
TABLE
Le texte primitif
I. Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances
de l’enfer en la possession d’une fille possédée
II La Science expérimentale des choses de l'autre
vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun.
DEUXIÈME ÉDITION DE LA SCIENGE
EXPÉRIMENTALE
ET DU TRIOMPHE
L’édition du « Solitaire »
L'ÉDITION DE
L'« ECCLÉSIASTIQUE »
LES ÉDITIONS IMPRIMÉES DE 1828
ET 1829
NOTES
|
La plupart des lecteurs connaissent sans doute, au moins de
vue, un chétif in-douze, publié en 1828, intitulé : Histoire abrégée de la
possession des Ursulines de Loudun et des peines du P. Surin (Ouvrage
inédit faisant suite à ses œuvres). A Paris, chez l’éditeur, au bureau de
l’Association Catholique du Sacré-Cœur, rue des Postes, n° 24
.
En tête, un Avertissement de l’éditeur, qui débute par ces mots :
« L’ouvrage inédit du P. Surin que nous publions est connu de beaucoup de
personnes, des copies du manuscrit qui le renferme se trouvant dans plusieurs
bibliothèques particulières, quelques auteurs l’ont déjà cité avec éloge. Ainsi
l’authenticité n’en sera pas contestée. » C’est tout ce qui est consacré à la
question d’auteur et aux origines de l’ouvrage. Celui-ci se présente d’ailleurs
d’une façon assez compliquée, en quatre parties, comprenant chacune deux
livres ; les deux premières concernent la possession de Loudun ; les deux
dernières exclusivement les peines dont le P. Surin souffrit plus de vingt ans,
à la suite de sa participation aux exorcismes, et les grâces singulières qu’il
reçut au cours de cette même période. L’ensemble présente donc une certaine
unité, puisque, dans les deux premières parties, c’est surtout le rôle du P.
Surin et sa manière d’exorciser qui sont mis en lumière en même temps que leurs
excellents effets sur la libération de Jeanne des Anges.
Or dès l’année suivante, paraissait à Avignon, chez Seguin
aîné, un autre volume, de format analogue et de contenu semblable, avec un titre
un peu différent : Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer et
la possession de la mère prieure des ursulines de Loudun. Première partie et
Science expérimentale des choses de l’autre vie avec Le moyen facile d’acquérir
la paix du cœur. Ouvrages posthumes du P. Jean-Joseph Surin de la Compagnie de
Jésus
.
L’avis de l’éditeur se montrait plus explicite que l’avertissement
du précédent et fournissait sur les origines de cette publication les détails
suivants :
Le Manuscrit original des
Œuvres posthumes que nous publions est composé de quatre Parties. La première a
pour titre : Triomphe de l’amour divin sur les Puissances de l’Enfer, en la
possession de la Mère Prieure des Ursulines de Loudun : on y trouve les
détails les plus instructifs et les plus piquants sur cette célèbre Possession,
la méthode que le Père Surin suivit pour chasser les démons, et des
renseignements précieux pour la conduite des âmes dans les voies spirituelles.
La seconde Partie contient le récit des peines inouïes que les démons firent
souffrir au Père Surin, après qu’il les eut chassés du corps de la Mère Prieure,
et la troisième les grâces extraordinaires dont il fut favorisé de Dieu. La
quatrième Partie a pour titre : Science expérimentale des choses de l’autre
vie. Elle contient de nouveaux détails sur la Possession dont l’Histoire se
trouve dans la première Partie. L’auteur se sert de ces faits prodigieux pour
établir la réalité des Démons et donne ensuite, d’après les dépositions mêmes de
ces esprits infernaux, des notions très curieuses sur leur nature et leur
puissance et sur ce qu’il appelle l’économie du Royaume des ténèbres. Cette
quatrième Partie étant comme la suite et la conséquence de la première, doit
être lue immédiatement après celle-ci. C’est pourquoi nous les avons réunies
dans ce volume. La seconde et troisième Partie, traitant de sujets un peu
différents et qui d’ailleurs ne conviennent pas à toutes sortes de personnes,
formeront un volume séparé. L’authenticité de ces ouvrages est incontestable.
Leur existence était depuis longtemps reconnue : ils sont cités dans plusieurs
livres et notamment au chapitre III de la IIIe Partie d’une vie du P.
Surin que le célèbre M. Boudon, Grand-Archidiacre d’Evreux, a publiée... M.
Boudon les avait eus entre les mains, et en a même inséré plusieurs fragments en
divers endroits de son livre. Il serait donc superflu d’insister davantage sur
ce point. Quand au style, on le trouvera fort négligé, mais nous avons dû le
laisser tel quel.
Délibérément ou non, l’éditeur de cet ouvrage ignore, on le
voit, la publication parisienne de l’année précédente. Nous ne pouvons l’imiter.
D’où le problème qui se pose nécessairement : l’un et l’autre de ces textes se
donnant comme œuvre inédite du P. Surin et offrant en grande partie le même
contenu : quel est celui dont les prétentions sont justifiées ou plutôt qu’en
est-il de l’authenticité de l’un et de l’autre
?
Si l’on se reporte au passage indiqué de Boudon, la difficulté augmente. Il
renferme une précieuse liste
des écrits alors encore inédits du P. Surin. On y lit après deux autres titres :
Le Triomphe de l’amour divin sur les Puissances de
l’Enfer.
Un traité de la Perfection.
Plusieurs livres de la science expérimentale acquise en la
possession par les démons des religieuses Ursulines de Loudun.
Un traité des secrets de la grâce...
Les deux parties de la publication de 1829 sont donc
présentées ici comme formant deux ouvrages absolument distincts. De plus la
Science expérimentale, loin de n’être que la quatrième partie de l’ensemble
décrit par l’éditeur, est mentionnée expressément comme étant en plusieurs
livres.
Si l’on a recours, comme il est nécessaire, aux manuscrits,
pour compléter la documentation et chercher une solution satisfaisante, l’énigme
se complique encore au premier abord. Ce n’est pas que les manuscrits fassent
défaut. « L[‘Autobiographie] du P. Surin est perdu, écrit le P. Michel
,
mais il existe de nombreuses copies, plus ou moins complètes et conformes à
l’original. Nous en avons trouvé et examiné vingt-sept, dans des bibliothèques
publiques ou privées, à Paris, dans la Bibliothèque Nationale, Mazarine, de la
Sorbonne, de l’École Sainte-Geneviève, du Séminaire Saint-Sulpice, de la
Visitation rue Denfert-Rochereau, des PP. Jésuites, rue de Sèvres ; à Sens,
Amiens, Auxerre, Chartres, Poitiers, Ajaccio, Saint-Pétersbourg. »
Mais ils présentent une situation qui ne répond en rien à la description donnée
par l’éditeur de 1829. « Aucun de ces manuscrits ne renferme les quatre
parties »
décrites plus haut. On peut de se point de vue les grouper en plusieurs séries :
1° Les uns sous le nom d’Abrégé ou d’Histoire
de la possession, répondent substantiellement au volume publié en 1828, mais
sont expressément présentés comme un arrangement de l’œuvre primitive du P.
Surin, due sous une première forme à « une personne solitaires » et sous une
seconde, retravaillant cette première adaptation, à « un ecclésiastique ». Ce
sont de beaucoup les manuscrits les plus nombreux. Ils contiennent en somme
l’équivalent des trois premières parties signalées par l’éditeur de 1829.
2° D’autres manuscrits n’offrent que la première
partie avec le titre donné par l’éditeur de 1829 : Le triomphe de l’amour
divin, dans un texte identique à celui qu’il publie et fort différent, comme
on peut le voir, du texte des deux premières parties, — de contenu semblable, —
de l’Histoire de la possession, publiée en 1828.
3° Plusieurs manuscrits présentent sous le titre
commun Le Triomphe de l’amour divin, avec cette première partie dont le
texte est substantiellement identique à celui de 1829, la deuxième et la
troisième parties, réservées alors par l’éditeur pour un second volume, avec
respectivement, pour chacune, le titre particulier dont je transcris la
ponctuation défectueuse :
Deuxième partie. — De la science en laquelle le P. Surin
parle des maux qui lui sont arrivés en suite de la possession des démons chassés
par son ministère.
Troisième parie. De la science expérimentale où le Père
traite des choses en particulier qu’il a reçues à l’occasion et en suite de la
possession de Loudun.
« Parmi les copies qui
réunissent les trois parties, écrit le P. Michel
,
deux l’une à Sens (n° 164), l’autre à l’École Sainte-Geneviève (n° 301 bis)
reproduisent fidèlement, ce me semble, le texte du P. Surin : 1° Les deux copies
sont identiques, bien que l’une ne soit pas une copie de l’autre. Ce dernier
point ressort des mots différents omis par les copistes et des corrections
faites au manuscrit de Sens à la suite d’un collationnement. 2° Les deux copies
sont plus complètes que les autres et l’ordre des matières comme le style ne
paraissent pas avoir subi de modifications. On en peut juger par l’analyse d’une
copie certainement fidèle conservée en 1690 au collège de la Flèche, analyse
faite par l’auteur de la copie de Chartres. — 3° Enfin l’origine de ces deux
copies nous est une sérieuse garantie de leur authenticité. Le manuscrit de
Sainte-Geneviève provient de la bibliothèque de la maison professe des Jésuites
de Paris et porte en tête ce paraphe : Paraphé au désir de l’arrest du cinq
juillet mil sept cent soixante-trois. Mesnil. Le manuscrit de Sens fut
laissé au chapitre de Sens par son doyen M. Nicolas Taffoureau, nommé évêque d’Alet
en 1699 et mort en 1708. Le même prélat avait encore fait don aux chanoines de
Sens d’une copie de la 4e partie de l’histoire de la possession par
le P. Surin (ms 163) et d’un recueil d’environ 160 lettres (ms 162) du même Père
avec un beau portrait gravé de l’auteur, que nous n’avons pas rencontré
ailleurs ».
Ces deux manuscrits (301
bis et Sens 164) sont utilisés pour les pages qui suivent.
4° Certains manuscrits contiennent seulement ce que
l’éditeur de 1829 a publié sous le titre : La science expérimentale, etc.
