

(suite)
Vers la fin de 1936, une nuit, j’ai aperçu, à peu
de distance, un pré très vert et très fleuri. Les fleurs étaient des lis.
Combien ils étaient nombreux ! Combien ils étaient parfaits ! Au milieu de ce
pré, paissait un troupeau d’une immensité de brebis. Le berger, c’était Jésus,
grandeur nature, très beau, un bâton à la main. Je me suis approchée du pré ; au
moment où j’allais entrer, le tout se transforma dans une route aride. J’ai
cheminé jusqu’à une pente très difficile à monter. Pour arriver au sommet de la
montagne, je devais parcourir un sentier qui faisait peur : que des ronces et
des épines. À ma gauche j’entendais bêler les brebis. J’aurais aimé m’approcher
pour voir la cause de leurs lamentations, mais un précipice profond et obscur
m’empêchait enfin de les voir. Je percevais qu’elles souffraient beaucoup.
J’ai continué de cheminer le long de ce sentier et
puis, tout en haut, à droite, j’ai encore entendu des lamentations. Depuis la
hauteur, j’ai pu voir la cause de tant de souffrance : il y avait une brebis à
la laine très blanche, mais très sale, tombée et enchevêtrée entre de longues et
aiguës épines. De suite j’ai compris que ses lamentations n’étaient pas de
nostalgie de sa maman, parce qu’elle était déjà assez grande. J’ai eu tellement
de peine, de la voir dans cet état, que je me suis approchée et, avec beaucoup
d’amour et de tendresse, je l’ai libérée de ses épines. Aussitôt libérée, la
vision cessa.
Je ne l’ai plus jamais oubliée. Elle resta gravée
dans ma mémoire et dans mon âme.
Vers la fin du mois d’avril 1937, j’ai eu une
grande crise [physique] que me mit aux portes de la mort: des vomissements à ne
plus en finir; mon estomac n’acceptait aucun aliment. Les premiers jours je suis
restée dans un profond abattement. Je ne reconnaissais personne. Je n’avais ni
faim ni soif. Monsieur le curé, par trois fois, me récita les prières pour les
agonisants, mais je m’en souviens très peu. J’entendais que l’on priait, mais je
ne pensais pas à la mort.
Depuis un an, je recevais régulièrement la
Communion ,
alors qu’auparavant, malgré la peine que cela me causait, je ne la recevais que
quelques fois par mois.
Je ne sais pas pourquoi, mais probablement parce
le Seigneur l’inspira à l’abbé, celui-ci me portait Jésus chaque jour. J’avais
demandé cette grâce qui fut pour moi une très grande joie.
Pendant cette période de ma maladie, — je ne sais
pas si le matin ou l’après-midi — j’ai vu entrer dans ma chambre monsieur le
Curé. Le reconnaissant, je lui ai dit : — « J’aimerais recevoir Jésus. » Il m’a
répondu : « — Oui, ma chère, je vais prendre une hostie non consacrée : si tu ne
la rejettes pas, je te donnerai Notre Seigneur. » Et ce fut ainsi. Toutefois, à
peine avalée, je l’ai rendue aussitôt. Le Père était d’avis de ne pas me donner
la Communion, mais quelqu’un lui dit : « — Monsieur le Curé, une hostie non
consacrée n’est pas Jésus ! » Alors il se décida à me donner la Communion et je
ne l’ai pas rendue. Je ne suis plus jamais restée sans la Communion. Combien de
fois le curé en entrant, me trouvait prise de crises de vomissements ! Mais, à
peine avais-je reçu Jésus, que les crises et les nausées cessaient, pour ne
revenir qu’une demi-heure après la Communion. C’est par cette raison que
Monsieur le Curé ne craignait plus de me donner Jésus.
La crise dura pas mal de temps et, pendant
dix-sept jours je n’ai rien pu avaler: ma médecine était Jésus.
Je disais : « — Je meurs de faim et de soif » —
car après les premiers jours, je sentais une soif brûlante et un grand besoin de
m’alimenter. Quand j’en fus guérie, ma plus grande peine me venait lorsque je
pensais que, si j’étais morte pendant cette crise, je n’aurais pas eu une
parfaite connaissance de la mort.
Lors des festivités du mois de mai dans la
paroisse, je restais seule à la maison. Pour faire mes prières, j’allumais
quelques bougies à l’aide d’une tige. Un jour, un bout de bougie allumée est
tombé risquant de faire prendre feu à la nappe de la table ou faire éclater le
globe de verre. Je voulais l’étendre avec la canne, mais je n’y réussissais pas.
Au moment ou je m’apprêtais à laisser tomber dessus le chandelier, tout s’est
éteint. Quelle affliction de ne pas pouvoir bouger et empêcher qu’une aussi
petite flamme ne cause la destruction de notre maison !
Un autre jour où je devais aussi rester seule pour
peu de temps, j’ai eu une grande peur. Une voisine est entrée pour me demander
si j’avais besoin de quelque chose. Quand elle est partie, elle a laissé la
porte de la véranda ouverte et, peu de temps après, notre chèvre en a profité
pour entrer. Elle a pris la direction de la salle où nous gardions les vases de
fleurs destinés à l’ornementation de l’église, les jours de fête. Je l’ai
appelée : elle m’a regardé, mais n’est pas venue. Je lui ai jeté un morceau de
miel, mais elle ne l’a pas mangé, je lui ai encore montré un autre bon morceau
et j’ai continué de l’appeler; à la fin, elle a fini par s’approcher de moi.
Alors, je l’ai saisie, je lui ai donné le miel et je l’ai ensuite tenue pendant
deux heures : quelquefois la caressant, quelquefois aussi lui administrant
quelques petites tapes. Quand ma sœur est arrivée, elle s’est étonnée que j’aie
pu faire un tel effort. J’ai remercié Jésus pour avoir pu éviter, malgré ma
paralysie, le désagrément de voir nos fleurs détruites. Combien je dois à
Jésus ! J’étais prisonnière au lit, mais il m’a épargné ce chagrin.
Quelque temps après, j’ai eu une épreuve plus
douloureuse. Ma sœur s’était absentée du village et ma mère était partie au
marché. Je suis restée avec une jeune fille chargée par ma mère de m’aider,
jusqu’à son retour. Malgré ses vingt ans, elle préféra s’en aller avant l’heure.
Au moment où elle sortait, je lui ai dit : « — Si vous voulez partir, faites-le.
A leur retour, elles me retrouveront ici, vivante ou morte. »
À peine la jeune fille était-elle sortie, que
quelques chatons, après plusieurs tentatives, réussirent à monter sur mon lit.
Comme je ne le voulais pas, je les ai obligés à descendre. Quelques minutes plus
tard, j’ai entendu que l’un d’eux tombait dans une bassine d’eau. Il a beaucoup
miaulé et, après avoir avalé beaucoup d’eau, il est mort. La mère a, elle aussi,
beaucoup miaulé. Je n’ai pas réussi à me dominer et j’ai commencé à pleurer, en
disant : « — O Maman du ciel, faites que quelqu’un arrive et puisse le sauver.
J’ai invoqué plusieurs saints. » En même temps je pensais : « —
Malheureux, celui qui est paralytique ! »
Par hasard, deux personnes sont entrées et, me
voyant pleurer ont été impressionnées, voyant mon affliction. Le chaton était
mort. Je ne me suis pas impatientée. Je ne pleurais parce que j’avais de la
peine pour les animaux, mais je n’ai pas offensé Jésus. Ce fait fut à l’origine
des grandes afflictions morales, parce que ma mère et ma sœur prirent très mal
le comportement de la jeune fille. Mais elles lui ont pardonné, comme moi aussi,
je lui ai pardonné.
Comme j’aimais la solitude, spécialement le
dimanche, lorsque, à l’église se faisait l’adoration du Saint-Sacrement, je
demandais aux miens de me laisser seule avec Jésus.
C'est ainsi, qu'un jour, aussitôt que je les avais
entendues partir, je m'étais mise à réciter mon chapelet. Peu après, j'ai
entendu ouvrir le portail qui donne dans le jardin et des pas légers arpenter
les escaliers, en même temps qu'une voix répétait avec insistance : « —
Ouvre-moi la porte ! » D'immédiat j'ai reconnu cette voix
et, j'ai tremblé apeurée. Qu’en serait-il de moi s’il réussissait à entrer !
Avec confiance, j'ai serré entre mes mains le chapelet, mais j'étais atterrée,
en pensant à ce qui pourrait m'arriver. J'entendais pousser fortement la porte
et manœuvrer la serrure. Je tremblais, sans même oser respirer, car je savais
que la porte n'était pas fermée à clef. Mais, je ne sais comment, la porte ne
s'est jamais ouverte. Après de vains essais, le voyou a renoncé et est parti, me
laissant en paix. Après une aussi grosse frayeur, jamais je n'ai voulu rester
seule à la maison.
J'attribue à Jésus et à la Mère du Ciel la grâce
d'avoir été épargnée de cette mauvaise rencontre, car j’aurais de loin préféré
être attaquée par une foule de démons [que par cette personne].
Le 1er mai 1937, j’ai eu la visite du
révérend Père Durão. Il était envoyé par le Saint-Siège afin d’examiner la
question de la consécration du monde à Notre-Dame. Je ne désirais pourtant que
vivre cachée, sans que personne sache ce qui se passait en moi. Le révérend
remis à ma sœur un billet de mon directeur spirituel, lui demandant de me le
lire. En entendant les mots du billet — qui étaient les suivants : « Je vous
présente le révérend Père Durão ; parlez-lui librement et répondez à tout ce
qu’il vous demandera » —, je me suis affligée et j’ai demandé à ma sœur : « Que
dois-je lui répondre ? » Car je ne savais pas qu’un interrogatoire était
nécessaire pour des cas comme le mien. Ma sœur m’a encouragée en me disant : « —
Dis-lui ce que Notre-Seigneur t’inspirera ».
