonde, non par elle-même, puisqu'elle a vu tout-à-coup la lumière, mais par mon ineffable bonté, qui a pourvu à ses besoins au moment même où elle paraissait succomber.

10.    Pourquoi, lorsqu'elle m'adressait des prières humbles et ferventes, ne l'ai-je pas exaucée, en dissipant ses ténèbres et en lui rendant la lumière ? C'est parce qu'elle était encore imparfaite, et qu'il ne fallait pas qu'elle s'attribuât ce qui ne venait certainement pas d'elle. Ainsi, tu vois comment l'imparfait, en s'exerçant aux combats, marche vers la perfection, parce que ces combats lui l'ont éprouver ma providence, et voir par l'expérience ce qu'il croyait auparavant par la foi, Cette certitude qu'il acquiert lui inspire une charité plus parfaite, parce qu'il connaît davantage ma bonté dans ma providence, et qu'il abandonne l'imperfection de son amour.

11.   J'use aussi d'une sainte fraude pour retirer l'homme de son imperfection : je lui donne quelquefois une affection spirituelle et particulière pour une créature, afin que par ce moyen il s'exerce dans la vertu et se corrige de ses défauts. Son cœur se dépouille de l'amour sensible qu'il portait aux autres créatures, à ses parents, à ses frères, à ses sœurs, et il ne les aime que dans le Seigneur, sans aucun mouvement charnel. Cette affection pure, que je lui ai donnée, détruit l'affection déréglée qu'il avait pour les autres créatures, et le fait sortir de son imperfection.

12.    Mais, remarque-le bien, cet amour spirituel ne doit avoir d'autre résultat que d'éprouver si l'amour de l'âme pour moi et pour cette créature est parfait. C'est un moyen que je lui ai donné de le reconnaître. L'âme reconnaîtra que son amour est imparfait, si elle voit qu'elle s'aime elle-même et qu'elle n'aime pas uniquement ce qui lui vient de moi.

13.   L'âme qui est encore imparfaite m'aime d'un amour imparfait, et, par conséquent, elle aime aussi d'un amour imparfait son prochain, parce que la charité parfaite envers le prochain ne peut avoir d'autre source que la charité parfaite envers moi ; c'est avec la même mesure qu'on m'aime et qu'on aime le prochain.

14.    Comment cette âme sera-t-elle éclairée par le moyen de la créature ? De beaucoup de manières, comme je te l'ai déjà montré. Voici une autre manière que je vais t'expliquer. Quelquefois cette créature qui est l'objet de son affection particulière, la prive de sa présence, et lui retire la douceur de ses entretiens, où elle goûtait tant de consolations ; ou bien il semble que cette personne aimée lui en préfère une autre : et alors la peine qu'elle en ressent la porte à se connaître elle-même. Si elle veut marcher avec prudence et dans la lumière, elle devra aimer cette créature d'un amour plus parfait, parce que la connaissance de soi-même et la haine de son sens propre combattent l'imperfection et font tendre à la vertu. Celui qui est plus parfait aime plus parfaitement toutes les créatures, en général et en particulier. Ma bonté a voulu que l'homme fût ainsi fortifié par la haine de lui-nième et par J'amour des vertus pendant la vie de son pèlerinage.

15.   L'âme, au milieu de cette épreuve, ne doit pas abandonner ses pieux exercices, et se laisser aller par ignorance à la tristesse du cœur et à un ennui qui bouleverse l'esprit ; ce serait s'exposer û un grand danger et trouver la mort où j'ai placé la vie. Pour éviter ce malheur, l'âme se reconnaîtra humblement indigne de la consolation qu'elle désirait. Elle verra à la lumière de la foi que la vertu qui lui faisait surtout aimer cette créature n'est pas diminuée, et elle s'efforcera d'augmenter dans son cœur une sainte faim et un grand désir de souffrir toutes sortes de peines pour l'honneur et la gloire de mon nom.

16.   Elle accomplira ainsi ma volonté, en acquérant le fruit de perfection que ma grâce a fait mûrir par ces combats et par l'intermédiaire de la créature. Tout ce qui lui arrivé est disposé pour la conduire à ma lumière. Tels sont les moyens que ma providence emploie à l'égard des imparfaits. Elle en a bien d'autres, car ses ressources sont infinies.

CXLV

Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite.

1.     Tu sauras que ma providence veille aussi sur les parfaits, afin d'éprouver et d'augmenter en eux leur perfection ; car, dans cette vie présente, personne n'est si parfait qu'il ne puisse l'être davantage. Voici un des moyens que j'emploie envers eux. Ma Vérité a dit dans l'Évangile : "Je suis la Vigne véritable, et mon Père est le vigneron"(S. Jean, XV, 1). Vous, vous êtes les rameaux. Celui qui reste en celui qui est la Vigne véritable, parce que c'est moi le Père qui l'ai engendré, celui-là porte beaucoup de fruit en suivant ses traces et sa doctrine ; et afin que le fruit augmente tous les jours, je vous émonde par les tribulations, les injures, les moqueries, les humiliations, les contradictions de faits et de paroles, par la faim et la soif, selon qu'il plait à ma bonté, et dans la mesure qui convient à chacun.

2.      La tribulation est le signe qui prouve que la charité est parfaite dans une âme qui sait souffrir avec une douce patience. Les tribulations et les injures que je permets exercent la patience de mes serviteurs. Le feu d'une tendre charité augmente dans leur âme par la compassion qu'ils ressentent pour ceux qui les insultent ; car ils souffrent plus du tort que les autres se font et de l'offense qu'ils commettent envers moi, que de l'injure qu'ils reçoivent. C'est ainsi qu'agissent ceux qui sont arrivés à une grande perfection. Leur vertu se nourrit de tout ce que je permets comme de tout ce que je leur accorde ; je leur donne une faim du salut des âmes qui les fait frapper jour et nuit à la porte de ma miséricorde, tellement qu'ils s'oublient eux-mêmes, comme je te l'ai dit en te parlant de l'état des parfaits.