« Nous possédons, écrit encore le P. Michel, trois manuscrits de la quatrième
partie, un à la Bibliothèque Nationale, fonds français, 145.96, et les deux
autres, notablement retouchés, pour le style, à l’École Sainte-Geneviève et à la
Bibliothèque de Sens (n° 163). Ces deux
derniers sont deux copies d’un même manuscrit ou l’un d’eux est copie de
l’autre ». C’est une copie du manuscrit 145.96 (j’ai aussi collationné
sommairement Sens n° 163) qui me sert pour cette étude. Il est essentiel de
remarquer qu’aucun de ces trois manuscrits qui représentent seuls jusqu’ici la
« quatrième partie » de l’ouvrage du P. Surin, ne porte cette appellation de
quatrième partie. Ils ont simplement comme titre celui-là même que l’éditeur
de 1829 donne en abrégé au frontispice et, incomplètement encore page 149 :
Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des
Ursulines de Loudun par le P. J. J. Surin. De plus il n’y a pas deux
sections mais deux parties, au moins en apparence, car on va bientôt
voir que le texte authentique contredit la division adoptée dans les manuscrits.
Tel est l’état matériel de la tradition manuscrite, en
faisant actuellement abstraction du contenu même de ces ouvrages. A la réflexion
le lecteur ne peut qu’être frappé : 1° du désaccord des imprimés et des
manuscrits avec les indications données par Boudon ; — 2° du titre énigmatique
donné à la 2e et à la 3e partie du Triomphe et du
rapprochement que ces titres suggèrent avec ce que l’éditeur de 1829 présente
comme une quatrième partie avec ce titre spécial : La science expérimentale,
etc. Il est évident d’ailleurs que le titre de la 2e et de la 3e
partie du Triomphe doit se lire : Deuxième partie de la science (en
supprimant le point après partie) ; — Troisième partie de la science
expérimentale, ce qui fait écho aux indications de Boudon : « Plusieurs
livres de la science expérimentale ». D’où la suggestion qu’il faut peut-être
détacher cette seconde et cette troisième parties, de la première qui existe à
part, en plusieurs manuscrits, sous le titre spécial : Le triomphe de l’amour
divin, etc., et les rattacher à l’écrit intitulé Science expérimentale,
dont elles partagent elles aussi l’appellation.
Nous n’en sommes jusqu’ici qu’à des suggestions, à des
conjectures qui paraissent plausibles. Il reste à les vérifier, à les préciser,
et par suite à les transformer en certitudes, si possible, d’après l’étude
directe des textes. On va voir que rien n’est plus aisé et que, grâce aux
indications multipliées par le P. Surin lui-même, il est possible d’établir
solidement que, à propos de la possession de Loudun, puis des maux et des grâces
insignes dont elle a été pour lui l’occasion, pendant plus de vingt ans, le P.
Surin a écrit deux ouvrages tout à fait distincts, aussi bien par le contenu que
par la date de composition :
1° Le triomphe de l’amour divin sur les puissances
de l’enfer en la personne d’une fille possédée [en la possession de la mère
supérieure des Ursulines de Loudun]
répondant substantiellement au premier traité publié par l’éditeur de 1829 et
qualifié par lui de première partie. Cet ouvrage de caractère historique,
commencé en 1636, puis interrompu, a été repris et définitivement achevé en
1660.
2° La science expérimentale des choses de l’autre
vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun, ouvrage en quatre
parties répondant, la 1e et la 4e, aux deux sections de
la Science expérimentale, publiées en 1829 comme quatrième partie du
soi-disant ouvrage d’ensemble du P. Surin, sur la possession de Loudun ; la 2e
et la 3e, aux parties correspondantes du manuscrit de
Sainte-Geneviève (301 bis) et de
Sens (114) et, avec remaniements,
abréviations, interpolations, etc., aux troisième et quatrième parties de l’Histoire
abrégée, de 1828. Cet ouvrage a été composé tout entier à Saint-Macaire, non
loin de Bordeaux, en août/septembre 1663, puis retouché et mis dans un autre
ordre ultérieurement. Plus tard encore, par suite du caractère plus historique
de la deuxième et de la troisième parties qui les rapprochait tout naturellement
du Triomphe de l’amour divin, on les a détachées du reste de la
Science expérimentale, qui est, comme on le verra un traité d’apologétique,
et on les a jointes à ce Triomphe, de manière à former comme une sorte
d’autobiographie du P. Surin racontant, à l’occasion de la possession de Loudun,
son histoire surtout intime au cours des trente dernières années de sa vie.
Il reste à fournir la preuve de ces diverses assertions.
I° En ce qui concerne l’existence d’un premier ouvrage
distinct (la soit disant première partie de 1829) sous ce titre Le Triomphe
de l’amour divin, etc. et que le P. Surin considérait comme l’histoire même
de la possession, les témoignages abondent. Il faut signaler d’abord les
nombreux passages de la Science expérimentale où le P. Surin y renvoie,
non pas comme à une première partie, précédemment écrite, du même ouvrage, mais
comme à un livre tout à fait indépendant. Je ne citerai que quelques textes
d’après le manuscrit 145.96 (A), en indiquant où il y a lieu les passages
correspondants de l’imprimé de 1829, que j’appellerai S.
A
7v : comme il est dit au long dans le récit que nous avons fait qui
n’est pas encore publié et ne le peut estre qu’en son temps. A 11r :
comme nous avons écrit en l’histoire ; ibidem : comme nous disons en l’histoire.
A 12r : dont nous avons spécifié les particularités dans l’histoire
où il faut renvoyer nécessairement les lecteurs qui pourront remporter cette
satisfaction de savoir que toute cette histoire est conclue par la
continuation de plusieurs effets miraculeux dont l’on n’a pas mesme raconté la
centième partie pour n’avoir pas été possible d’en venir à bout. — Ibidem :
Plusieurs sont dans l’histoire qui ne peut point encore être produite,
jusqu’au temps que Dieu l’ordonnera, je dis être produite, au moins en son
entier, car pour le gros de l’histoire, il y a une personne de condition et
d’esprit qui travaille à la recueillir
.
— A 14v : à cause que ce sont des choses que j’ai écrites
ailleurs fort exactement, pour le moins celles dont j’ai été témoin de la vue et
de l’expérience. — A 24r : Cela paraîtra manifestement par la
lecture du récit que j’ai fait de toute l’histoire où je raconte les
voyes dont je me suis servi pour la délivrance de la mère ; ibidem : suivant
qu’il est raconté dans l’histoire. — A 25r : je ne veux
pas ici redire ce que j’ai dit en l’histoire de la délivrance de la mère.
— 26r : nous nous avons encore dit dans le gros de l’histoire ;
— 27r : par les accidents qui sont descrits en notre histoire
et que je ne veux point repeter ici. — 29r : et comme j’ai dit dans
l’histoire de la délivrance... qui sont choses que je n’ai voulu redire
comme l’ayant assez dit en cette histoire laquelle je ne veux point
confondre avec ce que j’ai dit, car ceci n’est dit que purement pour marquer les
choses extraordinaires qui ont leur cause dans l’autre vie. — 30v : (S.
182) : C’étaient des défis naturels des uns contre les aultres que j’ai raconté
dans l’histoire. — A 38r : en sa guérison qui advint
l’an 1636, laquelle est bien déduite en l’histoire de sa délivrance. — 38v :
les particularités de cette apparition sont dans l’histoire que j’en ai
faite.
Je donne à la suite, les allusions contenues dans ce que
l’éditeur de 1829 appelle : section seconde ; le manuscrit : seconde
partie et qui est en réalité la quatrième partie de la Science
expérimentale primitive.
A
49r : Dans le livre que nous avons fait de cette histoire de
la possession de Loudun (S p. 228 : dans l’histoire que nous avons
faite de la possession de Loudun). A 54r S p. 245 : de
sorte qu’ayant escrit l’histoire de cette possession de Loudun, nous
l’avons intitulée Le Triomphe du divin amour sur les puissances de l’enfer en
la personne d’une fille possédée. — A 57r S 254 :
Cette vérité suit manifestement de l’histoire que nous avons racontée
en la délivrance de la mère ; — A 57v : Conformément à ce
qui a été dit dans l’histoire de la délivrance. — S 258 : ainsi
que je l’ai dit en l’histoire (pas dans A, au moins au passage
correspondant).
Il est inutile de continuer, car au début du chapitre 9 (A
59v, S p. 260) le P. Surin s’exprime de la façon la
plus claire à ce sujet et qui satisfera pleinement ceux que certains des textes
précédents auraient laissés sceptiques :
Pour satisfaire à ce que j’ai
mis dans le titre de ce chapitre, il fault que je fasse mention d’une chose qui
n’est pas dans ce livre mais qui est tirée de celui de l’histoire de la
possession qui est un ouvrage que je commençai, il y plus de 25 ans ;
c’était l’an 1636 et que j’achevaI
l’an 1660, lorsqu’après avoir été, à raison des maux qui me sont venus par
l’obsession des démons, tout le temps entre deux, sans avoir eu la faculté d’escrire
et un empêchement à toute sorte de mouvements, je MIS FIN à cet ouvrage ; car
soudain que Notre-Seigneur m’eut rendu cette faculté, je continuay et
achevaI cette histoire.
On voudra bien retenir les mots j’achevai, je mis
fin, pour la démonstration de la seconde partie de ma thèse sur le contenu
de le Science expérimentale. Il ne sera pas inutile, non plus, de faire
remarquer que, dans les manuscrits où est donnée comme seconde et troisième
partie du Triomphe ce qui, selon nous, est la seconde et la troisième
partie de la Science expérimentale, on rencontre, bien que plus rarement
à cause du sujet, les mêmes allusions au contenu du Triomphe, comme à une
Histoire distincte. (Je désigne par B le manuscrit 301 bis,
autrefois à l’École Sainte-Geneviève) :
2e Partie : B
352 : qui sont marques dans l’histoire de sa délivrance ; —
363 : Je ne veux ici mêler les discours présents avec ce qui [est] déjà escrit
en l’histoire qui a été faite de la délivrance ; dans le livre des
histoires, il est dit comme quoi le Père fust envoié. — 368 : qui sont
décrites dans l’histoire. — 3e Partie : B 542 :
il faudra voir dans l’histoire que nous en avons faite..., lesquelles
sont décrites dans cette même histoire.
II° La Science expérimentale. État primitif. La
démonstration est plus délicate, mais rendue facile, dans une large mesure, ici
encore, par le texte même des manuscrits. Il faut savoir que le début de cet
ouvrage a été remanié mais, fort heureusement, les manuscrits ont conservé,
après la seconde rédaction, la première. Elle contient des indications
extrêmement intéressants, dues au P. Surin lui-même. Voici la note préliminaire
placée par lui au début de son ouvrage, après qu’il l’eut terminé :
Science expérimentale des
choses de l’autre vie acquise en la possession des religieuses ursulines de
Loudun, par le P. Jean-Joseph Seurin de la Compagnie de Jésus.
