LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

sainte
CATHERINE DE SIENNE
dominicaine, auteur mystique
et Docteur de l'Église
(1347-1380)

INDEX

LXXXI

Comment les démons même rendent gloire à Dieu

LXXXII

L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

LXXXIII

Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

LXXXIV

Des causes qui font désirer à l'âme d'être séparée de son corps.

LXXXV

Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu'un savant qui a de l'orgueil.

LXXXVI

Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l'âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

LXXXVII

L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

LXXXVIII

Des larmes qui se rapportent aux différents états de l'âme.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

 

 

LXXXI

Comment les démons même rendent gloire à Dieu

1.     De même que les pécheurs servent dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans l'enfer sont les bourreaux et les ministres de ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.     Ainsi s'accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l'amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s'accomplit véritablement a eux, puisqu'ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.

LXXXII

L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

1.     Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l'honneur de mon nom ? C'est l'âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu'elle a ce qu'elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.      Elle voit l'offense qu'i m'est faite ; elle ne peut plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n'a pas cessé avec la peine.

3.     Si l'ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais l'amour, c'est-à-dire si je n'aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.     De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine s'est éteinte dans leur mort, mais non l’ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l'Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l'océan de la paix, délivrés de l'imperfection, c'est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.

LXXXIII

Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

1.     Paul avait vu et goûté ce bien quand je l'élevai au troisième ciel, c'est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le ciel, excepté que son âme n'était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d'en faire un vase d'élection dans l'abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu'en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu'il souffrît pour mon nom.

2.      Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l'enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : "Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai". (Ac., IX, 6). Alors je l'enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l'illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s'appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l'édition italienne de Gigli. Nous les donnons d'après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).

3.     Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu'il ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu'il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l'était tellement incorporé, qu'il donna sa vie pour ne pas s'en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.      Paul avait goûté ce que c'était que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d'en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l'amour qu'il avait goûté en moi, et qu'il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l'âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel.

5.     Il lui semblait que, tant qu'il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l'esprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : "Paul, ma grâce te suffit", mais par un empêchement à la perfection de l'esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s'écriait : "O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort ? car j'ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit".

6.     C'est la vérité ; car la mémoire est combattue par l'imperfection du corps, l'intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l'ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : J'ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t'ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d'union parfaite avec moi, crient aussi qu'ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.

LXXXIV

Des causes qui font désirer à l'âme d'être séparée de son corps.

1.     Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l'angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu'ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l'âme ; ils ont vaincu et détruit l'amour d'eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort ? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l'Apôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l'âme est élevée à l'union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.      (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l'édition italienne ) Quand l'âme revient à ses sens corporels, qui avaient été absorbés en moi par l'effet de l'amour, elle supporte péniblement la vie, parce qu'elle se voit privée de l'union qu'elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.     Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu'elle est devenue par l'amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l'ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s'éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir qu'elle a de la mort, et souvent l'amour des souffrances adoucit la peine qu'elle éprouve de n'être pas délivrée de son corps.

4.      Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils s'en affligent, parce qu'ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d'épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S'ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n'y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi ? Parce qu'ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur cœur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C'est ainsi que le regard de l'intelligence s'élève à cette contemplation de ma divinité, où l'amour s'unit et se développe en suivant l'entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l'âme qui m'aime et me sert en vérité.

LXXXV

Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu'un savant qui a de l'orgueil.

1.     C'est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d'Aquin et qu'il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et mes autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d'en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c'est-à-dire la Sainte Écriture qui parait obscure parce qu'elle n'est pas comprise, non par le défaut de l'Écriture, mais par l'ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j'ai donné ces lampes pour éclairer les aveugles et les intelligences grossières, afin que l'homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.      Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu'il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.

3.     L'intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l'intelligence a été formée avant l'Écriture ; c'est dé l'intelligence que vient la science, puisque c'est en voyant qu'elle discerne.

4.      Avec cette lumière, les prophètes ont vu l'avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l'ont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous l'ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l'enseignement de la Sainte Écriture.