3.     Plus ils s'abandonnent ainsi, plus ils se retrouvent avec avantage en moi. Où me cherchent-ils ? Dans la vérité, en suivant avec perfection la voie que leur a tracée mon Verbe incarné. Ils ont lu son Livre doux et glorieux ; ils y ont vu qu'en voulant m'obéir, pour montrer combien il aimait mon honneur et combien il désirait le salut du genre humain, mon Fils a couru, au milieu des peines et des opprobres, à la table de la très sainte Croix, où il a pris la nourriture amère du genre humain, Il m'a montré, par les douleurs de son humanité, à quel point il chérissait ma gloire.

4.      Ainsi font mes enfants bien-aimés qui sont parvenus à la perfection ; ils montrent la vérité de leur amour en persévérant humblement dans les veilles et la prière ; ils s'appliquent à imiter les salutaires exemples de mon Verbe incarné, en souffrant avec joie pour le salut du prochain. Ils n'ont pu trouver un meilleur moyen de me prouver qu'ils m'aiment, et, s'ils en avaient trouvé un autre, il eût toujours eu pour instrument la créature raisonnable ; car je te l'ai dit, toute bonne oeuvre s'accomplit par l'intermédiaire du prochain.

5.     Nul bien ne peut se faire sans la charité de Dieu et du prochain ; sans elle les bonnes actions mêmes ne sont pas méritoires, et on ne commet le mal qu'en manquant de cette charité. C'est par les créatures que l'âme montre sa perfection et l'amour qu'elle a pour moi, en travaillant chaque jour, avec ardeur et patience, au salut du prochain. J'éprouve mes serviteurs par la tribulation pendant cette vie, afin qu'ils portent des fruits plus abondants et plus délicieux devant moi, et je me réjouis des parfums de leur patience et de leur vertu.

6.      Oh ! combien ces fruits sont agréables et doux ! quelle consolation et quel avantage en retire l'âme qui souffre sans m'offenser ! Si on le savait, si on le comprenait, avec quelle joie et quelle ardeur on demanderait des épreuves à souffrir ! C'est pour lui procurer ce trésor si peu connu que ma providence paternelle afflige l'âme par tant de tribulations qui empêchent sa patience de se rouiller et de rester oisive. Quand vient le temps de l'épreuve, elle est toujours prête, tandis que, si elle se repose, sa patience contracte souvent une rouille qui la ronge.

7.     J'use aussi quelquefois avec les parfaits d'un utile et doux stratagème, afin de les conserver dans la vertu ils l'humilité : j'endors tellement leur sensibilité, qu'ils ne sentent aucun combat dans leur volonté et dans leurs sens, comme des personnes endormies ; je ne dis pas comme des personnes mortes, parce que dans une âme parfaite la sensualité sommeille, mais n'est pas morte. Dès que la piété se ralentit et que le feu des saints désirs s'éteint, la sensualité s'y réveille avec violence et y soulève de plus grandes tempêtes. Que personne ne se rassure, quelque parfait qu'il soit : il faut toujours se maintenir dans une sainte crainte : car ceux qui se confient en eux-mêmes tombent misérablement.

8.      Je dis que leurs sens paraissent dormir, parce qu'ayant à supporter beaucoup de peines et de travaux, ils ne semblent pas en souffrir ; mais tout à coup, s'il leur arrive une chose légère qui n'est rien et dont ils riront ensuite, ils en ressentent une douleur profonde ; l'âme en sera surprise et consternée. Ma divine providence le permet ainsi pour faire avancer l'âme dans la vertu par la voie de l'humilité. Car l'âme avertie se met en garde contre elle-même ; elle se reproche avec une sainte haine cette sensibilité ; elle la châtie avec une rigueur salutaire, et cette rigueur l'endort bientôt plus parfaitement.

9.     Quelquefois je protège mes amis et mes plus fidèles serviteurs en leur laissant cet aiguillon que ressentait le glorieux apôtre Paul. Après avoir donné à ce vase d'élection la doctrine de ma Vérité dans l'abîme de l'éternelle Trinité, je lui laissai l'aiguillon de la chair. Certainement, je puis pour mes amis, comme je le pouvais pour Paul éteindre ces mouvements que je leur laisse ; mais ma providence les leur conserve pour augmenter leur vertu, pour enrichir leur couronne et les conserver dans une véritable connaissance d'eux-mêmes. Ils y trouvent une humilité précieuse, et y puisent une tendresse plus grande pour le prochain. Ils deviennent plus doux, et compatissent avec plus de zèle aux tentations et aux souffrances des autres, parce qu'ils les éprouvent eux-mêmes. Leur charité s'augmente, et ils courent vers moi tout parfumés d'humilité, tout embrasés de mon amour. C'est par ces moyens et par bien d'autres que je les conduis à l'union parfaite.

10.    Ils arrivent à une telle union et à une telle connaissance de ma bonté, que dès ici-bas ils goûtent les biens du ciel, et ne sentent plus les chaînes de leur corps. A mesure qu'ils me connaissent, ils m'aiment davantage, et celui qui aime beaucoup souffre nécessairement beaucoup, là où croit l'amour, augmente aussi la douleur. Mais quelle douleur peut tourmenter l'âme des parfaits ? Ce ne sont pas les injures qu'on leur adresse, les souffrances de leur corps, les persécutions de leurs ennemis et les tribulations qu'ils peuvent rencontrer ; ils ne souffrent et ne s'affligent que des offenses qui me sont faites parce qu'ils savent et voient clairement combien je suis digne d'être aimé et d'être servi.