Écrit à Saint-Macaire l’an
1663.
Secretum meum
mihi.
Secretum meum
mihi.
Combien que j’aie dit au
commencement du 1er chapitre que les choses ici couchées sont pour
l’instruction et la consolation de plusieurs âmes, pourtant la plus part ne
peuvent être communiquées, particulièrement celles de la seconde partie. La 3e
partie peut estre moins communiquée que la 2e, mais la 4e
le peust tout à fait, si Dieu nous fait la grâce de les produire, car la 4e
est une quantité de réflexions sur la vérité de l’histoire déduite en la
première partie et dont on peust tirer grand profit.
La 1er et la 4e partie ne sont pas
difficiles à identifier. Elles ne sont autres que les deux sections de la
Science expérimentale, publiée en 1829, com-me le prouve d’identité des
titres : Première partie où sont les arguments qui prouvent les choses de
l’autre vie (cf. S. p. 151).
Seconde partie [au lieu de quatrième, par suite d’un remaniement
postérieur] de la science expérimentale, contenant des réflexions sur les
vérités qui ont esté déduites dans la partie précédente (cf.
S. p. 198). Que cette seconde partie soit bien celle qui était
primitivement la quatrième, il est facile de le démontrer, outre l’identité du
titre caractérisant le contenu
,
par l’entête du chapitre 13 [12e dans le manuscrit qui invite plus
loin (67v) à corriger] où l’on
a, par mégarde, après le remaniement, laissé le texte primitif : Conclusion de
cette Quatrième partie qui est une réflexion sur la nature de la possession du
diable (A.
65v S. p. 283). Un détail du chapitre 12 confirme cette
assertion car il suppose nettement que la 2e et la 3e
partie, telles qu’elles seront identifiées plus loin, sont déjà écrites (A.
69r) : « Qui lira ce qu’il en a écrit et qu’il a cacheté
pour n’être point lu pendant sa vie, verra clairement ». Et non loin de là (A.
68v) : « Toutes ses calamitez qui sont assez visibles par la
déduction de ce qui est escrit dans les deux parties qui ne sont pas encore
produites
(c’est-à-dire la 2e et la 3e partie où il est question de
ses maux et des grâces qui ont compensé). »
La date de composition de ces deux parties ne fait pas
davantage difficulté. L’année 1663 est expressément indiquée au début de
l’ouvrage, (A.
14r) : « Première partie... chapitre premier (titre)... A
Saint-Macaire, ce 23 août 1663. » Cette même année est rappelée plus loin (A.
31r) à propos de la rénovation des noms, sur la main gauche de
Jeanne des Anges : « Tous quatre ont demeuré jusqu’à l’année 1662, au jour de S.
Jean auquel, pour la dernière fois, se fit leur rénovation. A l’heure que je
parle, qui est l’an 1663, ces noms sont tout à fait abolis ». Ce passage est
antérieur à la seconde rédaction des deux premiers chapitres de l’histoire où
les mêmes faits sont rapportés mais où est affirmée très nettement, de la part
de Jeanne, une démarche qui, là, est donné sous la forme la plus dubitative. De
même, A 37r, il est fait allusion à un voyage à Loudun « il
n’y a pas deux ans » de « gens de qualité (M. et Mme Dusault), de
Bordeaux », voyage accompli aux environs de la Toussaint, comme le P. Surin le
rappelle là même, en 1661, ainsi qu’il résulte de nombreuses lettres de la
correspondance, la plupart inédites, dont la date est indubitable. De même pour
la 4e partie (la seconde d’après A). « De sorte qu’étant dans
l’âge de 65 ans, il ne fait que sortir d’une mission très pénible prêchant tous
les jours a de grands peuples et confessant prodigieusement sans en être
incommodé en sa santé, ayant des forces pour tout » (A
68v). Il faudrait même en conclure que certaines pages ont été
écrites seulement en 1665, peu avant la mort du Père (22 avril de cette année)
si les particularités rappelées n’étaient en désaccord avec ce que la
correspondance fait connaître des occupations du Père en ce temps ; tout au plus
peut-on hésiter entre 1663 et 1664 : le Père Surin étant né en 1600, le 9
février, se trouvait en effet, à partir du 9 février 1664, dans sa
soixante-cinquième année. Mais il peut y avoir une erreur de date — il y en a
d’autres chez lui — 65 pour 63 ans. Les détails qu’il donne là sur ses
occupations conviennent aussi bien à 1664 qu’à 1663.
Reste l’identification de la 2e et de la 3e
partie. On a vu plus haut que, d’après nous, elles ne sont autres que la 2e
et la 3e partie qui, dans les manuscrits, suivent le Triomphe
et sont donnés par l’Histoire publiée 1828, comme 3e et 4e
parties.
1° Un premier argument est le titre même que ces
parties ont dans les manuscrits : Deuxième (troisième) partie de la science
(expérimentale), etc. ; titre inexplicable si primitivement, en effet, ces
parties n’appartenaient pas à la Science expérimentale.
2° Elles rentrent d’ailleurs, par leur sujet,
directement dans le plan de ce dernier ouvrage, tel que le donne la préface et
sont au contraire en dehors de celui du Triomphe, comme le définissent
les premières lignes : « On ne fera récit dans cette histoire que des choses qui
se sont passées en l’affaire de la possession de la mère Prieure des Ursulines
de Loudun ». L’on sait que cette seconde et cette troisième parties, racontent
au contraire la vie intime, si douloureuse et si mystique à la fois, du P.
Surin, depuis son retour du pèlerinage d’Annecy en 1638 jusqu’à l’année 1663.
Étant ici en repos, écrit-il
au début de la Science expérimentale, à cause de la tranquillité de ce
séjour et de la liberté que j’y ai, me voyant exempt des affaires qui
m’accablent ailleurs, j’ai cru qu’il serait bon de m’employer à mettre par écrit
des choses que j’ai souvent eu la pensée d’écrire et de ne pas laisser échapper
de ma mémoire ce de quoi les âmes peuvent tirer grande instruction, et
consolation, marquant ce que Notre-Seigneur m’a fait connaître et expérimenter
des choses de l’autre vie et qui passent d’état ordinaire de la foi dans lequel
nous n’avons d’autres objets que ceux qui touchent les sens et qui sont dans
l’usage commun de cette vie présente.
Je ne veux point garder
d’autre ordre que celui des temps. [Ici la phrase citée page 162 : A 14v].
Je me contenterai de marquer celles que j’ai éprouvées en ma personne,
Notre-Seigneur ayant permis que j’en aie senti plusieurs dans mon corps et dans
mon esprit, et qu’il n’y a point de sujet de tirer crainte de tout cela, étant
toutes choses faites sans moi ou s’il y a du mien c’est toujours avec plus
d’aide de la grâce de Notre-Seigneur que de mon industrie et de mon travail.
Nulle part la prépondérance de l’élément personnel n’apparaît
mieux que dans ces deux parties.
3° Le P. Surin signale encore dans la note
préliminaire de la Science expérimentale que la « 2e partie ne peut
être communiquée et la 3e moins que la 2e ». Or voici ce
qu’il écrit au début de la 2e partie dans le manuscrit 301 bis
(p. 347-8) : « J’ai été longtemps en
doute si je mettrais par écrit les choses que j’ai entrepris de déduire en cette
partie, la raison pour ne le faire pas est que ce sont des choses si étranges et
si peu croyables que ceux qui les verront écrites les prendront pour des vraies
fantaisies et imaginations d’un esprit égaré et qu’il y a plus de sagesse de se
celer que de se publier ». Et au début du chapitre 7e (p.
408) : « Ce que je dois dire dans ce chapitre ne se peut pas bien
communiquer à d’autres qu’aux religieux de notre Compagnie à cause qu’il se
passa des choses fort étranges, dont d’autres qu’eux ne seraient pas capables
».
De même au début de la 3e partie, immédiatement après le titre, vient
cette note : « Ce qui est écrit ne se doit communiquer à personne ».
4° A la fin de cette seconde partie se trouve
l’affirmation expresse de son appartenance au mê-me ouvrage que la première
partie de la Science expérimentale. Tandis que le Triomphe n’est qu’une
simple histoire, la Science, je l’ai déjà remarqué, est un ouvrage apologétique
destiné à démontrer, par les preuves personnelles que Surin a eues de l’action
des démons, en lui et autour de lui, l’existence du monde surnaturel en général,
de Dieu et de l’autre vie en particulier. Ce dessein qu’il formule au
commencement même de l’ouvrage, il le rappelle en ces termes à la fin de la
seconde partie (manuscrit 301 bis, p. 338) :
Il y a pourtant une chose
encore à dire, c’est que la vue des choses que j’ai ici alléguées soit en
première ou seconde partie, est seulement de celles qui sont prises
des démons ou de leurs opérations dont aucunes ont été si manifestes qu’on
conclut évidemment qu’il y était et de là on vient à connaître manifestement
aussi celui qui les a créés et qui les punit ; je ne me suis point hasardé
d’avancer d’autres preuves que celles qui sont prises de ce côté-là, et il y a
des personnes meilleures que moi qui en ont eu d’autres et qui les ont
alléguées... [Le développement se poursuit pendant deux pages, 538-540 et se
termine par ces mots} : Car tout ce que j’ai dit peut bien suffire pour imprimer
cette créance qu’il y a un Dieu dans le ciel qui nous a sauvés par son fils,
lequel a fondé son Église et a laissé le moyen à tous les hommes de parvenir au
salut éternel, Dieu nous en fasse grâce »
.
De même au début de la troisième partie (manuscrit p. 51-542) : Après ce défi
dont j’ai parlé en la première partie ».