J’ai été surprise, par la manière dont, sans
hésitation, j’ai répondu aux questions au sujet des communications de
Notre-Seigneur. Il m’a suggéré de ne lui dire que les choses principales, afin
de ne pas me fatiguer. Je lui ai répondu que je ne savais pas quelles étaient
les choses principales. Le révérend me dit alors : « — J’aime ça ! J’aime ça ! »
Et ce fut alors qu’il m’a parlé de la consécration du monde à Notre-Dame. Après
quelques questions il m’a dit : « — Vous ne vous trompez pas ? » À ces paroles,
je me suis souvenue de mon erreur au sujet de ma mort et, j’ai pensé : « — Une
fois déjà, je me suis trompée... » Et je lui ai raconté ce qui s’était passé le
jour de la fête de la très Sainte-Trinité, en 1936. Le révérend Père ne m’a plus
dit si je ne m’étais pas trompée, mais il a repris : « — Ces choses-là coûtent
beaucoup, n’est-ce pas ? » Et je lui ai répondu : « — Oui, elles coûtent et me
rendent triste. » Et j’ai commencé à pleurer. À la fin, il s’est recommandé à
mes prières et m’a assuré qu’il ne m’oublierait pas non plus, lors de la
célébration de la sainte Messe.
Il s’est agenouillé ensuite et a récité trois Ave
et quelques prières jaculatoires. Celles-ci terminées, il a pris congé. J’ai
beaucoup pleuré, et je suis restée dans la tristesse et la tourmente, car ce qui
pendant longtemps était resté caché et gardé au sein de la famille, sortait
ainsi à la lumière. Tout de suite j’ai écrit à mon directeur spirituel pour tout
lui raconter. Il m’a répondu rapidement en me rassurant, me disant que tout cela
servait pour la plus grande gloire de Notre Seigneur.
Si la vie matérielle s’est améliorée pendant cette
période, les assauts du démon qui depuis des mois me menaçait, redoublèrent. Ce
fut au mois de juillet 1937 que le « manchot »,
non content de me tourmenter la conscience et de me dire des turpitudes, après
quelques mois de menaces, a commencé de me battre et à me faire tomber du lit,
de jour comme de nuit.
Au début j’ai caché la chose y compris aux
personnes de la maison, excepté ma sœur, leur disant qu’il s’agissait de crises
du cœur. Mais, par la suite, ma mère et une jeune fille
qui vivait avec nous, ont été informées. Les personnes qui étaient témoins de
mes chutes avaient de la peine pour moi, mais ignoraient tout à fait leur
origine. Une nuit, le malin m’a jetée sur le parquet, me faisant passer
par-dessus ma sœur qui dormait sur un matelas étalé par terre à côté de mon lit.
Deolinda s’est levée, m’a prise dans ses bras m’ordonnant : « — Va dans ton
lit ! » Remise à ma place, je me suis levée brusquement en émettant des
sifflements. À peine me suis-je rendue compte de ce qui arrivait, j’ai commencé
à pleurer et dis à ma sœur : « — Oh ! Qu’ai-je fait ?! » Elle m’a tranquillisée
en disant : « — Ne t’affliges pas : ce n’était pas toi ! » La nuit suivante la
même chose s’est produite et, à ma sœur qui voulait me reposer sur mon lit je
lui ai crié, en l’éloignant de moi : « — Non, non, au lit je n’irai pas ! » À
peine je me rendais compte du mal que je faisais, je pleurais.
Une nuit le « manchot » a fait les pires choses
que l’on puisse imaginer, des choses que je ne connaissais pas et même
j’ignorais. Alors je pleurais amèrement et pensais ne pas pouvoir recevoir mon
Jésus, sans me confesser.
Ce jour-là, Monsieur le Curé était absent, mais je sentais qu’il me serait bien
difficile de lui parler de ces choses-là. Je sentais ne pas pouvoir m’ouvrir à
lui. Ma sœur qui, voyant mes larmes, cherchait à me réconforter par tous les
moyens, mais n’y réussissait pas, s’est proposée d’aller chercher mon directeur
spirituel qui prêchait dans un village voisin. Je lui ai dit que cela ne serait
pas nécessaire, car je ne lui dirais pas ce qui se passait. Je lui ai demandé
une image de Notre-Dame et, avec beaucoup de sacrifice, j’ai écrit succinctement
ce qui était nécessaire pour être comprise. Je l’ai cachée sous l’oreiller en
attendant que l’heure arrive de la remettre. Mais, de façon imprévue, mon
directeur spirituel est arrivé avec Jésus-Hostie, accompagné par un séminariste.
Il avait été informé de l’absence de Monsieur le Curé. Quand il m’a annoncé
qu’il m’apportait Jésus, je lui ai dit : « — Je ne peux pas faire la Communion
sans me confesser. »
Les larmes et la honte ne me permettaient pas de
parler. Je lui ai dit, toutefois, avoir écrit un billet. Il l’a pris, l’a lu et,
pour me tranquilliser, m’a assuré qu’étant donné les précédents, il avait prévu
cette épreuve, même s’il n’avait jamais osé m’en prévenir.
Cette tribulation s’est répétée plusieurs fois.
J’étais victime des ces furieuses attaques deux fois par jour, vers neuf ou dix
heures de la nuit et aussitôt après midi, et cela durait parfois plus d’une
heure. Pendant ces assauts je ressentais en moi la rage et la fureur infernales.
Je ne consentais pas que l’on me parle de Jésus et de Marie, ni même de voir
leurs images : je leur crachais dessus et les piétinais. Je ne pouvais pas non
plus sentir la présence de mon Directeur spirituel : je l’insultais et voulais
même le frapper, ainsi que quelques personnes de la maison. Mon corps devenait
violet et sanguinolent à cause des morsures.
Je disais pareillement des gros mots envers les personnes présentes. Oh !
Combien j’aimerais que beaucoup aient pu le voir, afin qu’ils craignent l’enfer
et arrêtent d’offenser Jésus !
À chaque fois que l’influence du démon cessait et,
me souvenant de tout ce que je venais de faire et de dire, d’angoissants
scrupules m’envahissaient ; j’avais l’impression d’être la plus grande
criminelle. Ce furent des mois de douloureux martyre. J’aurais beaucoup à dire
sur ce registre, mais je ne le peux pas : mon âme ne résisterait pas à
l’évocation de telles souffrances.
Une nuit, Jésus m’est apparu: sur ses mains, sur
ses pieds, sur son côté, il portait ses plaies ouvertes, très profondes,
desquelles jaillissait, abondamment, du sang. De celle de son côté, le sang
coulait jusqu’à la ceinture, traversait la bande de lin et coulait jusqu’à
terre. J’ai baisé les plaies des mains avec beaucoup d’amour et je désirais
ardemment embrasser celles des pieds, mais, étant dans mon lit, je ne le pouvais
pas. Je n’ai rien dit, mais Il devina mon désir et m’accorda la possibilité de
le faire. J’ai ensuite fixé la plaie du côté. Pleine de compassion, je me suis
jetée dans les bras de Jésus, lui disant : « — O mon Jésus, combien vous avez
souffert par amour pour moi ! » Je suis restée ainsi quelques instants, jusqu’au
moment où Jésus a disparu.
Il est inutile de dire que plus jamais cette
vision ne s’effacera de ma mémoire. Aujourd’hui encore je sens mon cœur blessé,
au souvenir de ce tableau. Je n’en parle que par obéissance et par amour pour
Jésus. Je pense qu’il a agi ainsi pour me préparer à ce que maintenant je vais
raconter : qu’Il m’en donne la force et la grâce !
Le 23 juillet 1938 j’écrivais : « Jésus est ma
force, mon amour, mon Époux. Acceptez, ô Jésus, que votre toute petite fiancée
vous dise, non pas des lèvres, mais du cœur : Je n’appartiens qu’à vous !
Je n’ai rien, rien qui ne soit à Jésus.
Cela coûte de parler ainsi, alors que l’on ressent
le contraire et que l’on vit les heures les plus amères de sa vie, des journées
de tant de luttes où le démon m’affirme le contraire, rien que le contraire.
Maudit, je ne t’appartiens pas. Tu n’es digne que
de mépris. Tu es menteur! Jésus est tout à moi, et moi, je suis toute à Jésus.
Mon cœur, mon cœur, crie fort, très fort à ton Jésus et dis-lui que tu l’aimes,
que tu l’aimes plus que toutes les choses de la terre et du Ciel !
Je suis à Jésus dans les joies, dans les peines,
dans les ténèbres, dans les terribles tribulations, dans la pauvreté, dans
l’abandon total.
Je souffre tout pour Jésus, pour le contempler,
pour sauver les âmes.
Envoyez, ô Jésus, à votre Alexandrina, votre
victime, tout ce que l’on peut imaginer, tout ce qui existe et peut s’appeler
souffrance. Avec Vous, avec votre aide divine et avec celle de la votre et ma
tendre Maman du Ciel, je vaincrai toujours. Je ne crains rien.
Je t’embrasse et te serre dans mes bras, ô Croix
bénie de mon Jésus !
Chaque fois que j’apprenais que certaines
personnes faisaient leur retraite spirituelle, je disais : « — Tout le monde
fait sa retraite, sauf moi! Je ne sais même pas ce que c’est. »
J’ai osé dire ceci plusieurs fois en présence de
mon directeur spirituel. Il me promit que si le Père provincial le lui
permettait, il serait venu pour me la faire. Par une grande faveur, le Seigneur,
dans ses desseins, le permit. Ce fut le 30 septembre 1938 que mon Père spirituel
est venu la commencer.
À ce temps-là, mon âme se trouvait vivre dans de
grandes agonies et, quelques fois, je me sentais sur le point de tomber dans des
abîmes épouvantables. Pendant les jours de retraite, mes souffrances ont
redoublé et ces abîmes sont devenus terrifiants. La justice du Père éternel
tombait sur moi et souvent me criait : « — Vengeance, vengeance, etc. » —
pendant que les souffrances du corps et de l’âme augmentaient. Il est impossible
de les décrire ; il est nécessaire de les avoir senties et vécues. Je passais
les jours et les nuits roulant sur mon lit, en entendant la voix puissante du
Père Éternel.
Au matin du 2 octobre 1938, Jésus m’a dit que
j’allais souffrir toute sa sainte Passion, du Jardin des Oliviers au Calvaire,
sans aller jusqu’au “Consummatum est”. Je devrais la souffrir le 3 et
ensuite tous les vendredis juste après 12 heures jusqu’à 15 heures, mais que
pour la première fois Il resterait avec moi jusqu’à 18 heures pour me confier
ses lamentations.