11.   Ils pleurent la perte de ces âmes qui marchent dans les ténèbres de la vie présente et qui sont plongées dans un si grand aveuglement. L'amour qui les unit à moi leur fait comprendre combien j'aime ma créature ; et comme ils voient en elle mon image, ils se passionnent pour elle par amour pour moi. De là vient l'immense douleur qu'ils ressentent en la voyant s'éloigner de ma bonté cette peine est si grande, que toutes les autres peines qu'ils éprouvent ne semblent plus rien. Ils n'en tiennent aucun compte et ne. paraissent pas les sentir.

12.    Ma bonté assiste encore mes serviteurs par la connaissance que je leur donne de moi-même. Ils voient en moi, avec une grande amertume, les chagrins et les misères de la vie présente, la damnation des âmes en général et en particulier. J'augmente ainsi leur amour et leur peine, afin que, pressés par le feu des saints désirs, ils crient vers moi avec la ferme espérance et la sainte lumière de la foi pour obtenir le secours nécessaire à tant d'infortunés. Ma divine providence secourt le monde, parce que je me laisse faire violence par les doux et laborieux désirs de mes amis, et ils en profitent eux-mêmes, parce qu'ils arrivent ainsi à une connaissance plus profonde et à une union plus parfaite avec moi.

13.   Tu vois donc que j'assiste les parfaits par un grand nombre de moyens et qu'ils peuvent pendant cette vie augmenter le degré de leur perfection et de leur mérite. C'est pour cela que je les purifie de toute affection propre et déréglée, dans l'ordre spirituel ou temporel. Je les éprouve chaque jour par un grand nombre de tribulations, afin qu'ils portent, en ma présence, des fruits plus abondants et plus parfaits. En voyant les offenses que je reçois, et combien d'âmes sont privées de ma grâce, ils ressentent une peine profonde, qui détruit en eux tout amour nuisible et leur fait supporter et mépriser tous les maux qu'ils rencontrent. Ils estiment autant les épreuves que les consolations, parce qu'ils ne recherchent jamais leur propre satisfaction et qu'ils ne m'aiment pas d'un amour mercenaire pour le bonheur qu'ils y goûtent, mais seulement pour l'honneur et la gloire de mon nom.

14.   Ainsi, ma fille bien-aimée, tu peux voir clairement que les hommes, dans toutes les positions, de toute manière et en tout lieu, ressentent les bienfaits de ma tendre et paternelle sollicitude. Les hommes qui sont dans les ténèbres les méconnaissent, parce que la lumière n'est pas comprise par les ténèbres ; mais ceux qui ont la lumière les comprennent plus ou moins, selon le degré de leur perfection. La lumière s'acquiert par la connaissance véritable que l'âme a d'elle-même, et de cette connaissance vient la sainte haine des ténèbres.

CXLVI

Résumé de ce qui précède.- Explication des paroles de Jésus-Christ à saint Pierre : "Jetez vos filets à droite". (Saint Jean, XXI, 6.)

1.     Ma fille bien-aimée, ce que je t'ai dit de ma providence générale et particulière envers mes créatures, est à la réalité ce qu'est la vapeur d'une goutte d'eau comparée à l'immensité de l'Océan. Je t'ai aussi montré, en te parlant du sacrement Eucharistique, tous les moyens que je prends pour augmenter la sainte faim de l'âme. J'agis d'abord à l'intérieur en lui donnant la grâce par l'intermédiaire de l'Esprit Saint, qui assiste fidèlement l'homme coupable pour le ramener au bien, l'homme imparfait pour le conduire à la perfection, et l'homme parfait pour le rendre plus parfait encore ; car pendant cette vie, vous pouvez vous perfectionner chaque jour. Les parfaits doivent devenir des médiateurs entre moi et les hommes tombés dans l'abîme du péché ; car, je te l'ai déjà dit, c'est à la médiation de mes amis que j'accorderai miséricorde au monde, et c'est à cause de leurs souffrances que je réformerai l'Église.

2.      On peut bien les appeler d'autres Jésus-Christs crucifiés, puisqu'ils en accomplissent l’œuvre. Mon Fils unique est venu comme médiateur pour guérir l'homme de sa misère et le réconcilier avec moi, en souffrant avec patience jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Ainsi font ceux qui sont crucifiés par leurs saints désirs : ils deviennent des médiateurs par leurs humbles prières, leurs exhortations pressantes et leur vie sainte qui les rend des modèles pour tous. Ils brillent comme des pierres précieuses de vertu, en supportant avec une patience véritable les défauts des autres.

3.     Ils ont des moyens de prendre les âmes et ils jettent le filet à droite et non à gauche, comme le dit la Vérité, dans l'Évangile, à Pierre et aux autres disciples après la Résurrection. La gauche est l'amour-propre qui est vaincu et mort en eux ; la droite est l'amour divin pur et véritable avec lequel ils jettent le filet d'un saint désir, en moi, qui suis une mer tranquille. Si tu réunis la pêche qui précéda la Résurrection et celle qui la suivIt, tu verras qu'en tirant à eux les filets, c'est-à-dire se renfermant dans une humble connaissance d'eux-mêmes et de leur nullité, ils trouvent et prennent une telle abondance de poissons, c'est-à-dire d'âmes, qu'ils sont obligés d'appeler des compagnons pour tirer les filets, parce qu'ils ne peuvent y suffire. Pour saisir et jeter leurs filets, ils doivent s'entretenir dans une humilité sincère en appelant le prochain à cette pèche des âmes par le mouvement d'une charité véritable.