5° La date de composition confirme pleinement tout ce
qui vient d’être dit. On a vu plus haut que Surin affirme qu’il a achevé le
Triomphe en 1660, époque où il n’a pas quitté Bordeaux, comme il résulte de
sa correspondance. En 1663, au contraire, il passe la plus grande partie de
l’année à Saint-Macaire. On l’y trouve dès le premier février et il ne le quitte
que momentanément pour Bordeaux. Ayant pleinement recouvré ses forces physiques,
il en profite pour se livrer aux labeurs apostoliques parmi les villageois et en
particulier donner des missions. Ces faits que la correspondance inédite de 1663
rappelle souvent, sont également signalés, à plusieurs reprises, au cours de la
deuxième et de la troisième partie, comme dans la première
et dans la quatrième :
Deuxième partie,
manuscrit 301 bis, chapitre 4, p. 375 : Enfin il [Surin] se rendit à
Saint-Macaire, où je suis à présent écrivant ceci, et par ce que j’ai commencé à
écrire parlant en tierce personne, je continuerai de même ». Un peu plus loin
(p. 380) : « En cette disposition il vint en ce lieu de Saint-Macaire, il fut
logé au même lieu où il a été diverses fois cette année » ; (p. 385) à propos de
sa chute ) Saint-Macaire, en 1645 : « Il y a dix-huit ans [1645-1663] de cette
chute et comme on a loisir de devenir vieux, il se fait des changements dans les
dispositions ; à présent je suis ici dans le même lieu ou la chute est arrivée
en tantôt je parle de ceci en première personne, quelques fois en tierce
personne, selon que la disposition s’y trouve ». (Cf. p. 617 : « Au temps que
j’étais en ce pays, c’est-à-dire à Saint-Macaire, il y a dix-huit ans ». Un peu
plus haut, page 383 il avait écrit : « Il n’y a pas encore un mois qu’au même
lieu ou le Père tomba, un chat voulant atteindre un passereau, tomba et se
tua ».
Troisième partie,
chapitre 3 (577-581) : « Et qu’étant vieux, car j’ai soixante-trois ans et
passés [9 février 1600/août 1663]... je prêche au simple peuple dans les
villages et Dieu laisse mon cœur content » ; page 585 : « A peine y a-t-il trois
ans que je suis dans un état paisible et constant » ; chapitre 6 (p. 615-616)
tout un développement sur ses occupations à Saint-Macaire ; je ne cite que
l’essentiel : « Après lesquelles peines vint l’état de douceur et de consolation
et la liberté du mouvement dont j’ai parlé en cette partie et c’est ce qui s’est
rendu stable et je le possède à présent avec la liberté de prêcher et de servir
les âmes, comme je fais étant à la campagne à une lieue de Saint-Macaire où je
dois prêcher demain qui est dimanche à une paroisse nommée Saint-André et je
prêchai hier qui est la fête du Saint Martyr et à mon avis il y a de la
bénédiction de Dieu... »
Or en 1663 nous avons une longue lettre pour Jeanne des
Anges, « écrite à Saint-André, à la mission, ce 26 août. » J’en transcris
seulement ce passage :
« Je vous écris d’un lieu où
je suis dans la mission, à trois lieues de Bordeaux. Nous sommes ici pour le
service des âmes à un bourg champêtre et nonobstant qu’il y ait de l’emploi dans
l’extérieur, il y a bien lieu à goûter les douceurs de Dieu
.
Sortant de cette mission, ce qui sera dans treize jours, j’irai à Saint-Macaire
et à Bazas voir vos sœurs ».
Quelques jours plus tard, dans une lettre commencée le 15
septembre à Saint-Macaire et achevée à Verdelais, « ce jour des Stigmates de
Saint François », Surin écrit à Jeanne des Anges ces lignes qui peuvent servir
de conclusion à la première partie de ce travail :
« Je suis après un ouvrage
que je commençai le 23 du mois passé, dont je crois vous avoir écrit par ma
dernière. Ce sont les choses que je voulais que vous me mandassiez ou me fissiez
mander de vos nouvelles, de quoi ordinairement vous êtes assez oublieuse, je
vous mandais donc que j’avais commencé un ouvrage que je nomme Science
expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des filles de
Loudun. C’est un livre où je dis mes expériences et parle de mes maux en
l’état passé. Je ne prétends pas publier cela, mais il se trouvera dans ma
chambre, quand je mourrai, et l’ai quasi achevé. Si nous nous voyons, je pourrai
vous en montrer quelque chose. Enfin ma conclusion est qu’il n’y a rien tel que
Dieu et que son service est préférable à toutes les choses de ce monde. J’ai
joie de me voir quasi au bout de ma carrière, j’attends de cette vie ».
On a vu dans la première partie de ce travail, que le P.
Surin avait commencé en 1636 et achevé en 1660 un ouvrage sur la possession de
Loudun intitulé : Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer,
en la personne d’une fille possédée
.
Il débute par cette courte préface où est très nettement exposé le but de
l’écrit avec son caractère historique et autobiographique :
On ne fera récit dans cette
histoire que des choses qui se sont passées en l’affaire de la possession de la
Mère Prieure des Ursulines de Loudun, nommée sœur Jeanne des Anges, de la Maison
de Cozé, depuis le temps que le R. P. Surin, de la Compagnie de Jésus, prit
charge de l’exorciser et raconterons avec l’assistance divine le plus fidèlement
qu’il nous sera possible, les effets de miséricorde que Dieu a fait paraître sur
cette âme et comme quoi le divin amour, par le ministère de ce Père l’a tirée de
l’effroyable captivité du Diable, pour la posséder, non seulement en la liberté
de ses Enfants, mais encore en la possession d’une haute grâce, faisant
confusion en la maison de Nabuchodonosor par la générosité d’une fille et
donnant par ce moyen un plein triomphe à son amour sur les ennemis de son
royaume
.
Effectivement, au cours des quatorze chapitres qui composent
cette histoire, le P. Surin recueille ses souvenirs personnels non pas sur tout
ce dont il a été témoin à Loudun, au cours des années 1634-1637, pendant
lesquelles, il y a séjourné à deux reprises, mais sur la façon très particulière
dont il a compris son rôle d’exorciste et les fruits de sanctification qui en on
résulté pour l’âme de Jeanne des Anges. Sans doute, ce qui concerne directement
la possession et l’action contre les démons occupe une large place dans le
récit, mais l’intérêt, même du P. Surin, est manifestement ailleurs. Il s’agit
pour lui de montrer comment la meilleure méthode d’expulser les démons
consistait, comme il l’a fait, à tirer avant tout Jeanne des Anges de l’état de
tiédeur spirituelle où elle se trouvait, à éveiller en elle le goût et le besoin
de l’oraison, à lui faire vouloir la pénitence et le renoncement. Derrière le
drame extérieur qui met aux prises l’exorciste avec les « ennemis de la nature
humaine », il y a le drame intime qui se joue dans l’âme même de Jeanne qu’il
s’agit de conquérir définitivement à Dieu. Surin veut démontrer l’efficacité de
cette méthode purement spirituelle. Il y a évidemment profit, en dépit des
bizarreries et des singularités dont abonde le récit, à suivre l’application de
cette méthode si persévéramment employée et à connaître dans le détail les
procédés auxquels a recours le directeur pour guider cette âme, au début si
réfractaire, vers les hauts sommets de la sainteté. La dernière partie, où sont
rapportées les merveilles opérées par la « sainte onction »
,
a évidemment pour objet d’aviver la dévotion envers saint Joseph, dont le Père
Surin a été l’un des grands propagateurs à l’exemple de sa mère spirituelle,
sainte Thérèse.
Ils es d’ailleurs aisé de se rendre compte de ce que contient
le Triomphe, car pour les neuf premiers chapitres, l’édition de 1829
est assez fidèle et, sauf quelques retouches de style, ça et là, donne vraiment
le texte composé par le P. Surin. Neuf chapitres embrassent la période du
premier séjour à Loudun et de l’envoi à Bordeaux. Les cinq premiers et une
partie du sixième furent écrits à ce moment-là même, comme nous l’apprend
l’indication mise par Surin au début de la rédaction qui fit suite à ce premier
travail : Continuation de l’histoire de Loudun, interrompue au 6e
chapitre, de l’an 1636 vers le mois d’octobre et reprise dans l’an 1660, au
commencement du mois d’août. Octobre 1636 c’est le moment précis où Surin
vient de quitter Loudun et d’être envoyé à Bordeaux. Il y passera à prêcher et à
confesser, malgré l’obsession qui le travaille ouvertement depuis avril 1635,
d’octobre 1636 à juin 1637. Ses dernières lettres de Loudun, datées du 3 octobre
1636, font allusion à son départ immédiat ; la première écrite de Bordeaux, ou
plutôt de la campagne de Chelivettes, propriété de famille, que son père, en
1626, avait donné au collège des Jésuites, est du 1er novembre. C’est
donc entre ces deux dates, encore tout frémissant de ce qu’il avait vu, entendu
et accompli, que Surin décrit « sa procédure en la conduite de la Mère prieure »
(chap. 2e), « la voie qui fut tenue en la conduite de l’oraison de la
Mère prieure » (chap. 5), « comment elle joignit la pénitence à l’oraison »
(chap. 6). Malgré sa fidélité substantielle, l’édition de 1829 contient
cependant des additions et des omissions. L’omission la plus intéressante
concerne un passage sur les Exercices spirituels, d’une actualité assez
piquante, puisqu’il donne l’opinion de Surin sur l’aptitude des Exercices
de saint Ignace à disposer l’âme aux grâces de la contemplation infuse. Je
transcrit ce texte en entier d’après le meilleur manuscrit
:
Cette oraison de la minuit en
laquelle elle éprouvait grande aridité, lui était parfois très utile, et elle en
sortait avec des goûts de Dieu non pareils, savourant les choses qu’elle avait
médités le jour. Ce fut à la fin sa viande si douce et si savoureuse, qu’elle y
passait plusieurs heures sans ennui, comme nous dirons ci-après quand nous
parlerons de la contemplation où elle fut élevée, avec laquelle elle faisait
règlement, en son particulier et avec le Père, quatre heures d’oraison en
quelque disposition qu’elle se trouvât, sinon qu’elle fût malade. Cependant il
vous faut remarquer qu’en toute cette conduite d’oraison, le Père observait
exactement la manière qui est prescrite dans les Exercices de saint Ignace ; et
combien qu’il ne le fît par un art ni à dessein, n’ayant eu autre volonté que de
suivre les mouvements que Notre-Seigneur lui donnerait, faisant réflexion par
après sur la manière qu’il avait tenue, il trouva que c’était la même qui était
prescrite dans ce livre ; et combien que cette adresse d’oraison préparatoire,
de prélude, et tout le reste semble gêner la liberté de quelques esprits, qui,
prenant cela avec trop de dessein et de prévoyance, limitent l’opération de
l’esprit de Dieu et restreignent son amplitude, toutefois il expérimenta
clairement que quand cela se rencontre suavement et s’exerce sans contrainte,
que c’est le plus court et le plus assuré chemin à la véritable contemplation
surnaturelle. Il remarqua donc, faisant réflexion sur le passé et considérant la
procédure qu'il avait tenue avec la Mère, que son commencement était une
élévation à Dieu pour mettre l'âme en sa présence ; puis un récit de l'histoire
qui devait être méditée, puis une réflexion particulière sur le lieu avec les
circonstances sensibles, et ainsi l'application de l'esprit aux choses
considérables et celle des sens à celle qui se présentait à eux capable
d'émouvoir l'affection de son poids, sans aucun dessein, avec un merveilleux
soulagement de coeur. Il tenait cet ordre, qui est l'ordinaire des Méditations
de saint Ignace ; car si parfois il insère des discours et des raisons
inventées, c'est rarement ; mais de vingt Méditations il y en a dix-neuf qui
sont en cette façon, qui attire infailliblement les âmes à la contemplation tant
désirée de toutes les personnes qui entrent dans ce chemin de l'oraison. Ce
qu'on dit est véritable, qu'il est mal aisé de fournir de méthode pour l'oraison
surnaturelle ou de quiétude ; néanmoins on peut dire que s'il y en a eu au
monde, ce grand Saint l'a trouvée, et qui verra attentivement et pénétrera le
secret de sa conduite, il y reconnaîtra les trésors cachés ; car le style de ce
saint homme n'est point
tant de raisonner, l'activité du discours empêche merveilleusement l'opération
divine, mais seulement d'employer les puissances de l'âme en grande simplicité à
la vue des personnes, des paroles et des actions, pesant par simple regard ses
objets et y appliquant les sens intérieurs pour en tirer admiration, paix,
suavité et ferveur
.