Je ne me suis pas refusée. J’ai informé mon
directeur de tout ce que Jésus m’avait dit. J’attendais le jour et l’heure, très
affligée, car ni moi ni mon directeur, nous n’avions aucune idée de ce qui
allait arriver. Dans la nuit du 2 au 3 octobre, l’agonie de mon âme fut bien
grande. La souffrance de mon corps, fut-elle aussi très grande: vomissements de
sang et douleurs terribles. Pendant plusieurs jours j’ai vomi et pendant cinq
jours, je n’ai rien avalé. Ce fut donc avec cette souffrance que j’ai abordé ma
première crucifixion. Quelle horreur je sentais en moi! Quelle peur et quelle
terreur! Mon affliction était indicible.
Juste après l’heure de midi, Jésus est venu
m’inviter : « — Voilà, ma fille, Le Jardin des Oliviers est prêt, ainsi que le
Calvaire. Acceptes-tu ? »
J’ai senti que Notre Seigneur, pour quelque temps,
m’accompagna sur le chemin du Calvaire. Ensuite, je me suis sentie seule. Je le
voyais là haut, grandeur nature, cloué sur la Croix. J’ai cheminé sans le perdre
de vue… je devais arriver près de Lui.
J’ai vu deux fois sainte Thérèse.
La première fois à la porte du Carmel, dans sa tenue, entre deux autres sœurs,
puis entourée de roses et recouverte d’un manteau céleste.
NOTA :
Étant donné qu’Alexandrina ne s’est jamais
disposée à décrire le phénomène de la Passion, nous transcrivons ici la lettre
suivante, adressée à son Directeur spirituel, où elle décrit les sentiments de
son âme pendant les heures qui précédaient la Passion.
Je cherche un peu de soulagement dans ma
souffrance. J’attends l’heure de ma crucifixion. Je ne peux pas parler. Mon cœur
galope. Dans mon âme c’est la rébellion, l’émeute. Le poids m’écrase. Ténèbres,
nuit menaçante et triste ; je me trouve dans un état d’abandon effrayant. Il me
semble cheminer au milieu de la haine de tous, de tribunal en tribunal. Pauvre
de moi! Et je n’ai pas reçu Jésus! J’ai confiance qu’il suppléera dans les
Communions spirituelles, nonobstant la nausée que je sens de moi-même et
l’horreur pour mon énorme misère.
Hier, la température s’est calmée. Au début je
ressentais des choses horribles. Mon corps était tout transpercé de long en
large comme par d’aiguës pointes. Quels terribles moments ! Malgré un court
soulagement, je suis toujours restée dans une nuit très obscure, dans une
profonde tristesse. Je peux dire que je suis restée toute la nuit à tenir
compagnie à Notre Seigneur, me concentrant un peu sur la tragédie de la nuit du
jeudi saint. Il me semblait que Jésus m’invitait au Jardin des Oliviers. Que de
mouvements de foule ! Ces choses je les ressentais dans mon âme.
Mon Père, tout ce que je dicte me semble
mensonger. Combien de doutes ! Que d’effroi à l’approche de la Passion ! J’ai
déjà dit à Deolinda
que c’est un miracle que de pouvoir en résister : mon cœur ne bat presque plus.
Que Jésus soit avec moi. Je n’ajoute rien, parce que je ne le peux plus...
Ici, elle interrompt sa lettre, parce que la
Passion commence alors. Sa sœur, Deolinda nous la décrit comme suit :
« Mon Père, quel vendredi saint ! Ce fut vraiment
le vendredi de la Passion ! Avant que celle-ci ne commence, combien son visage
était empreint d’affliction ! Elle craignait ce jour et disait : « Combien
j’aimerais qu’il soit déjà passé ! » Je la réconfortais comme je le pouvais, la
caressant, alors que moi-même j’étais remplie de peur et d’affliction ?
Pendant la Passion, je n’ai pas pu m’empêcher de
pleurer et j’ai remarqué que presque toutes les personnes présentes pleuraient.
Quel spectacle émouvant ! L’agonie du Jardin des Oliviers, fut longue et
afflictive. On entendait des gémissements très profonds et à un certain moment,
elle suait le sang. De la flagellation, je ne vous en parle même pas, et non
plus du couronnent d’épines ! Les coups de la flagellation la mirent à genoux;
ses mains semblaient attachées. J’ai voulu lui mettre un coussin sous les
genoux, mais elle changea de place, elle n’en voulait pas. Elle a les genoux en
piteux état. Les coups sont innombrables... elle les reçut pendant bien
longtemps... Il fallait en arriver là. Les coups de canne sur la tête couronnée
d’épines, furent aussi très nombreux. Pendant la Passion elle vomit deux fois :
uniquement de l’eau, car elle n’avait rien à l’estomac. La sueur était si
abondante que ses cheveux en étaient trempés. En passant la main sur ses
vêtements, j’ai pu constater qu’ils étaient aussi tout trempés.
À la fin du couronnement d’épines elle ressemblait
à un cadavre.
Le chanoine Borlido — de Viana do Castelo — et
deux autres personnes, ainsi que le docteur Almiro de Vasconcelos — de Penafiel
— son épouse et sa sœur Judith, étaient présents ».
Et Alexandrina poursuit :
Ma souffrance fut bien douloureuse, pendant
quelques jours. Les vomissements de sang et une soif brûlante continuèrent.
Aucune eau n’était capable de ma rassasier. Je ne pouvais pas boire... J’ai
passé des jours ayant l’eau qui me coulait sur les lèvres, mais sans pouvoir
l’avaler.
J’étais fatiguée et les personnes qui
m’assistaient étaient elles aussi fatiguées. Alors même qu’une grande quantité
d’eau était passée sur mes lèvres, j’en demandais encore : « — Donnez-moi de
l’eau, beaucoup d’eau, des sceaux d’eau ! » — J’avais l’impression de brûler :
aucune eau me rassasiait.
Je sentais des odeurs horribles. Je ne voulais pas
que les personnes s’approchent de moi : elles sentaient comme des chiens morts.
On de donnait des violettes et des parfums à sentir, mais ils éloignaient tout :
la même puanteur me tourmentait toujours.
Les jours où je pouvais prendre quelques aliments,
ceux-ci avaient pour moi un si mauvais goût que j’avais des nausées : toutes ces
choses exhalaient des odeurs répugnantes.
Combien de choses j’aurais à dire si je pouvais
décrire tout ce que je ressens ! Il m’en manque le courage, car il est très
pénible de remémorer toutes ces choses.
En même temps que les grâces divines augmentaient,
augmentaient aussi les doutes et la peur de me tromper et de tromper mon
Directeur ainsi que tous ceux qui vivaient autour de moi. Mon martyre
augmentait, lui aussi, de plus en plus : il me semblait que tout était faux et
inventé par moi. Mon Dieu, quel coup pour mon cœur ! Les ténèbres
m’enveloppaient : je n’avais aucune lumière pour me montrer le chemin. Mon
Directeur faisait pourtant bien des efforts pour me redonner confiance, mais
rien n'y réussissait.
Malgré cela, je me faisais violence pour m’abandonner dans les bras de Jésus,
afin de ne pas être prise dans le tourbillon.
Je souffrais beaucoup à cause des larmes de ceux
qui m’entouraient et, je pensais : « — Mon Dieu, si le courage leur manque,
comment n’en manquerai-je pas ? »
Quelle humiliation je ressentais d’être observée
par d’autres ! O, si seulement je pouvais souffrir seule et que ce soit Jésus le
seul à savoir combien je souffrais pour Lui !
Aussitôt après la deuxième crucifixion, les
examens, faits par des Père de la Compagnie [de Jésus], ont commencé. Quelle
honte j’ai éprouvé, non pas pendant la Passion, mais avant et après !
J’ai commencé à comprendre que mon Directeur
spirituel souffrait beaucoup, intimement, à cause de moi, c’est-à-dire, en
voyant tout ce qui arrivait.
Les examens des théologiens ont été suivis par
ceux, très douloureux, des médecins,
lesquels laissaient mon corps en piteux état. J’avais l’impression de
comparaître devant un tribunal, comme si j’avais commis les plus grands crimes.
Combien il m’était pénible de les voir entrer dans ma chambre, m’examiner et
ensuite se réunir dans une salle pour discuter sur mon cas, me laissant sous le
poids de la plus grande humiliation !
Si je ne me trompe pas, ce fut à partir de la
troisième crucifixion que les médecins sont venus examiner mon cas. C’est
difficile et je sais que je ne peux pas décrire toute ma souffrance. Ils
laissaient mon corps martyrisé, mais d’autres choses m’étaient encore plus
pénibles. Quelle humiliation j’ai dû subir ! Quelle triste figure je faisais
devant eux ! Pas même le plus grand criminel n’aurait pas été jugé par un
tribunal avec autant de soin. Si je pouvais ouvrir mon âme afin que l’on puisse
voir ce qui se passe en elle et ce que j’ai vécu quotidiennement — car je revis
ces jours ! — je le ferais pour le bien des âmes, en dévoilant combien je
souffrais pour l’amour de Jésus et pour elles. Ce n’est que pour cela que je me
suis soumise à de telles souffrances.
Quand mon Directeur m’a proposé ces examens, il
m’a laissé entendre que je ne serais examinée que par les médecins ; ce fut pour
moi un grand déchirement ; une forte répulsion a jailli en moi. Je voulais
souffrir cachée, que seul Jésus connaisse ma souffrance. Mais l’obéissance
commande. Je me suis réprimée et je les ai acceptés pour Jésus. Il ne manquait
plus que des médecins pour compléter mon calvaire ! Certains ont été pour moi de
vrais bourreaux placés sur ma route.
Ceux-ci, après leurs consultations, ont décidé de
m’envoyer à Porto. Ce fut très difficile pour moi de m’y soumettre étant donné
mon état de santé. Je craignais ne pas pouvoir faire le voyage et, lorsque le
médecin assistant
m’y invita, je lui ai répondu : « — Vous-même, en 1928, vous ne m’avez pas
autorisé à aller à Fatima, et maintenant, alors que je suis bien plus
souffrante, vous voulez m’envoyer à Porto ? » Il a répliqué : « — C’est vrai que
je ne l’ai pas voulu, mais maintenant je le veux. » Je lui ai demandé si mon
Père spirituel était au courant de cette décision. M’ayant répondu par
l’affirmative, j’ai cédé à sa requête.
Le 6 décembre 1938, vers onze heures, j'ai été
transportée de mon lit à l’ambulance. Dans la matinée, plusieurs personnes amies
sont venues me rendre visite ; presque toutes ont pleuré ; il en était de même
pour ma famille. En ce qui me concerne, j’avais cherché à toutes les égayer,
faisant semblant ne rien souffrir. Le voyage fut douloureux. Il nous a pris
presque trois heures et demie, car nous devions faire plusieurs pauses, à cause
de mon état de santé.