4.      Tu dois le voir et l'éprouver en toi-même et dans mes autres amis la charge des âmes qu'ils prennent dans les filets d'un saint désir leur paraît si considérable, qu'ils appellent avec ardeur, afin de n'être pas seuls. Ils voudraient que tout le monde vînt les aider, parce que leur humilité les persuade de leur insuffisance. Ils réclament donc l'humilité et la charité du prochain pour les aider à tirer ces poissons, et ils en trouvent dans leurs filets une grande abondance, quoique beaucoup leur échappent par leurs fautes, et ne veulent pas rester dans cette salutaire captivité.

5.     Les filets du saint désir pourraient assurément prendre tous les poissons, parce que l'âme affamée de non honneur ne se contente pas d'une petite part, mais voudrait tout avoir. Elle désire les bons, parce qu'ils lui aideraient à la pêche, en conservant et augmentant leur perfection ; elle désire avec amour les imparfaits, pour qu'ils deviennent parfaits, et les mauvais pour qu'il deviennent bons. Elle désire les infidèles qui sont dans les ténèbres de l'erreur, pour qu'ils parviennent à la sainte lumière du baptême ; elle désire tous les hommes, quels que soient leur âge et leur condition, parce qu'elle les voit en moi, créés par ma bonté et rachetés par le feu de l'amour et le sang précieux de Jésus-Christ mon Fils.

6.      Elle les comprend tous dans son saint désir ; mais beaucoup échappent à ses filets, en s'éloignant de la grâce ou en persévérant dans le péché mortel. Ils sont cependant toujours poursuivis par le désir et la prière continuelle de l'âme ; car l'homme a beau par le péché s'éloigner de moi et de l'amour, du respect qu'il doit avoir pour mes serviteurs, l'ardeur de la charité et de la soif de salut des âmes ne se ralentit pas en eux, et il jettent toujours leurs filets à droite.

7.     O ma fille bien-aimée ! tu vois dans l'Évangile ce que fit Pierre, mon apôtre, lorsque ma Vérité lui ordonna de jeter les filets à la mer ; il répondit : "Maître, nous avons travaillé toute la nuit et nous n'avons rien pris ; mais sur votre parole je jetterai le filet. Il le fit, et il prit une si grande quantité de poissons, qu'il ne le pouvait tirer tout seul, et qu'il appela ses compagnons pour lui aider". (S. Lc V. 5-7).

8.      Si tu médites ce passage, tu verras une figure sous la réalité, et cette figure te conviendra ; car tous les actes et les mystères accomplis par ma Vérité dans ce monde avec ou sans les disciples, étaient des figures pour instruire et sauver les âmes. Vous pouvez toujours y voir une règle et une doctrine en les étudiant à la lumière de la raison : les personnes ignorantes et grossières comme les intelligences supérieures pourront y puiser des exemples, et tous, pourvu qu'ils le veuillent, y trouveront leur salut et leur consolation.

9.     Je t'ai dit que Pierre, sur l'ordre de Jésus-Christ, jeta les filets dans la mer : il fut donc obéissant. Il crut fermement qu'il prendrait du poisson, et il en prit en effet une grande quantité ; mais ce ne fut pas pendant la nuit. Quelle est cette nuit ? C'est la nuit obscure du péché mortel, où l'âme est privée de la lumière de la grâce. Pendant cette nuit on ne prend rien de bon, parce que le désir jette le filet, non pas dans une mer vive, mais dans, une mer morte, où il trouve le péché qui n'est que néant et les plus grandes fatigues ne sont d'aucune utilité.

10.   Ceux qui travaillent ainsi sont les martyrs du démon, au lieu d'être ceux de Jésus crucifié. Mais lorsque brille le jour où l'âme s'éloigne du mal et revient à la grâce, alors apparaissent à l'esprit les préceptes salutaires que je lui ai donnés ; et l'homme jette ses filets selon la parole de ma Vérité incarnée en m'aimant par dessus toutes choses et en aimant le prochain comme lui-même. Il obéit avec la lumière de. la foi et avec une ferme espérance, en suivant la doctrine et les traces de mon doux Verbe et de ses disciples. Je t'ai dit ceux qu'il prend et ceux qu'il appelle.

CXLVII

De ceux qui jettent plus parfaitement que les autres les filets dans la mer.

1.     Ainsi tu vois à la lumière de ton intelligence avec quelle providence ma Vérité incarnée, pendant tout le temps qu'elle a conversé avec les hommes, accomplissait ses actes et ses mystères. Tu dois comprendre ce qu'il faut faire et ce que fait une âme qui est arrivée à la perfection. Mais remarque que les uns agissent plus parfaitement que les autres, selon qu'ils obéissent à mon Verbe avec un cœur plus ardent, avec une lumière plus parfaite, et avec une espérance qu'ils ne placent pas en eux, mais uniquement en leur Créateur.

2.      Celui qui obéit aux préceptes et aux conseils mentalement et réellement, jette plus parfaitement ses filets que celui qui observe les préceptes réellement, et les conseils mentalement car celui qui n'observe pas les conseils mentalement ne peut observer les préceptes réellement, parce qu'il sont liés ensemble, comme je l'ai expliqué. Celui qui jette les filets parfaitement prend aussi parfaitement les âmes : les parfaits dont je t'ai parlé en prennent abondamment et avec une grande perfection.

3.     Leurs moyens deviennent excellents, par cette bonne garde et cette vigilance que le libre arbitre établit à la porte de la volonté. Tous leurs sens rendent un accord doux et harmonieux, qui s'échappe de la cité de l'âme, dont toutes les portes sont à la fois ouvertes et fermées. La porte de la volonté est fermée à l'amour-propre, mais ouverte au désir de ma gloire et à l'amour du prochain. L'intelligence est fermée aux vanités, aux délices et aux misères du monde qui sont comme une nuit profonde pour celui qui les aime et en use contre l'ordre ; mais elle est ouverte à la lumière qui brille dans ma Vérité incarnée. La mémoire est fermée à tout souvenir du monde ou d'elle-même, pour tout ce qui regarde la vie matérielle ; mais elle se rappelle avec amour et reconnaissance les bienfaits dont je la comble tous les jours.