Le Père donc qui jamais n'avait pu prendre à
tâche ces méthodes, se laissant aller à son esprit qui y était réduit par celui
même qui les avait inspirées à son père et fondateur, afin de lui faire
connaître en une expérience signalée la force de cette manière d'oraison contre
les démons, et combien elle était pressante pour conduire une âme à la sainte
quiétude et contemplation surnaturelle, en laquelle Dieu opère et attire
suavement l'esprit qui se soumet à sa conduite, car de fait, quand là Mère
prieure fut parvenue au mystère de la flagellation, lequel seul les occupa un
mois entier, elle fut élevée à cette contemplation si désirable et à cette douce
paix où l'âme reçoit de Dieu sans peine les infusions de sa lumière. Mais parce
que cette façon de prier fut précédée de grands travaux et qu'il faut une longue
déduction à représenter les choses qui s'y passèrent, nous attendrons à en
parler, après avoir dit ce qu'il faut subir pour acquérir une si grande faveur,
comme par le même, il fallut ôter quelque empêchement dont la lumière de
méditation et la connaissance étaient obscurcies et qui étant dans le fond du
naturel devait être arraché par le travail de l'âme, se mortifiant à bon escient
pour préparer la place au Saint-Esprit qui voulait habiter en elle.
En guise d'appendice à cette première partie du récit, tous
les manuscrits, sauf celui de la Mazarine, donnent deux documents, qui sont
également du P. Surin et n'ont point de rapport direct avec le sujet
immédiatement traité. Le premier constitue même une sorte d'anticipation par
rapport à la suite des événements : (Le) Récit de ce qui se passa à
Loudun lors de la délivrance de la Mère prieure des Ursulines de Loudun, le jour
des Rois 1636. « La Mère fut extraordinairement inquiétée. — que faisait la
Mère ? » Le deuxième du même 'jour des Rois, déclaration du démon touchant la
vie spirituelle : « Dit qu'il savait bien — que celui de la géhenne »
.
Ce dernier document contient, entre autres, une critique fort vive des
spirituels immortifiés interprétant à contre sens la doctrine de [S. François de
Sales]
.
Absorbé par ses nouvelles occupations, puis réduit à l'état
d'impuissance intellectuelle pendant plus de vingt ans, à la suite de son second
séjour à Loudun, le P. Surin ne recouvra que vers 1660 la pleine possession de
lui-même à l'extérieur comme à l'intérieur. C'est alors qu'il se remit à décrire
la suite des événements de Loudun, ainsi qu'en fait foi la note qui sert comme
de titre à cette nouvelle partie : Continuation de l'histoire de Loudun,
interrompue au 6e chapitre, de l'an 1636, vers le mois d'octobre et
reprise dans l'an 1660 au commencement du mois d'août et comme quoi la Mère
prieure fut délivrée des deux démons qui la possédaient. Ici le manuscrit de
la Mazarine est le seul logique en commençant un nouveau chapitre à cet endroit
(le 7e), puisque le sujet est tout à fait distinct de ce qui précède.
Les autres ne donnent que quelques pages plus loin le titre du chapitre VII «
Comment la Mère fut délivrée d'un autre démon qui la possédait. « Ce titre
ne se comprend bien que si, avec la Mazarine, l'on assimile la fin de la note «
comme quoi la Mère prieure fut délivrée de deux démons » à l'entête d’un nouveau
chapitre. De là, d'ailleurs, une numérotation différente pour le même contenu de
cette seconde partie : le manuscrit de la Mazarine comptant neuf chapitres, de 7
à 15, tandis que les autres n'en ont que huit : la suite de 6 et les chapitres 7
à 14.
Dans cette seconde partie, moins intéressante d'ailleurs, du
point de vue de la doctrine spirituelle, mais importante pour la biographie du
Père Surin et sa psychologie personnelle, l'édition de 1829 est beaucoup moins
fidèle que précédemment au texte authentique du Triomphe. Elle abrège et
modifie beaucoup plus largement
.
Au
point . même que le dernier chapitre de cette édition (XI, «
contenant ce qui arriva avant et pendant le voyage de la Mère en Savoie »),
équivaut à lui seul aux quatre derniers chapitres du Triomphe, dont voici
les titres :
XI. Le Père ayant achevé
l'affaire de la délivrance de la Mère se retira et des choses qui arrivèrent
jusqu'au voyage de Savoie.
XII. Comme l'on fit le
voyage de Savoie, le Père allant d'un côté, la Mère de l'autre et des choses qui
arrivèrent pendant le chemin.
XIII. D'une grande
merveille qui arriva en l'onction de S. Joseph pendant que la Mère était à
Annecy et de son département.
XIV. Comme le Père Surin
et la Mère s'en retournèrent chacun en leur quartier et des merveilles que
Notre-Seigneur fit par S. Joseph.
Le biographe du P. Surin y recueillera un certain nombre
d'indications utiles pour fixer certains détails des années 1635-1639 et plus
d'un trait qui ne lui permettra guère d'accepter le jugement que l'on trouve
consigné en plusieurs manuscrits, à propos du récit de l'apparition de sœur
Gabrielle de l'Incarnation à Jeanne des Anges (en 1660), sur le P. Surin « qui
ne croyait pas de léger. »
L'article précédent a démontré que cet ouvrage a été composé
en août-septembre 1665, à Saint-Macaire, non loin de Bordeaux, et qu'il
comprenait en réalité quatre parties. L'état primitif nous est au mieux
représenté par le manuscrit B (ibliothèque) N (ationale) 145.96
qui a conservé la note préliminaire où il est question de ces quatre parties et
où chacune est suffisamment caractérisée pour que nous puissions facilement
l'identifier. Quelques lignes, en guise d'introduction font connaître le but
poursuivi par le P. Surin dans ce nouvel ouvrage et pour quels motifs il
l'écrivit :
v
Première Partie
Où sont les arguments qui
prouvent les choses de l'autre vie.
Chapitre premier
Introduction au récit des choses qui ont donné
cette science expérimentale des objets qui sont de l'autre vie.
A Saint Macaire, ce 13 août
1663.
Étant ici en repos a causé de
la tranquillité de ce séjour et de la liberté que j'y ai, me voyant exempt des
affaires qui m'accablent ailleurs, j'ai cru qu'il serait bon de m'employer à
mettre par écrit des choses que j'ai souvent eu la pensée d'écrire et de ne pas
laisser échapper de ma mémoire ce de quoi les âmes peuvent tirer grande
instruction et consolation, marquant ce que N. S. m'a fait connaître et
expérimenter des choses de l'autre vie et qui passent l'état ordinaire de la
foi, dans lequel nous n'avons d'autres abjects que ceux qui touchent les sens
et qui sont dans l'usage commun de cette vie présente.
Je ne veux point garder
d'autre ordre que celui des temps. Ainsi, sans m'arrêter à déduire les choses
extraordinaires que j'ai aperçues dans les personnes possédées, à cause que ce
sont des choses que j'ai écrites ailleurs fort exactement, pour le moins celles
dont j'ai été témoin de la vue et de l'expérience, je me contenterai de marquer
celles que j'ai éprouvées en ma personne, N. S. ayant permis que j'en ai senti
plusieurs dans mon corps et dans mon esprit, et qu'il n'y a point de sujet de
tirer vanité de tout cela, étant toutes choses faites sans moi, ou s'il y a du
mien c'est toujours avec plus d’aide de la grâce de N: S. que de mon industrie
et de mon travail.
Premièrement donc je veux
dire comme quoi N. S. permit que les opérations manifestes des démons se
rendissent sensibles en ma personne...
