Anastasie
de Roquard
Sœur Saint-Gervais
Supérieure du couvent des Ursulines de Bollène.
Marie-Anastasie de Roquard, qui devait mourir supérieure des
Ursulines de Bollène, était entrée au couvent en 1749, et y avait pris le nom de
Sœur Saint-Gervais. Et elle prononça ses vœux de religion le 24 juin 1766. Elle
avait alors dix-sept ans.
Sa famille, fixée depuis plusieurs siècles à Bollène, y
jouissait d'une grande considération, et d'une haute renommée qu'elle avait
acquise par ses services et par ses libéralités à l'égard des pauvres et des
œuvres pies. Elle avait, entre autres bienfaits, largement contribué à la
fondation dans cette ville du couvent du Saint-Sacrement, lui avait donné une
partie de sa fortune et de sa maison, et, dans la personne de M. de Roquard,
seigneur de Vinsobre, officier de cavalerie entré dans les ordres, le premier de
ses aumôniers et des confesseurs des religieuses. Elle devait lui donner, au
surplus, de ferventes novices et de saintes professes, parmi lesquelles on
comptait en 1792 la « Sœur du Saint-Esprit » de Roquard, proche parente de notre
martyre.
Née à Bollène, le 5 octobre 1749, Marie Anastasie était fille
de Paul Joachim de Roquard et de Marie Gabrielle de Faucher. Elle fut baptisée
le même jour. Paul Joseph de Roquard son frère et Marie Sophie sa sœur furent
ses parrain et marraine.
Six ans après sa profession, elle remplissait déjà la charge
de sœur dépositaire, et assista en cette qualité à la profession de Sœur
Marie-des-Anges (Marie-Anne de Rocher) le 21 septembre 1772. Ses rares qualités,
ses remarquables aptitudes au discernement des esprits et à leur gouvernement la
portèrent bientôt à la dignité de Supérieure. Elle en exerçait les fonctions,
lorsqu'en 1792, son couvent fut fermé et ses filles furent contraintes à se
disperser. La Mère de Roquard n'était pas une âme disposée à subir, sans réagir
aussitôt, le choc des événements. Sa maison était fermée ? Elle en ouvrirait une
autre. Pour éviter au troupeau confié à sa garde le danger et les douleurs de la
séparation, elle ménagerait à la communauté un asile, et dans ce refuge,
maintiendrait par le lien des observances régulières, sa chère communauté dans
l'unité et dans la ferveur.
Le moment venu de quitter le couvent, la mère supérieure eut
la très grande consolation de voir immédiatement se regrouper sous sa houlette
ses chères filles, qui lui donnèrent ainsi en lui gardant leur confiance et leur
amour à cette heure critique le plus beau témoignage de leur dévouement et de
leur piété filiale. Cet acte spontané fait le plus bel éloge du gouvernement de
Sœur Saint-Gervais.
La difficulté n'était d'ailleurs pas mince de loger, en
respectant les exigences de la clôture et de la vie conventuelle, les dix-sept
sœurs de chœur et les six converses qui constituaient alors le monastère de
Sainte-Ursule de Bollène. Aussi dût-on renoncer à les abriter toutes sous le
même toit ; il fallut aménager plusieurs maisons particulières, et veiller au
maintien de la règle et de la discipline au sein de ces communautés ainsi
fragmentées.
La Mère de Roquard y pourvut avec cette piété éclairée, cet
esprit de surnaturel abandon à la Providence, et aussi cette rapidité dans la
décision qui avait été, en des temps plus heureux, la caractéristique de son
gouvernement tout de sagesse et de bonté. Elle fit plus encore. Des religieuses
appartenant à d'autres ordres, expulsées elles aussi de leurs couvents, lui
demandèrent de leur permettre de se joindre à ses filles, et de partager leur
vie de privations et de dénuement. La Mère de Roquard y consentit volontiers.
Elle accueillit comme si elles avaient été ses propres enfants celles que le
malheur des temps jetait ainsi dans ses bras, et leur fit une part égale de
tendresse et de dévouement.
Par deux fois, la municipalité de Bollène leur intima l'ordre
de prêter le serment : par deux fois, à l'exemple de leur supérieure, elles
refusèrent. Elles furent donc arrêtées et transférées à Orange.
À la prison de la Cure, la Mère de Roquard fut spontanément
reconnue comme supérieure de la communauté reconstituée, et toutes les
prisonnières, malgré la diversité de leurs familles religieuses, reconnurent
pratiquement son autorité. Elle était, d'ailleurs, la seule établie en dignité,
la Révérende Mère de la Fare, supérieure des Sacramentines, ayant été obligée de
quitter Bollène, depuis quelque temps, sous le coup d'un arrêté d'expulsion de
la municipalité, comme étrangère à la localité. Mais l'ascendant que la
supérieure de Saint-Ursule exerçait, par sa piété et sa fidélité aux
observances, était encore plus puissant que son nom et que son titre pour lui
concilier la sympathie et l'obéissance déférente de ses compagnes de captivité.
Elle fut mère jusqu'au bout, et après avoir enfanté à la vie religieuse ses
novices et ses professes, elle les prépara à entrer dans la vie qui ne finira
pas.
Quatorze religieuses avaient versé leur sang pour
Jésus-Christ, quand la Mère de Roquard fut appelée à son tour devant ses juges.
Elle comparut avec autant de calme et de dignité que si elle accomplissait une
importante fonction de sa charge, retrouvant, en face de ses bourreaux, une
noblesse d'attitudes et de langage, qu'elle avait bien souvent, avec ses sœurs,
tempéré de beaucoup de bonté.
Condamnée elle aussi, comme réfractaire et fanatique, elle
mourut courageusement, ne pouvant surpasser la constance de ses filles, mais les
égalant en fermeté. Elle avait quarante-cinq ans.
Abbé Méritan
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