À Porto, dans le cabinet du docteur Roberto de
Carvalho on m’a fait passer une radio. Il m’a traitée avec beaucoup de
délicatesse et, en me donnant congé, il m’a dit : « — Pauvre fille, combien tu
souffres ! »
De là j'ai été envoyée au Collège des Filles de
Marie Immaculée, où j'ai été très bien traitée. Par contre, à cause des chaos de
la route, j’ai failli m’évanouir, plus d’une fois. J’ai été examinée par le
docteur Pessegueiro : cela n’a servi qu’à augmenter ma souffrance.
Le voyage de retour a été très pénible, lui aussi.
À peine rentrée dans ma petite chambre, j’ai été entourée par des personnes
amies.
Le 26 décembre 1938, j’ai reçu la visite et subi les examens du docteur Elísio
de Moura, lequel m’a traité cruellement, en essayant violemment de me faire
asseoir sur une chaise. N’y réussissant pas, il me jeta sur le lit, faisant
plusieurs expériences qui toutes m’ont beaucoup fait souffrir. Il m’obstrua la
bouche, me jeta contre le mur, sur lequel je me suis cognée avec force. Me
voyant presque évanouie, il m’a dit : « — O ma Jeannette, ne tombe pas dans les
pommes ! »
Sans le faire exprès, j’ai pleuré, mais toutes mes
larmes et mes souffrances, très nombreuses, je les ai offertes à Jésus. Ce que
j’en dis là est loin de la réalité. Je lui ai tout pardonné, parce qu’il venait
en mission d’étude.
Le 5 décembre 1939, Monsieur le Curé, accompagné
de Monsieur le chanoine Vilar,
sont venus me visiter. Ce dernier, les présentations faites, est resté seul avec
moi, pour me parler.
Nous avons parlé des choses de Notre Seigneur,
pendant deux heures. Ensuite, il m’a parlé du but de sa visite, en commençant
ainsi : « — Ma visite vous paraîtra certainement étrange, car vous ne me
connaissez pas. »
J’ai souri et je lui dis ensuite : « — Je sais,
certainement, pourquoi vous êtes venu. » Aussitôt il ajouta : « — Dites, dites,
Alexandrina. » Je me suis expliquée : « — Vous êtes envoyé par le Saint-Siège.
C’était ce que je ressentais dans mon âme à ce moment-là. « — C’est exact. » Et
il m’a présenté quelques documents de Rome, et ensuite m’a posé quelques
questions auxquelles j’ai répondu rondement. Je ne lui ai pas parlé de la
Passion, par contre, lui, il m’en a parlé. « — Il me semble que quelque chose
vous arrive depuis quelques mois... » Il a manifesté le désir d’y assister. Et,
en effet, il est venu y assister le vendredi suivant.
J’ai parlé de cela à mon directeur, lequel m’a
conseillé de m’ouvrir à lui avec franchise. Le chanoine est revenu quatre fois,
mais, pour sa mission, que deux fois. Si je ne me trompe, dès la première fois,
il me dit : « — Notez, Alexandrina, j’aurais préféré vous connaître dans
d’autres circonstances, avant que je ne vienne, chargé d’une mission, comme ce
fut le cas. » Il m’a confié le secret de son départ pour Rome, duquel, seul
l’Archevêque était au courent.
Étant donné que je me sentais bien à l’aise pour
parler avec lui et, ayant la permission de mon Père spirituel, nous avons
beaucoup parlé de Jésus : je me suis sentie enveloppée dans une atmosphère de
sainteté et de sagesse, comme bien peu de fois cela arrive, en conversant avec
d’autres prêtres. Je lui ai avoué que, par tempérament, je n’avais pas
l’habitude de procéder de la même manière avec les autres, mais que lui, il
m’inspirait confiance. Il m’a répondu : « — Vous faites bien de ne pas en
parler : ils ne le comprendraient pas. »
Quand il a pris congé de moi pour s’en retourner à
Rome, j’ai pleuré. Il m’a promis de m’écrire et m’a demandé d’être sa médiatrice
sur terre.
J’ai, en effet, reçu de lui plusieurs lettres, auxquelles j’ai répondu : nous
nous sommes aidés mutuellement par des prières à Notre Seigneur.
Jésus me demandait de nouveau sacrifices. À cause
des examens médicaux et de l’intervention du Saint-Siège, mon cas est devenu
plus connu : pour moi, qui ne souhaitais que l’anonymat, cela fut un martyre !
Ma famille ne me rapportait pas les nouvelles qui
circulaient, mais, malgré cela, j’ai appris les commentaires que l’on faisait
sur ma vie. Pauvres ignorants, combien de mensonges ils diffusaient !
Quelques-uns affirmaient que mon voyage à Porto avait pour but d’obtenir une
pension mensuelle de la part de Monsieur Oliveira Salazar [alors Président du
Conseil portugais] ; ils parlaient même de chiffres absurdes et discordants :
500 escudos pour les uns, 300 ou 200 pour les autres ; aucune tentative ne
réussissait à faire taire de tels mensonges.
D’autres encore, disaient que j’y étais allée pour
« mesurer mon degré de sainteté » sur une machine spéciale. Deolinda, pour faire
terre cette version, répliquait : « — Si cela était possible, j’irai moi aussi,
pour contrôler à quel point je le suis. »
J’éprouvais de la peine en constatant que les
choses du Seigneur étaient si mal comprises.
D’autres encore propageaient que les prêtres qui
me rendaient visite, recueillaient de l’argent dans les paroisses et me
l’apportait et, que c’était pour cela que rien ne manquait jamais chez moi.
Autres, pour en finir, disaient que je faisais la
«voyante» : en effet des personnes sont venues chez nous pour connaître leur
avenir. Je les recevais avec beaucoup de sérénité, feignant ne pas comprendre
leur manège, mais quand elles insistaient, je leur répondais : « — Je ne suis
pas voyante, personne peut deviner l’avenir. Nous n’avons pas le droit de
pénétrer dans la pensée d’autrui. Seul le Seigneur le connaît.
Et le temps passait ainsi.
Le 29 janvier 1941, j’ai reçu la visite d’un
Prêtre connu, lequel était accompagné
de
plusieurs personnes de sa paroisse. Dès son arrivée, il me les a présentées,
mais ce n’est qu’après un long moment de conversation que j’ai appris que parmi
eux se trouvait un médecin. Sachant cela, je me suis sentie gênée, non pas que
je sois en train de mentir, en parlant de ma souffrance, mais bonnement parce
que je ne m’attendais pas à sa présence. Il est toutefois resté discret et
souriant. Je ne sais pas ce que je ressentais pour lui au plus profond de moi.
J’étais alors loin de penser qu’il deviendrait dans quelques instants mon
médecin traitant.
Il a commencé à m’examiner minutieusement, mas
avec beaucoup de prudence et de tendresse. Son examen terminé, il lui a paru
judicieux d’inviter le Dr Abel Pacheco, jusqu’alors mon médecin traitant, afin
de l’informer de son diagnostique. Cela m’a peinée, car j’en avais assez
d’examens médicaux, mais j’ai cédé, ayant toujours en vue la volonté de Notre
Seigneur et le bien des âmes.
Le premier mai de la même année j’ai été examinée
par le docteur Pacheco. L’examen a duré peu de minutes, mais il a été la cause
de grandes souffrances pour mon corps et pour mon âme : pour le corps parce que
ses mains semblaient de fer ; pour l’âme parce que je ressentais déjà les
humiliations et les résultats de cet examen. Malgré cela, j’étais encore loin
d’en voir le bout ! J’ai été informée par le docteur Dias de Azevedo qu’il
serait mieux que je retourne à Porto afin de consulter le docteur Gomes de
Araujo, si telle était la volonté de Notre Seigneur.
Il m’a suggéré de demander la lumière divine e, car il ne voulait en rien
contrarier le Seigneur.
Pendant un mois j’ai prié pour savoir si c’était
bien là la volonté de Dieu. Plus je demandais de la lumière et plus les ténèbres
augmentaient et plus profonde devenait la souffrance de l’âme, car je ne savais
pas quoi faire. Finalement, le Seigneur m’a dit que c’était sa divine volonté
que je parte à Porto.
Mon état physique était assez grave. Ils
craignaient de me sortir de mon lit pour un aussi grand voyage. Moi-même je
craignais beaucoup : si, rien que le fait de me toucher était cause de grandes
souffrances, comment pouvais-je aller aussi loin ?... Encouragée par les paroles
de Notre Seigneur, j’avais confiance en lui et sous sa divine action, je me suis
préparée pour partir à l’aube du 15 juillet 1941.
À quatre heures, j’avais déjà fait mes prières.
Pour montrer que j’en étais contente, j’ai appelé ma sœur pour lui dire que
“nous allions en ville” : rien que pour cacher ma douleur. Pendant que je
lui disais cela, j’ai entendu la voiture qui arrivait chez nous.
Le docteur Dias de Azevedo et un monsieur de nos
amis
sont entrés dans ma chambre. Après une courte conversation, pendant que ma sœur
s’habillait, nous nous sommes préparés pour partir. Nous avons pris la route à
4,30 heures, afin de ne pas alarmer la population ; il faisait encore nuit. En
effet, nous sommes sortis du pays sans rencontrer personne.
Mon âme était encore ans dans un plus grand
silence ! Plongée dans un abîme de tristesse, sans interrompre mon intime union
avec Jésus, je voyageais Lui demandant toujours davantage de courage pour les
examens qui m’attendaient et en offrant mon sacrifice afin d’avoir son divin
Amour et pour les âmes. J’invoquais aussi la Maman du Ciel et les saints qui
m’étaient les plus chers. Rien ne m’attirait et, tout ce que je voyais me
causait une profonde tristesse. De temps à autre ils interrompaient mon silence
pour me demander si j’allais bien ; je les en remerciais sans même sortir de
l’abîme dans lequel j’étais plongée. Il faisait jour déjà quand nous sommes
arrivés à Trofa, chez la personne qui nous accompagnait : là je devais me
reposer et recevoir mon Jésus, en attendant de repartir pour Porto. Avant de
reprendre le voyage, j’ai été portée dans le jardin de monsieur Sampaio et,
soutenue par l’action divine, je me suis approchée de quelques petites fleurs
que j’ai cueillies en pensant : « — Le Seigneur, quand Il les a créées, savait
déjà qu’aujourd’hui je serais venue les cueillir. » Ensuite j’ai été
photographiée à deux endroits différents et, de l’un à l’autre, je me suis
déplacée toute seule, ce qui n’était plus jamais arrivé depuis que j’avais pris
le lit,
de la même façon que plus jamais je ne m’étais retournée dans mon lit sans aide
de quelqu’un. Ce fut un miracle divin, car sans lui, je n’aurais pas pu le
faire.