I. — La première partie de la science expérimentale, comprend
onze chapitres. Le premier, présenté comme une introduction, rappelle l’émotion
qui saisit Surin à Loudun, le désir qu'il éprouva par suite de soulager de son
mieux, les possédées, en particulier Jeanne des Anges et l'offre qu'il fit à
Dieu de porter une partie de sa peine. — Le second expose « comment le Père
sentit la présence du démon en sa personne et ses opérations et comment il lui
fit la grâce de résister. » IIIe « Des autres attaques que les démons
firent sentir au Père et comme quoi, il ne reçut aucun préjudice de rien, N.-S
le délivrant de tout » : description des diverses épreuves, et tentations dont
il fut l'objet pendant son séjour à Loudun. — IVe « Deux objections à
ce qui vient d'être dit avec la réponse pour y satisfaire » : Première objection
: incertitude de l'intervention diabolique dans les entretiens avec les
possédées : à preuve les fausses possessions. Surin invoque l'impossibilité de
s'être trompé tout au long des trois ans, qu'a duré son expérience à Loudun et
la supériorité de l'esprit des démons sur celui des possédées expliquant seule
les réponses qu'elles font au-dessus de leur état. Il revendique énergiquement
le droit d'avoir une opinion motivée qui s'impose à l'examen plus que celle de
spectateurs venus seulement en passant — Ve « Continuation de la même
matière » : Deuxième objection : les diables sont menteurs, on ne peut donc
faire nul fond sur ce qu'ils disent. Digression sur les bons et les mauvais
anges ; cause de la chute de ceux-ci. Comment en toute hypothèse, cela prouve
l'existence de Dieu et du surnaturel, si l'exorciste remplit bien son devoir, il
y a toute chance pour que Dieu oblige le démon à dire la vérité : « Non pas que
je veuille conclure que sur leur déposition on puisse faire le procès à
personne, comme on dit facilement que le magicien Grandier avait été condamné
sur la déposition des démons mais on peut prudemment tirer d'eux et de leurs
paroles des ouvertures pour poursuivre la justice et faire le procès aux
magiciens à cause que sur ces ouvertures on reçoit des éclaircissements et sur
ces découvertes on fait des interrogations et des recherches qui font qu'on
vient à bout de plusieurs choses qui sont à la gloire de Dieu et au bien des
âmes en connaissant la vérité » (B N. 14596 f. 22) — VI : « Arguments
indiscutables de la présence des démons dans les personnes possédées qui sont
les signes donnés de leur sortie. » Après avoir mis en relief le principe de la
preuve et sa valeur, Surin passe à l'application et raconte comment il a chassé
les démons de Jeanne des Anges. — VII : « Continuation des mêmes preuves en la
sortie des démons. » L'auteur se propose moins de redire ce qu'il a déjà raconté
dans l'Histoire (Le Triomphe) que de souligner le caractère
surnaturel de ces faits et leur force démonstrative. — VIII : « Autre preuve de
la vérité des démons possédants prise de la découverte des pensées secrètes du
coeur humain » : divers épisodes des exorcismes qu'il a faits. — IX « Autres
preuves qui me font connaître que c'étaient vraiment des diables dans les
personnes possédées » : sept preuves énumérées brièvement. La fin du chapitre
est consacrée à la conversion de M. de .Kériolet. — X « Autre preuve rare des
choses surnaturelles qui est la rénovation des noms écrits sur la main de la
mère, qui se fit l'espace de plus de 20 ans » : Détails prouvant la réalité du
phénomène et son caractère surnaturel, contre toute fraude. — XI : « Autre
preuve et effets miraculeux en la guérison qui arriva en la personne de la Mère
des Anges par l'onction de S. Joseph. » Les deux guérisons de1637 et de 1639. Ce
dernier fait « nous le pouvons mettre là entre les effets les plus signalés et
les plus indubitables de ce temps desquels nous pouvons tirer toutes les
conclusions que nous avons dit ci-devant, en confirmation de notre foi et les
pouvons prendre pour motifs de bien faire et nous résoudre à tout ce que Dieu
veut de nous, pourquoi il a fait par le passé tant de miracles dans son
Église. »
« Voilà la première partie dé ce livre ».
L'imprimé de1829
,
ne comprend que trois chapitres. Il omet d'abord les cinq premiers du manuscrit
et débute, en l'appelant chapitre 1er, par le chapitre VIe.
Mais ce chapitre 1er contient en outre, avec, comme toujours, des
omissions nombreuses, le chapitre VII, jusqu'à la page 160. A partir de la page
161, l'imprimé omet la fin du chapitre VII et les détails qu'il donne, sur la
possession de Loudun, comme déjà rappelés dans le Triomphe, auquel il
renvoie. Il les remplace par des considérations sur les démons et leurs
déclarations. Ce sont des pages empruntées aux chapitres III (f. 161-162), IV
(162-165), V (165-169) de cette 1ère partie de la Science.
Puis, après une page et demie non identifiée, (169-170), il transcrit (170-175)
au style direct, en em ployant la première personne, la Déclaration du jour
des rois, annexée dans certains manuscrits du Triomphe avant la
continuation de 1660 (voir plus haut) Le chapitre II de l'imprimé répond, avec
toujours des abréviations, des omissions et sous un titre différent, au chapitre
VIII des manuscrits ; de même le chapitre III au chapitre IX. L'imprimé s'arrête
à la fin de ce chapitre. Il omet les chapitres X et XI déjà partiellement
insérés au chapitre X du Triomphe (p. 136 sq. : chapitre X ; 125-126 :
chapitre XI).
II. « La seconde partie de la science en laquelle le Père
Surin parle des maux qui lui sont arrivés par suite de la possession des démons
chassés par son ministère. » Elle comprend dix-sept chapitres, et raconte
les épreuves physiques et morales du P. Surin, depuis son retour de Savoie, en
1639, jusqu'à sa guérison plus ou moins complète, au moment où il écrit en août
1663. C'est avec des modifications diverses, le contenu même de la 3e
partie de l'Histoire publiée en 1828
.
L'ordre y est fidèlement suivi mais le tout a été distribué en deux livres, avec
le 1er 14, le second 10.chapitres. Les huit premiers chapitres se
correspondent ; le IXe est distribué, dans l'imprimé, avec des
remaniements divers, entre les ch. X, XI et XII ; le Xe équivaut aux
XIIIe et XIVe de l'imprimé ; le XIe aux
chapitres I et II du 2e livre, le XII au IIIe et au IVe
jusqu'au milieu de la page 271 ; le XIIIe à la fin du IVe
et au Ve, le XIV au VIe et VIIe, le XVe
au chapitre IX, le XVIe au chapitre VIII, le XVIIe au
chapitre X. Il y a beaucoup de passages abrégés, à l'intérieur de ces divers
chapitres. Le style a été remanié.
III. « Troisième partie de la science expérimentale où le
père traite des choses en particulier qu'il a reçues à l'occasion et en suite de
la possession de Loudun, — ce qui est écrit ne se doit communiquer à personne. »
Cette partie comprend quatorze chapitres, qui, forment la 4e partie
de l'Histoire de 1828
.
Ils y sont distribués en deux livres, de 7 et 13 chapitres, avec des
modifications et surtout des abréviations nombreuses, comme dans le précédent,
Elles sont d'autant plus fâcheuses que cette partie contient le détail des états
mystiques du P. Surin, ce qui rendait plus désirable encore la reproduction
fidèle du texte original. Le chapitre 1er répond au chapitre 1er
de l'imprimé ; le chapitre II à II et III jusqu'au début de la page 301 ; le
chapitre III à la fin du chapitre et au chapitre IV ; le chapitre IV aux
chapitres I et II du second livre ; le chapitre V au chapitre III ; le chapitre
VI aux chapitres IV et V ; le chapitre VII au chapitre VI, mais l'ordre y est
renversé ; le chapitre VIII au chapitre VIII ; le chapitre IX au chapitre XI,
mais très abrégé ; le chapitre X à VII, VI, V en partie ; le chapitre XI à VI à
partir de 313, mais extrêmement abrégé ; le chapitre XII en partie aux chapitres
IX et XIII ; le chapitre XIII au chapitre X ; le chapitre XIV au chapitre XII,
jusqu'au milieu de la page 360. En somme de tout l'ouvrage, cette partie qui est
la plus intéressante pour les études de mystique est aussi celle que a été le
plus maltraitée dans l'édition de 1828. Le texte original renferme des pages
fort curieuses et quelques-unes d'une réelle beauté.
IV. La quatrième partie de la Science expérimentale,
ramène à la possession de Loudun et n'a été conservée que sous la forme de «
deuxième partie de la science expérimentale contenant des réflexions sur les
vérités qui ont été déduites dans la partie précédente », c'est-à-dire la
première partie. J'ai cité dans l'article précédent les textes démontrant que,
primitivement, elle formait bien la quatrième partie de la Science
expérimentale, comme en témoigne en particulier la note liminaire du
manuscrit B N 145.96 et le titre du chapitre 13e conservé par
l'éditeur de1829 ; « Conclusion sur cette je partie qui est une réflexion sur la
matière de la possession. » Elle comprend seize chapitres, assez fidèlement
reproduits par l'éditeur de 1829, sous ce titre : « Section seconde contenant
des réflexions sur les vérités qui ont été déduites en la première section »
.
Il y a surtout une lacune à la fin du chapitre 10, p. 270, répondant à deux
pages du manuscrit et environ un peu plus de trois pages de l'imprimé. Çà et là
quelques abréviations. Les titres des chapitres sont fidèlement reproduits, sauf
de rares altérations. L'ouvrage se termine en réalité au bas de la page 302. Les
pages 303-304 sont la finale de la 2e partie, décrite plus haut,
c'est-à-dire du récit des tribulations du P. Surin, de 1639 à 1663.
Nous ne possédons plus sous sa forme primitive, la Science
expérimentale, avec ses quatre parties telles qu'elles viennent d'être
décrites. Les manuscrits où elle est conservée appartiennent tous à une édition
nouvelle où l'ensemble se trouve démembré et reclassé : la Ire et la
IVe partie unies sous le titre de Science expérimentale, divisée
en deux parties ; la IIe et la IIIe jointes, en
conservant illogiquement leur titre ancien (IIe et IIIe
partie de la Science expérimentale), au Triomphe de l'amour divin,
dont elles forment, en effet, la suite naturelle, au moins chronologiquement, et
dont elles se rapprochent par le caractère plus narratif que démonstratif de
leur contenu. C'est l'état actuel des manuscrits contenant l'œuvre authentique
du Père Surin
.
Il n'est pas possible de fixer la date à laquelle s'est faite cette
transformation. Il est peu probable qu'elle remonte au P. Surin lui-même.
Toutefois, les manuscrits de la Science expérimentale,
réduite à deux parties (la 1re et la IIe désormais
dénommée seconde), présentent une particularité curieuse : le Ier et
le IIe chapitre existent en deux rédactions. La plus ancienne vient
en second lieu après un titre spécial suivi d'une courte note déjà rapportée. La
1re partie débute par un Ier chapitre, assez court ;
c'était, comme on l'a vu plus haut une sorte d'introduction rappelant en quel
état spirituel se trouvait Jeanne des Anges, au moment de l'arrivée à Loudun du
P. Surin et l'offrande que celui-ci fit à Dieu de souffrir pour qu'elle en fût
délivrée (fo 14-15). Le second, plus long, exposait « comment le Père
sentit la présence du démon en sa personne et ses opérations et comment N. S.
lui fit la grâce de résister. » Il entrait à ce sujet dans [es détails les plus
réalistes (f° 15v-17r). Suit le chapitre III, avec ce
titre : « Des autres attaques que les démons firent sentir au Père et comme quoi
il ne reçut aucun préjudice de rien, N. S. le délivrant de tout ».