4.      Alors cette âme chante un cantique délicieux, en s'accompagnant sur un instrument dont la prudence a si bien disposé les cordes, qu'elles rendent toutes une sainte harmonie pour la gloire et l'honneur de mon nom. Cette harmonie est produite par les grandes cordes, qui sont les puissances de l'âme, et par les petites, qui sont les sens extérieurs du corps. Elles sont toutes d'accord entre elles, ainsi que je te l'ai dit en te parlant des hommes méchants, dont tous les sens rendent un son de mort, parce qu'ils sont au pouvoir de l'ennemi, tandis que les parfaits rendent un son de vie, parce qu'ils ont pour alliées les vertus véritables, qui leur font faire. des oeuvres saintes.

5.     Tout membre accomplit parfaitement la charge qui lui est confiée : l’œil sert à voir, l'oreille à entendre, l'odorat à sentir, le palais à goûter, la langue à. s'exprimer, les mains à toucher, les pieds à marcher ; et il en résulte comme un son mélodieux qui sert au prochain, à ma gloire et aux âmes pour lesquelles se font les bonnes oeuvres. Tous les sens obéissent au moindre mouvement de l'âme, comme un instrument délicieux qui m'est agréable, et qui plaît aussi aux anges, et à tous ceux qui l'entendent dans la joie de leur cœur, parce que chacun profite du bien des autres.

6.      Les parfaits plaisent au monde lui-même, qu'il le veuille ou ne le veuille pas, car les méchants ne peuvent s'empêcher d'entendre aussi la douceur de cette harmonie : beaucoup même en sont tellement captivés, qu'ils abandonnent la mort pour retourner à la vie. Tous mes saints ont pris des ailes par cette harmonie. Le premier qui l'ait fait entendre est mon Verbe bien-aimé, lorsqu'il a revêtu votre humanité, et que l'unissant à la divinité il a joué sur la Croix cette musique ineffable qui ravit le genre humain. Il a vaincu ainsi le démon, son adversaire, en lui ôtant le pouvoir qu'il avait eu si longtemps sur l'homme par sa faute.

7.     Vous êtes tous les disciples de ce bon Maître, vous qui rendez des sens harmonieux. C'est avec sa douce méthode que les glorieux Apôtres ont conquis tant d'âmes eu semant par tout le monde cette parole qu'ils avaient apprise de mon Fils bien-aimé. C'est à la même harmonie que les martyrs, les confesseurs, les docteurs et les vierges doivent les mêmes conquêtes. La vierge Ursule fit entendre des accords si délicieux, qu'elle séduisit à elle seule onze mille vierges et une multitude d'autres âmes.

8.     Ainsi font tous les saints d'une manière ou d'une autre. Qui agit en eux ? Ma providence. C'est elle qui leur donne l'instrument, la science et les moyens de s'en servir. Tout ce que je fais, tout ce que je permets pendant leur vie est pour qu'ils perfectionnent leurs instruments, afin que les hommes en profitent et ne se privent pas de cette lumière qui leur est nécessaire, en l'obscurcissant par les ténèbres de l'amour-propre et du plaisir des sens.

CXLVIII

Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie et dans l'autre.

1.     Maintenant, ma fille bien-aimée, dilate ton cœur, et que ton intelligence contemple à la lumière de la foi avec quel amour ma providence a créé l'homme, et tout préparé pour qu'il puisse jouit de mon suprême et éternel bonheur. J'ai tout disposé pour l'âme et le corps, pour les imparfaits et pour les parfaits, pour les bons et pour les mauvais, temporellement et spirituellement, au ciel et sur la terre, dans la vie qui passe et dans celle qui ne finit jamais.

2.      Dans cette vie, où vous êtes étrangers et voyageurs, je vous ai liés par les liens de la charité ; car l'homme est forcément uni à son semblable. S'il veut s'en séparer en manquant de charité, il lui est uni cependant par la nécessité. Afin de vous unir par les oeuvres en même temps que par l'amour, je n'ai pas donné à chacun ce qui est nécessaire à son existence, de sorte que celui qui par le péché perd l'amour du prochain ne peut s'en séparer à cause de ses besoins. Vous êtes ainsi tous liés ensemble par des actes de charité. L'ouvrier a nécessairement recours au laboureur, et le laboureur à l'ouvrier ; l'un se sert de l'autre parce qu'il ne sait pas faire ce qu'il fait. De même le religieux a besoin du séculier, et le séculier du religieux ; l'un ne peut agir sans l'autre : il en est ainsi du reste des hommes.

3.     Ne pouvais-je pas donner à chacun tout ce qui lui est nécessaire ? Si, assurément ; mais j'ai voulu que chacun fût soumis à son semblable, afin que tous soient contraints de s'unir par un échange de bons services. J'ai montré la grandeur et la bonté de ma providence en eux, et ils préfèrent marcher dans les ténèbres de leur propre faiblesse.

4.      Les membres de votre corps doivent vous faire rougir, car ils ont en eux l'union, qui vous manque. Quand la tête a besoin de la main, la main ne lui aide-t-elle pas sur-le-champ ? Si le doigt, qui est si peu considérable dans le corps, vient à souffrir quelque chose, la tête lui refuse-t-elle son secours parce qu'elle est plus noble et plus considérable ? Elle ne néglige au contraire aucun moyen de lui être utile par la vue, par l'ouïe ou par la parole. Tous les membres agissent ainsi entre eux.