Nous avons repris le voyage : mon âme souffrait
horriblement. À six kilomètres de Porto, Notre Seigneur a retiré son action
divine. J’ai commencé à ressentir les habituelles souffrances physiques qui
m’ont tourmentée jusqu’à la fin du voyage. J’ai dit alors, non pas parce que je
connaissais la distance, mais parce que mon état me l’a fait dire : « — Nous
sommes déjà proches de Porto. » Quelqu’un a répondu : « — Nous arrivons, nous
arrivons ! » En effet, j’avais pu voir qu’il ne manquait plus que six
kilomètres.
La sortie en voiture vers le cabinet a été
douloureuse, autrement dit : martyre pour le corps, agonie pour l’âme; il me
semblait que j’allais mourir.
Avant d’entrer dans la salle des consultations,
j’ai dit à celui qui me portait dans ses bras : « — Posez-moi, posez-moi, même
si c’est sur le carrelage ! » À ce même moment le médecin est arrivé et il me
fit coucher sur un brancard, où je suis restée en attendant la visite. Quelques
instants avant que je ne rentre dans le cabinet, Jésus m’a libérée de l’agonie
de l’âme, ne me laissant que les souffrances physiques, afin que je puisse mieux
résister.
L’examen a été assez long et douloureux. Pendant
que je me déshabillais, quelqu’un m’a dit de ne pas m’affliger. Moi, me
souvenant ce que l’on avait fait à Jésus, j’ai dit : « — Même Jésus a été
déshabillé. » Et je n’ai pensé à rien d’autre. Le docteur Gomes de Araujo, même
si un peu brusque, a été prudent et attentionné.
Pendant le retour à la maison, Jésus a exercé sur
moi son action divine, afin que je résiste au voyage, mais il m’a laissée de
nouveau l’âme angoissée. Arrivés à Ribeirão je suis allée me reposer chez le
docteur Azevedo afin d’attendre la nuit et de pouvoir rentrer au village sans
que nul ne s’en rende compte.
Que ce soit dans l’une comme dans l’autre maison,
j’ai été traitée avec beaucoup d’attentions, mais nul ne parvenait à me
réconforter, alors même que je souriais pour cacher le plus possible ma douleur.
Il faisait déjà nuit quand nous avons repris le voyage. Tout m’invitait à un
silence de plus en plus profond. J’étais indifférente à tout. Pendant le trajet,
je n’ai rien vu d’autre que les fleurs du jardin de Famalicão parce que
quelqu’un me les avaient signalées. Nous sommes arrivés à la maison à minuit,
obtenant ainsi, que personne ne se soit rendu compte de notre absence.
Après ce voyage, mes souffrances physiques ont
assez augmenté.
Tout ce que je devais souffrir le jour du voyage,
Notre Seigneur me l’a gardé pour le lendemain, allant de plus en plus mal.
« Balasar, le 30 avril 1941
Chère Petit Maman
Pour entamer ton mois bénit,
je viens demander ta bénédiction, ton amour, afin que je puisse aimer le tien et
mon bien-aime Jésus. Je veux l’aimer, beaucoup, beaucoup, jusqu’à devenir folle
d’amour ; je ne veux vivre et mourir que par amour ! Aidez, ma tendre Petite
Maman, votre Jésus à immoler et à sacrifier celle qui veut donner son sang et sa
vie pour les âmes et pour votre Jésus. Donne-moi, ma tendre Maman, ta pureté,
ton humilité, ton obéissance ; donne-moi tes vertus afin que je sois sainte,
afin de rendre gloire à ton Jésus pour lequel seul je veux vivre.
Petite Maman, je te demande
cette petite aumône du Ciel : je veux que le mois de mai soit pour moi soit le
dernier que je passe sur terre. Je veux aller rapidement jouir de ton Jésus et
de ta compagnie. Je veux continuer auprès de toi à implorer pardon et
miséricorde pour le monde qui est le tien. Ta fille la plus indigne, la pauvre
Alexandrina.
P. S. Je ferai tomber une
pluie de grâces et d’amour sur tous ceux et celles qui, sur la terre, me sont
chers. A jamais ta fille, Alexandrina.»
Le 27 août 1941 j’ai reçu la visite de Monsieur le
curé accompagné du Révérend Père Terças et d’un autre prêtre. Cette visite fut
pour moi très crispante, parce que j’ai dû faire le sacrifice de répondre devant
tous à une série de questions du Père Terças. J’ai répondu consciencieusement à
toutes les questions, car j’ai pensé qu’il était venu pour faire une étude,
comme d’autres l’avaient fait. Cependant, le Seigneur seul sait combien cela m’a
coûté de devoir parler de la “Passion” ; et ce fut surtout sur celle-ci qu’il
m’interrogea.
Monsieur le Curé m’a dit que le Révérend désirait
revenir vendredi, 29 août. Je ne voulais pas y consentir sans consulter mon
Directeur mais, m’ayant dit qu’il devait repartir à Lisbonne ce jour-là,
j’ai cédé à sa demande, lui disant : « — Je pense que vous ne venez pas ici par
curiosité, n’est-ce pas ? » Ayant été rassurée sur ce point, j’ai accepté, même
si sa visite un vendredi me déplaisait assez.
Le Révérend ne manqua pas son rendez-vous, mais il
est venu accompagné de trois prêtres. J’étais bien loin de penser que cette
visite me préparait un nouveau calvaire : peu après il publiait tout ce qu’il
avait vu et tout ce qu’il avait appris sur moi.
Que Jésus accepte les souffrances qui m’ont été
causées par cette publication qui mit sur la place publique mes secrets cachés
pendant de longues années.
De temps à autre, les commentaires qui étaient
faits sur moi, me venaient aux oreilles : c’étaient comme des épines que les
gens involontairement m’enfonçaient dans l’âme. Ceux qui lisaient cette revue-là
ou écoutaient ce qui se disait sur moi, avaient sur moi des idées diverses.
Mon voyage à Porto et la publication de ma vie
inquiétèrent les esprits des Supérieurs de mon Directeur spirituel au point de
lui interdire de me visiter et de me fournir l’assistance religieuse dont
j’avais besoin ; ils lui interdirent aussi de m’écrire et de recevoir des
nouvelles de moi.
Après cela, j’ai commencé à vivre de leurres : mon
Directeur spirituel, viendra-t-il aujourd’hui, viendra-t-il demain ? Ma pensée
était préoccupée par mille et une choses. J’étais impressionnée me rappelant que
je perdais mon temps avec des choses inutiles, mais je n’arrivais pas à
détourner mon esprit de ce qui me faisait tant souffrir. Je passais quelques
heures à me persuader que tout pouvait arriver comme je le pensais. Un jour, je
me suis persuadée que, n’ayant pas été prévenue par mon Directeur spirituel,
celui-ci viendrait célébrer la Sainte Messe dans ma chambre. J’ai pensé : il
viendra demain par le train, sans me prévenir. Lorsque j’ai entendu le train
s’approcher et arriver à l’arrêt, j’ai cru qu’il s’était arrêté plus de temps
qu’il n’en faut, et l’idée d’un accident me traversa l’esprit : mon Directeur
spirituel étant victime de cet accident, pendant lequel il aurait perdu une
jambe. Les gens voulaient le conduire à Póvoa, mais le Révérend refusa,
alléguant qu’il venait chez moi, qu’il fallait qu’il soit conduit en ma
présence. Je me suis imaginée le voir entrer dans ma chambre, porté par diverses
personnes : il semblait moribond. L’une des personnes portait sa jambe coupée.
Quand ce tableau si vivant et saisissant s’est présenté à mon âme, j’ai eu
l’impression de me mettre à genoux devant Notre Dame et de crier vers Elle : « O
ma Petite Maman, montrez ici votre pouvoir », en lui recollant la jambe. Après
cela, j’ai conjecturé qu’il n’était pas venu chez nous, mais qu’il avait été
ramené à l’hôpital. Cela ayant été su, j’ai eu comme le sentiment que ses frères
en religion se réjouissaient et disaient : voilà la preuve évidente que Notre
Seigneur ne voulait qu’il aille auprès d’elle.
Des absurdités comme celles-ci, j’en ai eu
d’autres, mais qui ne m’ont pas fait autant souffrir.
Ma vie a été tout entière une vie de sacrifice ;
je peux presque dire que je ne sais pas ce que c’est que jouir pleinement de la
vie, ce qui ne me cause d’ailleurs aucun regret. Je me sens à la fin de ma vie
et, si à la peine d’avoir offensé Notre Seigneur j’ajoute la jouissance du
monde, qu’elle horreur cela représente pour moi. N’avoir joui que du péché,
quelle horreur.
J’aspire après l’éternité, car là seulement je
saurai remercier Jésus de m’avoir choisie pour vivre cette vie de sacrifice,
désireuse toujours d’aimer Jésus et de sauver les âmes.
Je sais que très peu personnes me comprendront,
mais à moi, une seule chose me suffit : Jésus comprend tout.
Mon désir est que mon enterrement soit pauvre. Je
veux que mon cercueil soit d’un type ni trop beau ni trop faible, afin de ne pas
attirer l’attention de personne. Je veux être habillée en blanc, comme « Fille
de Marie », mais très modeste. Toutefois je sais que j’ai une robe très belle,
meilleur que celle que j’avais prévue : on me l’a offerte et, comme je n’ai pas
de volonté propre, parce qu’elle est plus parfaite, j’accepte ce qu’on a bien
voulu me donner.
Si cela n’est pas interdit par la Sainte Église,
je veux beaucoup de fleurs sur mon cercueil. Non point que je les mérite, mais
bien parce que je les aime beaucoup. S’il s’agissait de mérite, je n’aurais
droit à rien.
Ma volonté est d’être mise en terre, sans cercueil
en plomb. Je ne veux pas non plus de grandes cérémonies, car ma mère n’en a pas
les moyens.