Mais tout au début du manuscrit se trouvent quelques pages
(B.N. 145.96, f° I-12v) contenant le même titre suivi d'une préface.
« On peut par deux voies savoir — un service pour l'éternité. » Puis, de
nouveau, le titre « Science expérimentale... » accompagné cette fois de :
« divisée en deux parties. Première partie où sont les arguments qui prouvent
par une véritable expérience l'autre vie et les choses qui la concernent. »
Suivent chapitre I et chapitre II avec un titre et, un contenu tout nouveaux (f°
2v-12v) ; puis le chapitre troisième avec ce titre, lui
aussi nouveau : « Des autres expériences que le Père eut, par lesquelles se
prouve l'autre vie et se démontrent les choses que la foi nous en apprend. » Une
note qui suit immédiatement ce titre, donne la clé de l'énigme, en rappelant les
premiers mots du chapitre III primitif :
« Toutes les choses que nous avons dites au chapitre
précédent » ; aller à la marque et omettre tout ce qui se trouve écrit entre ci
et cette marque, car encore que ce soit ainsi qu'il a été écrit la première
fois, on a trouvé néanmoins depuis qu'il était bon d'ôter tout cela et de mettre
en la place [ce] que nous venons d'écrire, à cause que toutes les âmes ne sont
pas capables de tout et qu'il vaut mieux taire ce qui peut nuire à quelques-uns.
Il faut donc sauter prés de cinq feuilles.
De fait, entre cette note et le début du chapitre 3 primitif
auxquels appartiennent les premiers mots de cette note, il y a les fos.
13-17r. Le P. Surin a donc, pour les motifs qu'il indique, composé à
nouveau les I et II chapitres bien que le manuscrit nous ait conservé
heureusement à la suite les anciens. C'est la rédaction placée tout au début des
manuscrits. Le titre du premier chapitre de contenu tout autre que la première
rédaction est maintenant : « Abrégé de l'histoire de la possession des Ursulines
de Loudun ». Ce chapitre (f° 2v-7v) est' beaucoup plus
long que le premier chapitre primitif et résume toute l'histoire de la
possession, en s'appesantissant surtout sur la période antérieure à l'arrivée à
Loudun du P. Surin. Il est donné en guise d'introduction au Triomphe,
dans l'édition de 1829 (pp. 1-10), mais seulement jusqu'au f° 5v. La
suite est partiellement intercalée un peu plus loin, au chapitre 1er,
pp. 13-14, 16-18. Le chapitre II a maintenant pour titre : « Comme quoi le P.
Surin étant dans son emploi eut des marques évidentes des choses de l‘autre vie
et comme il en sentit les effets en sa personne. » Il y raconte ses débuts à
Loudun, l'épisode, concernant Madeleine Boinet, et celui de Cohon, évêque de
Nîmes et passe alors seulement au récit de l'obsession, sujet primitif de ce
second chapitre, en abrégeant certains détails. Puis il ajoute : « Pour
proportionner ce chapitre avec les autres, il me semble à propos de continuer
ici ce que nous avons entrepris au chapitre précédent qui est de faire un abrégé
de l'histoire. Nous avons là coupé trop court ce qui concerne la fin ; il faut
donc dire que la Mère ayant été délivrée de quatre démons qui étaient en elle,
après la mort du P. Lactance, etc.
». Le P. Surin y poursuit sa propre biographie depuis le retour définitif à
Bordeaux, en racontant notamment la chute de S. Macaire (1645), puis il revient
à la Mère Jeanne des Anges pour signaler les merveilles opérées par la « sainte
onction » et la rénovation de noms. Il termine en renvoyant à l'Histoire
(Triomphe) « qui ne peut point encore être produite... au moins en son
entier... Cependant, conclut-il, le lecteur jouira de cet abrégé qui lui donnera
peut-être goût pour davantage, qui viendra dans peu de temps. » Probablement
pour éviter des répétitions, puisque les faits mentionnés dans la deuxième
partie de ce chapitré reviennent plus loin, les deux manuscrits de Sens et de
l'École Sainte-Geneviève, ont coupé court beaucoup plus tôt. Ils s'arrêtent au
moment ou le P. Surin va parler du voyage de Savoie et terminent ainsi le 2e
chapitre : « son obsession l'avait conduit à de grandes souffrances qui lui
durèrent plus de 28 ans (B. N. 145.96, avec raison a 18) et ne sont pas encore
finies, le P. surin fut aussi envoyé avec un Père de la Compagnie on Savoye,
ainsi que je l'ai rapporté fort au long ailleurs et sa chute faite à
Saint-Macaire avec toute la suite des maux que j'y ai enduré. » Le caractère
adventice de cette phrase se découvre de lui même : bien qu'à la 1er
personne, elle n'est pas du P. Surin mais de celui qui a arrangé la 2e
édition de la Science. Puisque seule la 1er et la 2e
parties étaient conservées, il était possible de faire allusion aux passages de
la 2e et de la 4e qui maintenant étaient considérées comme
faisant partie d'un autre ouvrage. Il importe de retenir le titre du chapitre Ier
: Abrégé de l'histoire de la possession des Ursulines de Loudun. Il nous
a valu en grande partie l'étrange brouillamini des titres que l'œuvre du P.
Surin présente dans les manuscrits comme dans l'imprimé de 1828. On a transporté
indûment à tout l'ensemble ce titre qui n'était vrai que du premier chapitre.
Tel était l'état des choses et des manuscrits vers la fin du
dix-septième siècle. Il ne faut pas le perdre de vue. A-t-il vraiment existé un
manuscrit unique où les deux ouvrages primitifs étaient fondus en un seul
comprenant quatre parties, telles que les décrit dans sa préface le Solitaire
dont il va être question et à sa suite l'édition de 1829 dont j'ai rapporté plus
haut les paroles. Ce n'est pas absolument sûr, malgré leurs affirmations, car on
n'a jusqu'ici retrouvé aucun manuscrit ainsi constitué mais seulement ceux que
je viens de décrire : d'une part, la Science expérimentale en deux
parties, répondant à la Ie et à la IVe primitives ;
d’autre part, le Triomphe et à la suite, soit immédiatement soit après
quelques lettres du P. Surin, la 2e et la 3e partie de
cette même Science.
On ne peut nier que dans les deux ouvrages ainsi rapprochés
il n'y ait beaucoup de répétitions et de longueurs. C'est sans doute ce qui
donna l'idée à un inconnu qui se nomme seulement « personne solitaire », peu
après la publication anonyme du pasteur Aubin, l'Histoire des Diables de
Loudun (1694), peut-être en 1697, de remanier et de refondre en un seul
ouvrage les deux écrits du P. Surin. Plusieurs manuscrits
ont conservé cette adaptation sous le titre suivant : « Abrégé de la vraie
histoire de la possession des religieuses Ursulines de la ville de Loudun, au
diocèse de Poitiers, arrivée en l'an1632 et qui a duré plusieurs années, écrite
parle R. P. Jean-Joseph Seurin de la Compagnie de Jésus, exorciste pendant trois
ans des dites religieuses. Rédigée en ordre et divisée en trois parties par une
personne solitaire »
.
« Première partie qui contient en général plusieurs choses considérables
concernant cette possession. On y voit des preuves incontestables de sa réalité.
Écrite à Paris en 1704. » Immédiatement après viennent deux pièces qui se
rapportent en réalité à tout l'ouvrage : l'avertissement au lecteur et la
préface. Je transcris ici la partie de l'avertissement où la « personne
solitaire » fait connaître comment elle a compris et exécuté son travail
.
M'étant tombé entre les mains
des manuscrits de l'Histoire de la possession des religieuses Ursulines de
Loudun, qu'on m'assura être une véritable copie de ce qu'en avait écrit le R. P.
Seurin de la Compagnie de Jésus, qui avait été exorciste pendant 3 ans, et qui
avait conduit cette affaire avec une sagesse toute divine ; en sorte qu'il
chassa les démons et établit les religieuses dans un état de grandes
perfections, comme je goûtais beaucoup ses écrits et que je savais qu'ils
avaient été lus d'un grand nombre de personnes, que plusieurs doctes les avaient
goûté, aussi bien que les simples et que tous généralement en avaient été
édifié, je pris le dessein, mon cher lecteur, de faire un abrégé de cette
histoire et de la rédigé dans un autre ordre que celui qui est dans les
manuscrits, c'est-à-dire, dans celui où je vous la présente, ayant confronté
cette histoire, avec les autres ouvrages de cet auteur qu'on a imprimé, afin de
m'assurer d'avantage si elle était de lui. Je trouvai que c'étaient le même
style et la même doctrine pleine de la lumière et de l'onction du Saint-Esprit,
ce qui me fit espérer que cet ouvrage ne serait pas moins utile et moins
agréable que ceux de ce digne auteur qui avaient déjà été mis au jour et afin
que ceux qui ont vu cet ouvrage en manuscrit soient assurés que c'est le même
sur lequel j'ai travaillé, et qu'on sache ce que le P. Seurin a écrit sur cette
matière, je veux ici en faire le détail.
L'ouvrage du P. Seurin sur le
sujet de la possession de Loudun contient 4 parties... [J'omets cette
description].
Voilà; mon cher lecteur, ou
on pourra connaître que cet abrégé est fidèlement conforme a l'ouvrage du P.
Seurin, témoin oculaire des faits de cette possession et on en sera entièrement
persuadé en lisant l'un et l'autre parce qu'on y trouvera les mêmes matières.
Cependant je n'ai pas suivi
l'ordre et l'arrangement des matières, ni la division du P. Seurin, pour des
raisons qui ont paru légitimes à plusieurs personnes afin d'éviter la confusion
et les redites qui se trouvent dans son ouvrage ayant été composé à plusieurs
reprises pendant l'espace de vingt-cinq ans.
J'ai divisé cet abrégé en
trois parties ;
I. — La 1re
contient en général plusieurs choses considérables qui concernent cette
possession. On y trouvera des preuves sensibles et incontestables de sa réalité.
II, — La 2e
contient en particulier ce qui regarde la possession de la mère prieure ; comme
elle fut conduite par le P. Seurin son exorciste. Comme elle fut délivrée et les
miracles et prodiges arrivés devant et après cette délivrance.