5.     Pourquoi l'homme orgueilleux ne fait-il pas de même lorsqu'il voit le pauvre, malade et manquant de tout ? N'est-ce pas un de ses membres ? Et cependant, loin de l'assister de ses biens, il ne lui fait même pas l'aumône d'une bonne parole ; il n'a pour lui que des reproches, et il s'en détourne comme d'une chose qui lui donne des nausées. Il regorge de richesses, et il laisse son semblable mourir de faim, Il ne songe pas que sa cruauté déplorable est d'une odeur infecte en ma présence, et que le fond des enfers est destiné à sa corruption.

6.      Ma providence secourt le pauvre d'une autre manière, et ç'est au poids de sa pauvreté que lui seront comptées d'abondantes richesses. Le riche au contraire sera durement repris par ma Vérité, ainsi qu'il est annoncé dans l'Évangile ; et s'il ne se corrige, il entendra cette parole : J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu ; j'étais infirme et en prison, et vous ne m'avez pas visité. (S. Mt. XXV, 42).

7.     Dans ce moment terrible, il lui sera inutile de dire : Je ne vous ai jamais vu, et si je vous avais vu, j'aurais tout fait pour vous bien volontiers. Ce misérable ne savait-il pas que mon Fils a déclaré dans l'Évangile que ce qui serait fait par amour pour Dieu au plus petit des hommes, il le tiendrait fait à lui-même ? Ce sera donc justement qu'il partagera avec les démons un supplice éternel ; car j'ai tout disposé sur la terre pour qu'il évite ce malheur.

8.      Si tu contemples le ciel, tu verras avec quel ordre et quel amour ma providence a tout réglé parmi les anges et les bienheureux qui ont mérité havie éternelle par le sang de l'Agneau. Aucun ne jouit seul du bonheur que je lui ai donné, mais tous participent au bonheur de chacun, afin qu'unis par une charité parfaite, le plus grand jouisse du bonheur du plus petit, et le plus petit du bonheur du plus grand. Je dis le plus petit quant à la mesure de la béatitude, car le plus petit est aussi rassasié que le plus grand ; tous à des degrés différents jouissent de la plénitude du bonheur.

9.     Oh ! combien la charité est forte au ciel, combien-elle unit tous les êtres en moi ! Tous reconnaissent en moi la source de cette charité qu'ils ont reçue avec cette sainte crainte et ce respect que je leur ai inspirés ; ils brûlent d'ardeur en moi, et comprennent toute la grandeur que je leur ai donnée.

10.    C'est dans une joie ineffable que les anges communiquent avec les bienheureux, et les bienheureux avec les anges. Tous jouissent en commun de leur bonheur dans l'union de la charité la plus parfaite, et ils en ressentent une ivresse, une béatitude que l'esprit ne pourra jamais comprendre, car en moi il n'y a aucune cause de tristesse ; au ciel tout est doux, l'amertume en est bannie, parce que pendant la vie et dans la mort même, ils m'ont goûté par l'amour dans la charité véritable du prochain. Qui a ordonné ces choses ? C'est ma sagesse et les soins admirables de ma providence.

11.   Si maintenant tu regardes le purgatoire, tu y trouveras aussi mon ineffable providence assistant les pauvres âmes qui, dans leur ignorance, Ont méconnu le prix du temps ; car depuis qu'elles sont séparées du corps, elles ne peuvent plus acquérir de mérite. Ma providence permet que vous, qui êtes encore sur terre, vous puissiez les secourir par les aumônes, les jeûnes, les prières, par toutes les bonnes oeuvres faites en état de grâce, et surtout par le Sacrifice que mes ministres offrent à l'Autel. Ma miséricorde veut bien que vous abrégiez ainsi le temps de leur pénitence. N'est-ce pas là une grande grâce de ma bonté ?

12.   Je t'ai dit tout ce j'ai fait dans l'âme pour son salut, afin que tu aimes avec passion ma providence, et que tu te révèles en elle des lumières de la foi et de la fermeté de l'espérance, que tu te dépouilles de toi-même, et qu'en toute occasion tu te confies en moi sans aucune crainte servile.

CXLIX

Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres, même dans les choses temporelles.

1.     Maintenant, ma fille bien-aimée, je veux te dire quelque chose des moyens que je prends à l'égard des serviteurs qui espèrent en moi, pour les assister dans leurs besoins extérieurs. Je veille sur eux avec plus ou moins de sollicitude, selon qu'ils se sont plus ou moins parfaitement dépouillés d'eux-mêmes. Ma providence cependant ne manque à aucun, mais elle protège surtout mes chers pauvres, c'est-à-dire ceux qui sont véritablement, par la volonté, pauvres d'esprit et d'intention. Car beaucoup sont pauvres contre leur volonté : ceux-là sont riches quant à la volonté, mais ils sont mendiants dans la réalité, parce qu'ils n'espèrent pas en moi et qu'ils portent contre leur gré cette pauvreté que je leur donne comme une médecine pour leur âme : la fortune eût été pour eux un mal et une cause de damnation.

2.      Si mes serviteurs sont pauvres, ils ne sont pas mendiants. Le mendiant n'a pas souvent ce qui lui est nécessaire, et il souffre de grandes privations : le pauvre n'est pas dans l'abondance, mais il a le nécessaire. Je ne manque jamais à ceux qui espèrent en moi. Quelquefois, cependant, je les réduis à une certaine extrémité, afin qu'ils voient et qu'ils comprennent plus clairement que je puis et que je veux fournir à tous leurs besoins. C'est ce qui fait, qu'ils se confient davantage à ma providence, et qu'ils s'attachent avec plus d'amour à la vraie pauvreté, leur épouse.