Sur le trajet de mon enterrement je souhait le
plus grand recueillement. J’ai beaucoup de peine quand je regarde ou quand
j’entends parler de la manière d’accompagner les convois funèbres.
Je ne veux pas d’autopsie ; mon corps exposé en
vie aux regards des médecins suffit largement.
Je veux être inhumée, si possible, le visage
tourné vers le tabernacle de notre église. De la même manière que pendant ma vie
je n’ai eu d’autre désir que celui d’être tout près de Jésus au Saint-Sacrement
et me tourner vers le tabernacle aussi souvent que possible, ainsi après ma
mort, je veux continuer à veillez sur le tabernacle et à rester tournée vers
lui. Je sais qu’avec les yeux de mon corps je ne vois pas mon Jésus, mais je
veux rester ainsi afin de mieux prouver l’amour que j’ai envers la divine
Eucharistie.
Je veux qu’autour de ma tombe on plante des
martyrs, afin que par cette plante on sache que les ayant aimés en vie, je les
aime après ma mort. Intercalés aux martyrs je veux des petits rosiers grimpants,
de ceux qui ont beaucoup d’épines. J’aime et j’aimerai la vie durant les martyrs
que Jésus me donne et les épines qui me blessent et je les aimerai après ma
mort. Je les veux près de moi, pour montrer que c’est par les épines et tous les
martyrs que nous ressemblons le plus à Jésus, que nous consolons son divin Cœur
et que nous sauvons des âmes, filles de son Sang. Quelle plus grande preuve
d’amour pouvons-nous donner à Notre Seigneur sinon acceptant avec joie ce qui
est douleur, mépris, humiliations ? Quelle plus grande joie pouvons-nous
procurer à son divin Cœur sinon en lui donnant des âmes, beaucoup d’âmes pour
lesquelles il a souffert et donné sa vie ?
Sur ma sépulture je veux aussi une croix et, près
de celle-ci une image de ma bien-aimée Petite Maman. Si cela est possible,
j’aimerais qu’une couronne d’épines entoure cette croix. La croix signalera que
je l’ai portée la vie durant et que je l’ai aimée jusqu’à la mort. La Petite
Maman c’est pour montrer que ce fut elle qui m’a aidée à monter le chemin
douloureux de mon calvaire, m’accompagnant jusqu’aux derniers moments de ma vie.
J’ai confiance qu’il en sera ainsi. Elle est Mère, et en tant que Mère, elle ne
me laissera pas seule aux derniers instants de ma vie.
J’aime Jésus, j’aime la Petite Maman, j’aime la
souffrance, et ce n’est qu’au Ciel que je comprendrai la valeur de toute ma
souffrance !!!
Pour satisfaire aux désirs de Monseigneur
l’Archevêque,
je me suis soumise à un autre examen médical qui a eu lieu le 27 mai de cette
année [1943]. Quand celui-ci m’a été annoncé,
une nouvelle souffrance s’empara de mon esprit. Mais voyant en tout cela la très
sainte Volonté de Dieu, comme toujours, par obéissance, bien qu'un nouvel examen
médical fût pour moi bien pénible, j’y ai consenti. Lors que j’ai appris la date
de celui-ci, j’ai ardemment prié la très Sainte Vierge de me donner la sérénité
nécessaire pour tout supporter avec courage et résignation, pour Jésus et pour
les âmes.
Le jour fixé, mon médecin traitant, le docteur
Manuel Augusto Dias de Azevedo, le docteur Henrique Gomes de Araujo, et le
professeur Carlos Lima,
sont venus chez nous. Je suis restée calme et sereine ; le Seigneur m'avait
exaucée ! L'un des médecins m'a demandé, tout à coup, si je souffrais beaucoup,
pour qui j'offrais mes souffrances et si je souffrais volontairement. Il m'a
demandé si je serais contente si le Seigneur, d'un moment à l'autre, me libérait
de mes douleurs. Je lui ai répondu qu'en vérité je souffrais beaucoup, que
j'endurais celles-ci pour l'amour de Dieu et pour la conversion des pécheurs.
Ils m'ont demandé quel était mon désir le plus grand. J'ai répondu : « — Le
Ciel. » Alors l’un d’eux m’a demandé si je désirais être sainte, comme sainte
Thérèse, comme sainte Claire, et bien d’autres, et être mise sur les autels, en
laissant comme elles une grande renommée dans le monde. J'ai répondu : « — C'est
ce qui m'intéresse le moins ! »
Voulant ébranler ma foi en Dieu, il m'a posé
encore cette question : « — Si pour sauver les pécheurs il était nécessaire de
perdre ton âme, que ferais-tu ? » « — J’ai pleinement confiance que la mienne
serait sauvée, en sauvant celles des autres ; mais si je devais la perdre, je
dirais non à Notre Seigneur ; par ailleurs, Il ne me demanderait jamais une
pareille chose. Je peux toutefois dire que j’ai offert au Seigneur mes yeux, qui
sont ce que j’ai de plus cher dans mon corps, si cela était nécessaire pour la
conversion d’Hitler, de Staline et de tous les autres fauteurs de guerre. »
— Et pourquoi ne manges-tu pas ?
— Je ne mange pas parce que je ne le peux pas ; je
me sens rassasiée, je n’en éprouve pas le besoin, par contre j’ai la nostalgie
des aliments.
Après cela les médecins ont commencé l’examen que
j’ai accepté dans une bonne disposition. Ce fut un examen rigoureux, mais en
même temps je dois dire qu’ils ont usé de délicatesse envers mon pauvre corps.
A la fin, — étant donné que je n’étais pas en état
de supporter un voyage —, ils ont décidé de faire venir chez nous deux
religieuses infirmières afin que celles-ci s’assurent de la véracité de mon
jeûne.
Quand les médecins sont partis, le Seigneur m’a
fait comprendre que leurs décisions ne se réaliseraient pas, et je suis restée
alors dans l’attente de leurs nouvelles et de leurs instructions.
Le 4 juin le médecin traitant et mon confesseur
ordinaire
,
sont venus m’annoncer la décision des médecins, et me convaincre, moi et ma
famille, de l’opportunité d’aller au “Refuge de la Paralysie Enfantine” de Foz.
Je devais être placée dans une chambre sous surveillance, pendant un mois, pour
un contrôle plus direct de tout ce qui se passait en moi. Moi, sur le coup, j’ai
dit non, mais aussitôt je me suis avisée, pensant à l’obéissance que je devais à
l’Archevêque, et pour ne pas mettre dans une situation délicate mon directeur,
le docteur Azevedo et tous ceux qui s’intéressent à moi. J’ai donc accepté la
proposition, mais j’ai posé quelques conditions :
1 — pouvoir communier tous les jours ;
2 — d’être toujours accompagnée de ma sœur ;
3 — de ne plus être soumise à aucun autre examen,
car je partais pour des observations et non point pour des examens.
Pendant les jours où je suis encore restée à la
maison, j’ai demandé à Jésus et à la Maman du Ciel de me donner force et courage
ainsi que force et courage pour les miens, qui étaient désolés. Combien de fois,
pendant la nuit, le cœur oppressé et les larmes aux yeux, j’ai supplié Jésus de
m’aider car j’avais l’impression que toutes mes forces m’abandonnaient et que je
me voyais sans courage pour moi-même, et encore moins pour en insuffler aux
autres !
Le 10 juin arriva et, tout était prêt pour le
voyage vers l’hôpital de Foz do Douro. Un immense chagrin s’empara de moi, mais
en même temps un grand courage m’est venu qui me permis de cacher tout ce qui se
passait dans mon âme. Je déposais toute ma confiance en Jésus, et j’étais si
certaine de son aide divine, que je pensais que s’il en était besoin, Il
m’enverrait ses anges pour m’aider dans l’exil où me voulaient les hommes.
Quand le médecin est arrivé pour me prendre, il
n’a pas eu le courage de me dire qu’il nous fallait partir ; c’est moi qui suis
intervenue, lui disant : « — Allons, docteur, pour revenir il nous faut
partir ! »
Nous avons pris congé. Seul Notre Seigneur sait ce
que m’a coûté la séparation des miens qui, remplis de douleur, m’entouraient et
m’embrassaient. Moi je ne faisais que fixer le Cœur de Jésus et de la
Petite-Maman pour leur demander de la force.
En descendant les escaliers sur un brancard, j’ai
dit aux miens, pour les encourager : « — Courage ! Que tout ceci serve pour
Jésus et pour les âmes ! » Mais je n’ai rien pu dire d’autre, tellement mon cœur
était oppressé, et aussi pour retenir mes larmes. Il le fallait pour ne pas
augmenter davantage leur chagrin. À peine déposée dans l’ambulance, j’ai été
entourée par une centaine de personnes, qui avaient les larmes aux yeux. J’ai
entendu aussi les sanglots de ma mère et des autres parents. La douleur qu’alors
j’ai éprouvée est indicible. J’avais hâte de partir, et partir vite ; mon cœur
battait si violemment que j’avais l’impression qu’il me cassait les côtes. J’ai
dit alors à Jésus : « — Acceptez toutes les pulsations de mon cœur comme autant
d’actes d’amour pour le salut des âmes. »
Le voyage fut difficile. Je pensais que mon cœur
n’y résisterait pas. De temps en temps je regardais ma sœur ; elle était si
abattue ! Le médecin disait qu’il n’était pas difficile de voyager avec des
malades comme moi parce qu’il me voyait toujours souriante. Mais Jésus seul sait
combien grandes étaient l’amertume de mon cœur et les tourments de mon pauvre
corps. À cause des secousses de l’ambulance je me sentais déprimée, mais je
répétais inlassablement : « — Tout pour votre amour, Jésus ! Que l’obscurité de
mon âme puisse éclairer d’autres âmes ! »
Près des dernières maisons de Balasar, Monsieur
Sampaio releva les rideaux de l’ambulance. J’ai remarqué que le médecin avait
les larmes aux yeux. Je lui ai dit : « — Nous voilà bien ! » Et je lui ai
demandé ce qui se passait. Il m’expliqua alors que sur le bord de la route
quelques enfants nous avaient jeté des fleurs. Je me suis sentie toute attendrie
et c’est avec peine que j’ai pu retenir mes larmes. Quand nous sommes arrivés à
Matosinhos,
le médecin décrocha les rideaux afin que je puisse regarder la mer. Un énorme
silence m’envahit et, en observant le continuel va-et-vient des vagues venant
mourir sur la plage, j’ai demandé à Jésus que mon amour, lui aussi, soit
continuel et permanent.