5.     Les docteurs l'ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l'Agneau ; les vierges l'ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l'obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.      Cette lumière est visible dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, par les prophètes dont l'intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n'a pas détruit l'ancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté l'imperfection, parce qu'elle était fondée sur la crainte.

7.     Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d'amour, il l'accomplit en lui donnant l'amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte, crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu'il ne détruisait pas la loi : "Je ne suis pas venu pour détruire la loi, mais l'accomplir" (S. Mt., V. 17). Comme s'il disait : Jusqu'à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l'accomplirai en ce qui lui manque, parce que j'ôterai la crainte de la peine ; je l'établirai sur l'amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.      Comment la Vérité est-elle connue ? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Écriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s'aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l'amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l'apparence de l'Écriture plus qu'ils n'en saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l'Écriture, parce qu'ils sont privés de la lumière avec laquelle l'Écriture a été formée et présentée.

9.     Ceux-là s'étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que ceux qui ont longtemps étudié. Ce n'est pas surprenant, puisqu'ils possèdent la cause de la lumière d'où vient la science ; mais, parce que, les superbes ont perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.    Aussi je te dis qu'il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu'un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu'on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu'ils ont en eux, ils la présentent avec l'ardent désir du salut des âmes.

11.   Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de l'état unitif, où l'intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L'âme m'aime avec cette lumière, parce que l'amour suit l'intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L'intelligence et l'amour se nourrissent réciproquement.

12.   C'est par cette lumière que l'âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l'ai dit en t'expliquant le bonheur que l'âme reçoit en moi. C'est l'état le plus élevé où l'âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu'elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu'elle m'est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c'est cette mort qui l'unit à moi, et il n'y a pas d'autre moyen de s'unir à moi parfaitement. L'âme goûte la vie éternelle dès qu'elle est délivrée de l'enfer de sa volonté propre. L'homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.

LXXXVI

Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l'âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

1.     Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus avec ton cœur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l'ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C'est ce qui te donnera l'humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à l'amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d'une vie sainte.

2.      Je t'ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l'âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s'il ne monte ces trois degrés, c'est-à-dire, s'il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t'ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l'âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l'ouverture de son côté, et à sa bouche où l'âme goûte la paix et le repos.

3.     Je t'ai fait connaître l'imperfection de la crainte servile, et l'imperfection de l'amour de ceux qui m'aiment à cause de la douceur qu'ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l'ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l'état imparfait à l'état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.      Je t'ai fait goûter la perfection de l'âme et les parfums de ses vertus. Je t'ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d'arriver à la perfection, si elle ne s'applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t'ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde.

5.     Je t'ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l'amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m'offriras avec ardeur. Je t'ai parlé pour que beaucoup d'autres qui me servent m'entendent, et pour qu'enflammés de ma charité, vous m'imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m'as tant prié.

6.      Je t'ai promis, si tu te le rappelles, d'exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l'exemple et la doctrine, en m'offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c'est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.     Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t'ai montrée sous la forme d'une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l'ont souillée de leurs fautes, comme je te l'expliquerai bientôt.

LXXXVII

L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

1.     Alors cette âme tourmentée d'un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu'elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l'aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l'ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de l'espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu'elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu'elle voulait savoir quelque chose des états de l'âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l'âme passe à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu'elles sont, d'où elles viennent et les fruits qu'elles produisent.

2.     La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s'adressait à la Vérité, où rien ne s'aperçoit que par l'intelligence. Celui qui veut la connaître doit s'élever vers elle par l'ardeur du désir, en ouvrant l’œil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu'elle ne s'était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu'il n'y avait pas d'autres moyens de connaître ce qu'elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s'éleva au dessus d'elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d'une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu'elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.

LXXXVIII

Des larmes qui se rapportent aux différents états de l'âme.

1.     La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t'apprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de l'âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t'expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m'aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont d'une douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.     Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’œil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L'âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l'amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l'état unitif. Je vais t'expliquer toutes ces larmes.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

   

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