III. — Là 3e
contient le récit des grandes peines du P. Seurin et des grâces extraordinaires
qu'il reçut du ciel pendant cette possession et ensuite tout le reste de sa vie
pendant plus de 2o ans.
Je n'ai rien altéré de
l'essentiel de l'histoire. Il est vrai que j'a retranché plusieurs choses qui
m'ont paru ou trop longues et trop ennuyeuses, ou peu propres pour toutes sortes
de personnes comme le P. Seurin en avertit lui-même : mais cela ne regarde point
le fond de l'histoire ni les faits de la possession. Il est aussi vrai que j'y
ai ajouté quelques réflexions de temps en temps, et quelques articles qui lui
donneront quelque ornement. Ce que j'y ai ajouté de faits, je l’ai pris en
plusieurs, petits livres que les autres exorcistes de cette même possession
firent imprimer à la Flèche en 1634 et 37 chez Georges Grivaux, sur des faits
dont ils étaient témoins oculaires.
Voici en particulier ce que
j'ai ajouté et tiré de ces livrés :
1. J'ai ajouté la manière
chrétienne avec laquelle les Juges de Grandier examinèrent son procès. Quelques
circonstances de sa mort et ce que les démons dirent de ses peines de l'enfer, 1re
partie, livre 1, chapitre 3, 4, 5.
2. Ce que les démons ont
rapporté de la chute de Saint-Macaire, le jeune et de Saint-Martinien, 1re
partie, livre 2, chapitre 7.
3. Pour plusieurs
circonstances de la conversion de M. Queriolet rapportée en la 1er
partie, livre 2, chapitre 15. Je les ai tiré de sa vie composée parle P.
Dominique de Sainte-Catherine, carme et imprimée l’an 1663 chez Firmin Lambert,
rue Saint-Jacques à Paris.
4. J'ai pris tout ce que j’ai
rapporté de la conversion d'un jeune avocat en la 1er partie, livre
2, chapitre 16, 17, 18, 19 dans un des petits livres qui fut fait exprès.
Je n'ai rien ajouté à la 2e
partie que l'abrégé de la vie de la Mère Jeanne des Anges, prieure des Ursulines
de Loudun, qui sert de préface et je l'ai composé sur les mémoires qui m'ont été
fournis par les religieuses de ce couvent. Il y a aussi à la fin un chapitre de
réflexions que l'on voit assez être ajouté.
Je n'ai rien aussi ajouté à
la 3e partie que l'abrégé de la vie du P. Seurin qui sert de préface,
et que j'ai recueillie de la vie que M. Boudon grand archidiacre d'Evreux a
donné au public, comme aussi le 1er chapitre qui sert d'introduction.
[Suivent des réflexions
sur la valeur apologétique de cette histoire].
Fasse le Ciel que ce petit
abrégé profite à quelques âmes.. C'est le but de la personne qui vous le
présente, cher lecteur et qui met pour cet effet l'ouvrage sous la protection de
la Sainte Vierge et de S. Joseph. Comme ils ont eu beaucoup de part à cette
affaire, par les puissantes assistances qu'ils ont donné à ces pauvres
religieuses affligées, il y a lieu d'espérer qu'ils attireront encore les
bénédictions du ciel sur cet écrit et que Dieu sera glorifié. C’est tout mon
désir.
Vient ensuite la préface du P. Seurin : « On peut savoir les
choses de la vie » suivie de cette note : « Cette préface se trouve à la tète de
la 4e partie de l'ouvrage du P. Seurin sur la possession de Loudun,
laquelle est intitulée Science expérimentale » .
Elle est suivie de l'Introduction au récit de cette
possession, où l'auteur signale à nouveau la valeur d'édification de la
possession et de sort histoire. Après avoir exalté les mérites du P. Surin, il
continue :
Il écrivit même en partie
l'histoire de cette possession, pendant ses peines, sans avoir aucun dessein de
faire imprimer cet ouvrage quoi que Dieu lui donna au fond du cœur espérance que
quelqu’un le ferait après sa mort. Il donna toute cette histoire écrite de sa
main a une personne confidente lui recommandant particulièrement de ne la point
communiqué pendant sa vie, et à peu de gens après sa mort, à cause qu'il y
décrit au long et en détail, les peines infernales qu'il avait enduré, et les
grâces extraordinaires qu'il avait reçues de Dieu, ce qu'il ne jugeait pas à
propos ne faire connaître à toutes sortes de personnes. C'est ce qui nous en a
dérobé la connaissance jusqu'à présent. Ceci n'a pas été sans un ordre exprès de
la divine Providence, qui ayant fait un si grand bien dans le dernier siècle,
s'est contenté que ceux qui vivaient dans ce temps en fussent informés, par les
témoins oculaires, et qu'à présent qu'ils sont morts ont la mette au jour. Et
peut-être Dieu donnera-t-il tant de bénédictions à cet ouvrage qu'il fera les
mêmes effets dans les âmes de ceux qui le liront, que la possession en a fait
dans ceux qui l'ont vu et peut-être que la gloire que Dieu en tirera ne sera pas
moins grande. C'est la seule chose que je désire. Je proteste et que j’ai été
fidèle abbréviateur du P. Seurin et si cet ouvrage mérite une approbation
favorable, la gloire en doit être à Dieu et au P. Seurin ; rien ne m'en doit
être attribué que les défauts que l'on y trouvera.
Je crois inutile d'entrer dans le détail de la composition de
cette révision qui ne présente pas d'intérêt par elle-même. En la rapprochant de
l'Histoire de 1828, il est aisé de constater qu'elle en forme la substance, en
dépit de la différence de numérotation des parties (la troisième a été dédoublée
en III et IV) et des chapitres. On a seulement supprimé nombre d'additions
répondant à des tendances particulières (p. c. la polémique contre Aubin) et
soigneusement signalées par les manuscrits. Au début de la IIe partie
le manuscrit de Saint-Sulpice 4384 donne à part la vie de Jeanne des
Anges avec cette indication : « Préface qui contient un abrégé de la vie de
Jeanne des Auges qui n'a pas été composée par le P. Seurin mais on l'a ajoutée
pour servir d'introduction (Histoire, 1828, p. 92-103, où la pièce est
donnée aussi à part et comme écrite par les Ursulines de Loudun). Entre les
trois manuscrits principaux, il y a des variantes qu'il est inutile de relever
ici. Il faut remarquer seulement que Saint-Sulpice 4384 divise déjà
la première partie en deux livres (11 et 22 chapitres) comme l'imprimé.
Saint-Sulpice 4381 supprime les sept premiers chapitres de la seconde
partie qui ne contient ainsi que 32 chapitres, alors que les deux autres en ont
39 (ou 40).
Un certain nombre de manuscrits
contiennent un remaniement de l'édition précédente ainsi présenté (à quelques
variantes près, insignifiantes) :
La science expérimentale ou l'histoire véritable de la
possession des religieuses ursulines de Loudun au diocèse de Poitiers, arrivée à
l'année 1632 jusqu'en 1638, par le Révérend Père Surin de la Compagnie de Jésus
exorciste de ces mêmes religieuses — ouvrage divisé en trois parties par un
solitaire, et réduit en un meilleur ordre par un ecclésiastique lequel pour
appuyer la vérité de cette histoire y a ajouté plusieurs faits remarquables,
tirés de ses expériences ayant lui-même pris soin de plusieurs possédés secrets
et de l'ordre exprès de son prélat durant plus de 20 ans, en forme d'annotation
sur les deux livres.
Deux manuscrits de la Mazarine et de la Bibliothèque
Nationale, donnent à la suite cet Avis qui fait connaître l'œuvre propre de
l'ecclésiastique :
L'histoire de la Possession des Religieuses de
Loudun étant tombée entre mes mains sans presque aucun ordre, j'ai cru, comme
elle n'est point encore imprimée, pour l'utilité des lecteurs devoir la mettre
d'une manière plus régulière : ainsi, sans rien retrancher d'essentiel, j'ai mis
des chapitres avec des titres, où il n'y en avait point, évité les répétitions,
et ce qu'il y avait d'inutile, éclairci les endroits non intelligibles, en sorte
qu'elle parait maintenant, un vrai corps d'histoire. J'y ai ajouté un abrégé de
la vie de ce Saint homme et un autre de celle de la Mère Jeanne des Anges.
Un extrait de la dernière partie de l'introduction rapporté
déjà plus haut est donné sous le titre : Avis du solitaire, et précède
immédiatement l'histoire proprement dite distribuée en quatre parties, chacune
comprenant deux livres avec le même ordre et le même nombre de chapitres que
dans l'imprimé de 1828.
Les détails qui viennent d'être donnés dispensent d'entrer
dans de longs détails à ce sujet. L'Histoire abrégée de 1828 n'est autre
[que le remaniement du « solitaire » et de l’« ecclésiastique » allégé d'un
assez grand nombre d'additions dans le corps de l'ouvrage et des divers avis ou
préfaces, remplacés par un nouvel avertissement de l'éditeur. Elle contient
donc, dans la première partie surtout, des chapitres entiers étrangers à l'œuvre
du P. Surin : celle-ci assez respectée quant au fond, pour la IIIe et
IVe partie (ou elle a subi de notables abréviations), n'est que très
imparfaitement reproduite dans les deux premières où, en plus des additions
étrangères, il y a un certain mélange du Triomphe et de la Science
expérimentale. Bref pour ces deux premières parties, l'ouvrage ne saurait
être cité comme œuvre du P. Surin que sous bénéfice d'inventaire.
On a vu plus haut que l'édition de 1829 (Triomphe et
Science expérimentale) respecte beaucoup plus le texte même du P. Surin,
n'y ajoute rien d'étranger mais lui fait subir aussi des modifications et des
suppressions telles qu'il n'y est qu'assez imparfaitement représenté. J'ajoute
que la divergence des titres de ces ouvrages d'origine si différente, et leur
accumulation, sans aucun souci de leur accord avec le vrai contenu, reflète
directement l'incertitude et la confusion qui règnent à ce sujet dans les
manuscrits, surtout ceux qui reproduisent soit la recension du « solitaire »
soit celle de « l'ecclésiastique »
.
En somme l'édition de l'autobiographie du P. Surin est encore
à faire. La tâche n'est pas très malaisée : il suffira d'écarter tous les
remaniements postérieurs et de se reporter au petit nombre de manuscrits qui ont
conservé le texte primitif
.
Ferdinand CAVALLERA
 |