Arrivés près du “Refuge”, le docteur Gomes de
Araujo s’opposa à ce que l’ambulance s’avance jusqu’à la porte. Il chargea
quelques hommes de prendre mon brancard et de m’emmener ainsi, après m’avoir
recouvert le visage afin que personne ne me reconnaisse. Mon cœur s’est attristé
davantage, me représentant ce que ce serait de passer de longs dans un tel
établissement. Ainsi recouverte il me semblait être dans un cachot et je me
demandais à moi-même : « — Quel crime ai-je commis ? »
La montée des escaliers du “Refuge” m’a causé bien
des peines car l’on me portait la tête en bas. Ce ne fut qu’une fois dans ma
chambre que mon visage fut découvert. Là j’ai été entourée par le docteur Araujo
et par quelques dames qui devaient m’assister. Ensuite on m’a placée dans mon
lit.
À ma sœur ils avaient attribué une autre chambre,
contrairement à ce qui avait été convenu. Ce fut l’un des plus grands sacrifices
que l’on pouvait exiger de moi : comment pouvais-je rester sans elle, elle qui
savait comment me bouger quand c’était nécessaire et m’aider avec de bonnes
paroles qui m’étaient d’un grand secours pour supporter mon douloureux calvaire.
À peine m’avait-on allongée sur le lit que
Deolinda s’est présentée sur le seuil de la porte avec la valise contenant le
linge. Le docteur Araujo, la voyant, hurla comme un forcené : « — Hors d’ici
cette valise ! » Ce fut là une autre épine parmi tant d’autres. Ensuite il
commença à donner ses ordres : « — Mesdames les assistantes, la malade peut dire
tout ce qu’elle voudra, mais vous n’êtes pas autorisées à lui poser des
questions. »
Ces ordres ayant été donnés, il se retira et je
suis restée seule avec le médecin
et deux dames; celles-ci ayant été désignées pour rester en permanence auprès de
moi pour surveiller tous mes mouvements.
Quand, déjà il faisait nuit, le docteur Azevedo se
préparait pour partir, je n’ai pas pu retenir davantage les larmes. Lui, alors,
bien plus qu’avec du respect, avec tendresse pour ma douleur, il m’a dit : « —
Ayez du courage ! Demain je reviendrai. »
Oui, j’ai pleuré malgré moi, mais j’ai offert mes
larmes si amères à mon Bien-Aimé Jésus. Me voyant ainsi désolée il fut admis que
ma sœur reste dans ma chambre avec l’une des surveillantes, afin qu’elle lui
apprenne la façon de me bouger. Mais il m’a été précisé de suite : « — Seulement
cette nuit, jamais plus ! »
Le lendemain, vendredi, commença pour moi, dans
cette maison, un vrai calvaire. À l’heure de l’extase, comme il arrive tous les
vendredis, ma sœur est venue auprès de moi ; mon médecin traitant, et une
infirmière étaient aussi présents.
Aux observateurs présents, aucun détail n’a
échappé, et tout a été divulgué et commenté. Par exemple que monsieur Sampaio
avait sorti sa montre…, que ma sœur s’était agenouillée en entendant les paroles
de l’extase… ; que l’une des infirmières avait pleuré, etc. … Le docteur
Azevedo, comme toujours, a écrit le colloque de l’extase pour le remettre aux
médecins. Deolinda, qui avait reçu l’ordre de ne plus revenir dans ma chambre,
était attristée et elle dit : « — Ne pourrais-je voir ma sœur même si ce n’est
que depuis le seuil de la porte de la chambre ? Pensez-vous que mon regard
puisse l’alimenter ? » Inclinée sur mon lit elle pleurait, inconsolable.
Ce fut alors que je lui ai dit : « — Ne t’affliges
pas, Notre Seigneur est avec nous. » L’assistante qui avait pleuré pendant
l’extase, lui tapant sur l’épaule lui dit : « — Ne pleurez pas, le docteur
Araujo est un homme d’une grande charité ! » Il a suffi cette phrase à l’adresse
de ma sœur pour que cette assistante soit démise de ma surveillance ; nous ne
l’avons revue que dans les derniers jours, mais accompagnée, quand déjà ils
avaient les preuves de la vérité.
Ceci est arrivé à cause d’une assistante qui a été
mon bourreau pendant toute la durée de mon séjour à Foz. Elle ne peut pas
s’imaginer ce qu’elle m’a fait souffrir. Que le Seigneur lui pardonne.
Dans la nuit du vendredi au samedi j’ai eu l’une
de ces crises de vomissements qui me font tant souffrir. Cela m’a été d’autant
plus pénible que je n’avais personne pour me soutenir.
Le samedi le docteur Araujo est revenu pour voir
comment j’allais et pour se renseigner sur ce qui était arrivé. Ma prostration
était telle que je ne me suis même pas rendue compte quand il a frappé à la
porte, toujours fermée à clef. Je ne l’ai entendu que quand, tout près de moi,
il susurrait à l’infirmière : « — Elle est condamnée ! Elle est condamnée ! » A
ces paroles j’ai ouvert les yeux et je lui ai dit : « — Docteur, même chez moi
j’ai de pareilles crises. » Il m’a répondu immédiatement, d’un ton impérieux :
« — Mademoiselle, ne croyez pas être venue ici pour jeûner ! » J’ai compris ce
qu’il voulait dire et je me suis sentie profondément blessée.
Informé sur ce qui était arrivé le vendredi, il a
voulu lire le récit de l’extase et il commenta, furieux : « — Il paraît
impossible que le docteur Azevedo, si intelligent, se laisse séduire par de
semblables choses ! Il faut en finir avec tout ceci. En attendant, enlevons
d’ici toutes les horloges afin que cette malade ignore jusqu’à l’heure qu’il
est » (Comme si le Seigneur avait besoin d’horloge !).
Me voyant si fatiguée, il aurait voulu me soulager
à l’aide de médicaments, mais je m’y suis opposée. Combien de fois les
infirmières se sont approchées de moi, me croyant morte ! Cinq jours d’une
continuelle agonie, davantage dans l’âme que dans le corps, se sont passés.
Pendant les crises de vomissements, ils ne permettaient pas à Deolinda de venir
à côté de moi, alors que chez nous, parfois, deux personnes n’étaient pas de
trop pour me tenir. Ils étaient tous persuadés que les crises étaient dues au
manque d’alimentation et que, ainsi exilée et sans personnes qui ait pu me la
procurer, j’aurais besoin de la demander, sinon je mourrais. Comme ils se
trompaient ! Ils ne savaient pas que l’aliment me venait de la sainte Hostie que
je recevais tous les jours.
En ces jours, mon médecin traitant est venu me
voir et ma sœur, sans que je le sache, l’a mis au courant de tout. Il est venu
près de mon lit sans que je me réveille ; l’infirmière lui suggéra que j’avais
besoin de médecine. Ce fut à ce moment-là que j’ai ouvert les yeux et que j’ai
entendu ce qu’il lui répondait : « — Cette malade est venue pour que l’on
constate son jeûne et pour rien d’autre. J’espère que le docteur Araujo respecte
ces conditions. Je ne permets pas qu’on lui fasse des piqûres ou n'importe quoi
d’autre, à moins qu’elle ne le demande elle-même. Vous verrez, les crises
passeront, les cernes autour des yeux disparaîtront, le teint et le pouls
deviendront normaux, ou presque, car l’air marin ne les favorise pas. Je vous
assure d’une chose, madame : vous mourrez, je mourrai, mais la malade ne mourra
pas dans cet hôpital. »
Ensuite, assis à côté de moi, il me prodigua un
peu de ce réconfort dont j’avais tant besoin. Par la volonté de Dieu, cinq jours
plus tard, les vomissements ont cessé, le teint est redevenu normal, ainsi que
la luminosité des yeux. Pendant la visite suivante de mon médecin l’assistante
le salua par cette phrase : « — Regardez, docteur, regardez ce beau visage ! »
Et le docteur de lui répondre délicatement mais néanmoins fermement : « — C’est
le résultat des côtelettes qu’elle a mangé et des piqûres qu’elle a prises ! »
Jésus a bien voulu montrer encore une fois son
pouvoir sur cette humble créature. Toutes les assistantes accomplissaient
scrupuleusement les consignes du médecin et elles ne m’ont jamais abandonnée un
seul instant. Elles n’ouvraient la porte de la chambre que pour laisser entrer
les médecins et les infirmières.
En dépit de ma transformation, ni le médecin ni
les infirmières voulaient se convaincre que je pouvais vivre sans manger. En
effet, ils utilisaient parfois des arguments pour m’intimider: ils passaient
ensuite aux phrases pleines de tendresse et d’intérêt pour ma personne. Dans
leurs discours je les ai entendues dire que mon cas relevait de l’hystérie ou à
un quelconque phénomène inexplicable. Un jour j’ai raconté au docteur Dias de
Azevedo tout ce que j’avais dans mon âme si attristée : « Pour être traitée
comme une hystérique je n’ai pas besoin des rester là. Mais il m’a encouragée et
m’a redonné confiance. Je lui ai obéi pour faire en tout, la volonté de Dieu.
Le docteur Araujo venait me voir deux ou trois fois par jour, mais jamais à
la même heure. Je pense qu’il le faisait ainsi pour voir s’il découvrait quelque
chose. Une fois il est entré dans ma chambre la nuit, quand s’y trouvait
l’assistante que certains ont appelé du sobriquet de « cardinal-diable. »
Même si je vivais jusqu’à la fin du monde, je ne
pourrais oublier l’impression que j’éprouvais quand le docteur ouvrait et
ensuite fermait immédiatement la porte : je restais comme suspendue à ce qu’il
avait dit. J’éprouvais une telle impression que dans mon cœur et dans mon âme la
tristesse augmentait. Combien de fois je répétais à Jésus : « Que cette nuit
puisse contribuer à donner de la lumière à ceux qui m’entourent et à toutes les
âmes qui vivent dans les ténèbres. »
Lors des conversations et des interrogatoires, le
docteur Araujo utilisait tous les arguments possibles pour me convaincre de
manger, me disant que Dieu n’était pas content de mon jeûne. Il est a même
essayé de me faire avoir des scrupules. En outre, les infirmières ont essayé de
me prendre par les sentiments. Avec l’une des infirmières, il a également essayé
de me faire perdre la foi. Il s’est servi de tout ce que son intelligence avait
de meilleur, me soumettant à des interrogatoires interminables et torturants
afin de me décourager, persuadé que tout ce qui se passait en moi était dû à une
influence humaine et non pas divine. Si à chaque fois que j’étais interrogé
j’avais l’impression de me trouver en face d’un loup habillé en agneau, ce
jour-là ce fut bien pire : il me semblait voir en lui Satan lui-même qui, avec
art et des sourires malins, voulait m’ôter la foi et me convaincre que tout cela
n’était qu’illusion.