3.     Alors, par des effets merveilleux de ma bonté, le Saint Esprit, qui désire toujours les assister, pourvoit à leurs besoins extérieurs même, en inspirant aux riches la pensée de les secourir : et ainsi la vie de mes chers pauvres est alimentée par cette compassion que je donne pour eux aux serviteurs du monde.

4.      Quelquefois, il est vrai, afin de fortifier leur vertu et d'éprouver leur foi et leur patience, je souffre qu'ils reçoivent des injures et des affronts. Mais celui-là même qui les insulte est forcé par ma clémence à leur donner l'aumône et à les secourir. C'est là ce que ma providence fait en général pour mes chers pauvres. D'autres fois, pour mes grands amis et mes plus fidèles serviteurs, ma providence agit sans l'intermédiaire des créatures, directement, comme tu eu as fait l'expérience.

5.     Ne l'as-tu pas entendu raconter de ton Père, le bienheureux Dominique, mon glorieux serviteur ? Dans les premiers temps de son Ordre, à l'heure du repas, les Frères n'avaient rien à manger ; mais comme il espérait en moi, et qu'il était certain de ma providence, il dit aux Frères de s'asseoir, et quand ils eurent obéi à leur Père, je n'abandonnai pas ceux qui espéraient en moi : j'envoyai deux ,anges avec des pains très blancs qui fournirent abondamment plusieurs repas. Ma providence agit ainsi sans l'intermédiaire de l'homme, et par le seul acte de ma bonté.

6.     Quelquefois aussi ma providence multiplie pour eux des quantités qui étaient insuffisantes. C'est ce qui arriva pour ta compagne, la bienheureuse Agnès, qui me servit depuis son enfance jusqu'au dernier instant de sa vie avec une humilité si sincère et une si ferme espérance, qu'elle n'eut jamais la moindre inquiétude pour elle et pour sa famille. Cette chère petite pauvre n'avait pour toute fortune qu'une foi vive, lorsque la glorieuse Vierge Marie lui donna l'ordre de bâtir un beau monastère, dans un lieu souillé par des femmes de mauvaise vie. Elle n'eut aucune inquiétude et ne dit pas : Comment pourrais-je accomplir une oeuvre si difficile ? Elle mit en moi toute sa confiance, et bâtit avec ma providence le monastère de religieuses, où elle plaça dix huit jeunes vierges qui n'avaient d'autres choses que ce que je leur envoyais.

7.     Une fois cependant je les laissai trois jours sans pain, et elles ne mangèrent que des herbes. Tu pourrais t'en étonner et me dire : Comment avez-vous permis une telle extrémité, puisque vous m'avez assuré que vous ne manquiez jamais à ceux qui espèrent en vous ? Il semble que votre providence a fait défaut en cette circonstance, puisque en général l'homme ne peut vivre d'herbes seulement, surtout lorsqu'il n'est pas arrivé à une grande perfection. La bienheureuse Agnès était assez parfaite, mais nous pouvons croire que toutes ses filles ne l'étalent pas autant.

8.      Je te répondrai que j'ai agi de la sorte pour leur faire aimer avec plus d'ardeur et de perfection ma providence. Les imparfaits trouvèrent dans le miracle qui sui vit un puissant moyen d'acquérir la sainte lumière de la foi. Je puis d'ailleurs, en pareille circonstance, faire en sorte que le corps profite plus d'un peu d'herbes, ou de n'importe qu'elle autre substance, que du pain qu'il recevait auparavant, et de tout autre aliment que l'homme prépare pour se nourrir, N'en as-tu pas fait toi-même l'expérience ? Je puis aussi faire alors une multiplication miraculeuse.

9.     Après ces trois jours de disette, ma fidèle Agnès éleva vers moi son cœur et m'adressa cette prière : Mon bien-aimé Seigneur, mon tendre Père, mon éternel Époux, ne m'avez-vous pas ordonné de retirer de leur famille ces vierges, et les avez-vous réunies dans votre maison pour les laisser mourir de faim ? Bon Maître, pourvoyez donc à leurs besoins.

10.    C'était moi qui lui faisais faire cette prière ; je me plaisais à éprouver sa foi et à exaucer son humble demande. Pour satisfaire son cœur qui s'élevait vers moi, j'inspirai à quelqu'un la pensée de lui porter cinq petits pains et je le lui révélai. Quand celui qui venait approcha de la porte, Agnès dit à une de ses filles : Ma fille, allez au tour et apportez le pain que le Seigneur nous envoie dans sa bonté. Dès que les pains furent apportés On se mit à table, et pendant qu'elle faisait le partage, je mis dans ses mains une telle puissance, que les pains se multiplièrent si abondamment, que toutes furent rassasiées, et qu'il en resta assez sur la table pour fournir largement aux repas suivants.

11.   C'est par des moyens semblables que ma providence assiste mes serviteurs et mes amis qui sont devenus non seulement pauvres volontaires, mais encore pauvres d'esprit et d'intention ; car il leur servirait peu de faire comme les anciens philosophes, qui, par le désir qu'ils avaient d'acquérir une science profane, méprisaient les richesses et se faisaient volontairement pauvres, comprenant, par leur expérience ou par la lumière naturelle, que cet embarras extérieur des richesses du monde devait les empêcher d'atteindre la perfection de la science, à laquelle tendait leur intelligence comme à leur fin dernière. Mais parce que cette pauvreté volontaire n'avait pas pour motif la gloire et l'honneur de mon nom, ces philosophes ne purent avoir la vie de la grâce et la perfection ; ils n'eurent en partage que la mort éternelle.

CL

Des maux que causent la possession et le désir déréglé des richesses.

1.     Vois, ma fille bien-aimée, quelle honte et quel sujet de confusion pour les hommes. Des chrétiens se passionnent misérablement pour les richesses, tandis que la raison leur est donnée pour acquérir les biens éternels. Ils ne font pas même ce que faisaient les philosophes pour acquérir une science inutile. Parce qu'ils comprenaient que les richesses étaient un obstacle pour eux, ils les méprisaient et les repoussaient. Ces chrétiens au contraire semblent vouloir s'en faire un dieu, et il est évident qu'ils sont plus affligés de perdre ces richesses temporelles que de me perdre, moi qui suis le souverain Bien.

2.      Si tu y réfléchis, tu verras que tous les maux viennent du désir déréglé d'amasser des richesses. Ce désir enfante l'orgueil, qui fait que l'homme. veut dominer ; l'injustice, qui le rend coupable envers lui et les autres ; l'avarice, qui le pousse par la soif de l'or à dépouiller son frère, et à ravir à l'Église même les biens qui sont payés du sang précieux de mon Fils. De là procèdent aussi le trafic de la chair du prochain, et le trafic du temps que font les usuriers qui vendent comme des voleurs ce qui ne leur appartient pas. De là viennent la gourmandise et cette avidité d'aliments inutiles qui produisent l'impureté ; car, sans ces excès, tomberait-on souvent dans de si grandes misères ?

3.     Combien le désir d ces richesses n'engendre-t-il pas d'homicides, de haines, de trahisons, de cruautés envers le prochain, et aussi d'infidélités envers moi ! Car les hommes s'imaginent que c'est par leur propre vertu qu'ils acquièrent et possèdent leurs biens, tandis que c'est uniquement de ma providence qu'ils les reçoivent. Ils poussent l'ingratitude jusqu'à ne pas espérer en moi, mais seulement dans le néant de leurs richesses. Leur aveuglement est tel, qu'ils ne voient pas Combien ils s'abusent, puisque dès cette vie, je les prive souvent, pour leur bien, de ces richesses, que la mort, du reste, finit toujours par enlever ; ils reconnaissent alors que leur espérance était vaine et sans fondement.

4.      Le désir déréglé des richesses rend l'homme pauvre et tue en lui la vie de la grâce. Il devient cruel pour lui-même, et perd ce qu'il y avait d'infini dans son cœur ; car au lieu d'être en moi, qui suis le Bien suprême et infini, son désir se borne et s'unit à une chose finie et méprisable. Il ne peut plus jouir du goût délicieux de la vertu et du suave parfum de la pauvreté ; il ,a perdu l'empire sur lui-même en se faisant l'esclave des richesses ; il est insatiable, parce qu'il aime des choses inférieures à lui-même, car les créatures sont faites pour servir l'homme et non pour en être servies. L'homme ne doit servir que moi, qui suis sa fin.

5.     A combien de travaux, de peines et de dangers l'homme se soumet, sur terre et sur mer, afin d'amasser des richesses, non seulement pour suffire à ses besoins, mais pour satisfaire son luxe, sa concupiscence et son avarice, pour revenir vivre dans sa patrie au milieu de la splendeur et de la gloire ; et il ne se donne pas la moindre peine pour acquérir les vertus, qui sont les véritables richesses de l'âme. Il a étouffé sous ces vains trésors le cœur avec lequel il devait me servir, et sa conscience est écrasée par tous ses injustes profits.

6.      Vois donc à quel esclavage et à quelle misère il est réduit. Encore si sa fortune était stable ; mais rien n'est plus mobile et plus trompeur. Celui qui est riche aujourd'hui sera pauvre demain, li est maintenant au faite des honneurs, il sera tout à l'heure dans la fange. Le monde le respecte et l'honore à cause de ses fausses richesses ; mais dès qu'il les a perdues, il ne trouve que des mépris et des traitements sans pitié ; car on l'aimait pour ses richesses et non pour ses vertus ; s'il avait été aimé pour quelques vertus, il n'eût pas perdu l'estime et l'amour de ses semblables, parce qu'en perdant ses richesses il eût conservé ses vertus.

7.     Oh ! combien cette âme est chargée de pesants fardeaux ! Ils sont si lourds, qu'elle ne peut courir dans la route de. son pèlerinage, ni passer par la porte étroite. Ma Vérité incarnée vous a dit dans l'Évangile qu'il est plus facile à un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux (S. Marc. X, 25). Ceci regarde tous ceux qui désirent et qui possèdent les richesses avec un amour déréglé ; car il est beaucoup de pauvres qui désirent et qui possèdent aussi par la volonté tout l'univers qu'ils ne peuvent avoir. Ceux-là n'entreront point assurément, parce que la porte est humble et petite. Il faut auparavant déposer son fardeau, retrancher l'amour déréglé du monde, et courber humblement la tète. Il est impossible d'entrer autrement ; car il n'y a pas d'autre chemin pour arriver à la vie.

8.      Il y a bien un autre chemin plus large qui conduit à la damnation éternelle, et ceux qui le : suivent sont des aveugles qui ne voient pas leur ruine irréparable. Ils ont, dès Cette vie, un avant-goût de l'enfer ; ils souffrent de toute manière, car ils désirent plus qu'il ne peuvent avoir ; ils sont tourmentés de ce qu'ils n'ont pas, et torturés de ce qu'ils perdent. La douleur de leur perte a pour mesure l'ardeur coupable avec laquelle ils possèdent. Ils perdent aussi la charité, l'amour de leurs frères et ne prennent aucun soin d'acquérir des vertus. O corruption du monde, non pas des choses qui s'y trouvent, car je les ai créées bonnes et parfaites, mais corruption de l'amour charnel et déréglé qui les possède. Ta langue, ma fille bien-aimée, ne saura jamais dire tous les maux qui viennent des richesses ; ces malheureux aveugles les voient et les éprouvent, et ils ne veulent pas reconnaître leur sort épouvantable.

   

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