Il me disait : « — Soyez convaincue, mademoiselle,
que Dieu ne veut pas que vous souffriez ! S’il veut sauver les autres, qu’il les
sauve Lui-même, il en a le pouvoir. S’il est vrai que Dieu récompense ceux qui
souffrent, il n’y a pas de récompense adéquate pour vous qui avez déjà trop
souffert. »
Mais, mon Dieu, je sais que vous êtes infini,
infini en pouvoir, infini dans les récompenses.
S’il en était comme il me dit, pour qui je
souffre ?
Il accompagnait ses paroles d’un regard malicieux,
démoniaque — c’était l’impression que j’avais. Je lui ai alors répondu :
« — Elles sont si grandes, si grandes les choses
de Dieu ! Et nous, nous sommes si petits, moi en tout cas ! » L’espace d’un
instant il se tût, ensuite, indigné, il s’est exclamé : « — Vous avez raison,
mais moi, je suis une personne bien plus grande ! » Et il est sorti.
Il était bien loin de connaître cette loi d’amour
pour les âmes ! S’il avait compris la valeur d’une âme, il verrait alors que
tout ce que nous faisons n’est jamais de trop pour les sauver.
Les humiliations et les sacrifices affluaient
constamment. Si du moins j’avais su bien les supporter, j’aurais tant eu à
offrir à Jésus. On me présentait toujours de nouvelles choses qui réclamaient de
moi humiliations et sacrifices. J’avais au pied de mon lit une photographie de
Jacinta
de Fatima. Je la regardais avec amour et, sans craindre que les assistantes le
répètent au docteur, je soupirais : « — Chère Jacinta, malgré ton jeune âge, tu
as pu évaluer combien coûtent ces choses ! Du Ciel où tu demeures, aide-moi ! »
Seule l’aide du Ciel et les prières des âmes bonnes pourront me donner force
pour cheminer dans un si douloureux calvaire, et supporter le poids de cette
croix si pesante.
Toutes les fois que le docteur Gomes de Araujo
entrait, il me tenait le même discours et me laissait très épouvantée quand il
me disait : « — Nous avons beaucoup à parler. »
Quand je le voyais sortir, je respirais
profondément et je me disais : “Béni soit le Seigneur pour ton départ !” Mais la
pensée qu’il reviendrait bientôt, me procurait une très amère souffrance.
Un jour, assis à ma droite, il cherchait à me
convaincre que j’étais dans l’illusion. Il a commencé par un discours très vague
sur la Médecine et sur l’un de ses professeurs et d’un Collège de Porto, où il
avait passé bien des heures, pendant la nuit, à écrire un volumineux document
et, convaincu qu’il avait réussi son étude, il est allé retrouver son professeur
pour lui faire part du résultat de ses leçons. Le professeur lui disait : « —
Êtes-vous sûr de ce que vous avez écrit ? » Et il affirmait à chaque fois en
être certain, pour telle et telle raison. La conversation se prolongeait et moi
je fixais le docteur faisant semblant de ne pas comprendre où il voulait en
venir, et je disais en moi-même : « — Tu fais tant de détours pour arriver tout
près ! » Mais le docteur poursuivait : « — J’étais convaincu d’avoir fait un
excellent travail ; le professeur m’a laissé parler et ensuite m’a démontré que
j’avais tort. Je suis resté sans souffle : mon Dieu, tant d’heures de perdues !
Combien d’heures d’illusion ! Ma longue étude s’était écroulée en quelques
minutes ! » Moi qui savais où il voulait en venir, je lui ai dit, à ce
moment-là, en souriant : « — Mais mon cas ne s’écroule pas, docteur ! J’ai été
guidée par un directeur très saint et très sage, et qui m’a étudiée pendant de
longues années. Si l’œuvre est de Dieu, personne ne la faire s’écrouler ! »
Le docteur, un peu embarrassé, faisant semblant
que ce n’était pas celui-là le but de ses paroles, a conclu : « — Ah non !... »,
essayant de me convaincre que ce n’était pas là le sens de ses paroles, il s’est
levé en hâte et sortit. Il en était temps.
O mon Jésus, ce n’est qu’à vous que je peux me
confier, mes larmes n’étaient que pour vous. Je chantais avec le plus grand
enthousiasme, mais au-dedans de moi et dans mes yeux il semblait n’y avoir ni
soleil ni jour. Pendant la nuit, quelques fois, je me demandais : Que peut faire
ma sœur, à cette heure-ci ? Pleure-t-elle ?” Pensant qu’elle souffrait à cause
de moi, une fois je n’ai pas pu retenir mes larmes. Combien j’ai alors pleuré !
Je n’avais qu’une crainte : déplaire à Jésus. Mais Lui, Il savait que
j’acceptais tout par amour pour Lui, avec un immense désir de Lui gagner des
âmes. En effet, je Lui ai offert mes larmes comme autant d’actes d’amour pour
les Tabernacles. Plus la désolation est grande, plus grand est aussi l’amour,
n’est-ce pas ainsi, mon Jésus ? Acceptez tout cela. Le seizième et le trentième
jour de mon séjour, j’ai reçu la visite de maman. J’avais une si grande envie de
la voir ! Elle n’a pu rester que très peu de temps avec moi et toujours sous le
regard inquisiteur des surveillantes. Elle pleurait et moi, je faisais semblant
de ne pas avoir de chagrin : je lui souriais, je plaisantais avec elle, je la
cajolais, et avec mon sourire trompeur,
je cachais la tristesse de mon âme, en retenant les larmes qui à tout prix
voulaient couler. Je l’ai encouragée, m’épanchant intérieurement avec Jésus.
C’était ma croix : ne devais-je pas la porter par amour de Jésus qui est mort
pour moi ?
Mes journées passaient ainsi, dans une continuelle
lutte, entrecoupée seulement par l’alternance des infirmières qui se succédaient
selon la volonté du médecin. À cause de certaines d’entre elles, j’ai beaucoup
souffert, parce qu’elles outrepassaient les limites de leurs droits et de leurs
devoirs.
Le jour est arrivé où le docteur, convaincu
désormais de la vérité,
permis un plus grand relâchement, autorisant pour quelque temps la venue de ma
sœur, même si toujours sous la surveillance de l’assistante. Il permit également
la visite, même si rapide, des sœurs Franciscaines du “Refuge”. Nous avions déjà
projeté de faire savoir à la maison la date de notre retour quand,
inopportunément surgit un contretemps.
L’une des infirmières surveillantes ayant parlé de
mon cas à un certain médecin qui ne me connaissait pas, et connaissait encore
mon cas, a fait naître des doutes.
Il s’est permis d’affirmer que ces choses-là
étaient impossibles, que les assistantes s’étaient fait berner et qu’il ne
croirait qu’un envoyant auprès de moi l’une de ses infirmières de confiance.
Le docteur Araujo, indigné par la méfiance
manifestée vis-à-vis de ses assistantes, lui imposa d’envoyer lui-même, auprès
de moi, une personne plus âgée, en qui il aurait entièrement confiance : il
choisit sa propre sœur. Et alors que nous pensions nous voir libérées de notre
douleur, ce fut alors qu’une nouvelle éprouve, bien plus triste et douloureuse,
nous a été imposée.
Le docteur Araujo est venu nous convaincre de la
nécessité de rester encore dix jours. Ma sœur n’était pas d’accord, mais il
insista argumentant qu’il était nécessaire de convaincre l’autre médecin. J’ai
dit alors à ma sœur : « — Quand on y a passé trente jours, on peut bien y passer
quarante. » Et l’affaire fut ainsi réglée.
Le docteur Alvaro, en vérité, n’exigeait pas dix
jours. Pour se convaincre il lui suffisait que je reste quarante-huit heures de
plus, sans manger ni rejeter.
Mais ce fut le docteur Araujo qui, délicatement,
pour l’honneur de son nom, invita l’assistante à rester un jour de plus, puis un
autre jour.
Sa mission terminée, cette surveillante est
revenue me voir plusieurs autres fois, convaincue maintenant de la vérité. Cette
dernière période fut un nouveau calvaire que j’ai offert à Notre Seigneur et à
la Petite-Maman: dure épreuve, mon Dieu !
Le docteur Araujo, sans aucune explication, prit
la bourse en caoutchouc que j’avais sur l’estomac et une carafe d’eau que les
assistantes conservaient pour humidifier le mouchoir que je tenais sur le front,
et versa dans les deux récipients je ne sais quoi : si j’avais sucé le mouchoir
ou bu de l’eau de la bourse en caoutchouc, comme l’a dit par suite le docteur
Alvaro, j’aurais eu des indispositions qui leur auraient permis de s’en rendre
compte. Il ordonna ensuite aux assistantes de ne plus changer la glace de la
bourse même si je le demandais. Ses ordres ont été respectés, bien que la
nouvelle assistante ait essayé, à plusieurs reprises de changer la glace.
Moi-même, je lui disais quelquefois : « — Enlevez-moi la bourse quelques
instants afin qu’elle rafraîchisse, puis remettez-la-moi de nouveau. Il est
nécessaire d’obéir aux ordres du médecin. » Nous étions revenus au point de
départ, sauf que bien plus strict. Il a finalement été interdit de me parler de
Jésus, car il pensait que de cette façon il pourrait ôter ce que nous avons de
plus intime en nous. Un jour, le docteur m’a dit : « — Je n’admettrai pas que
vous appeliez votre sœur plus d’une fois la nuit. » La surveillante, plusieurs
fois, comme pour me tenter, et avec une intention tortueuse — c’est l’impression
qu’elle me donnait — me disait : « — Pauvre sainte, toujours dans cette même
position ! Je vais appeler votre sœur ! »
« — Je vous en remercie, madame, mais je ne le
veux pas. Ce sont les ordres du médecin : ma sœur ne doit venir qu’une seule
fois ! »
Quand ma sœur toquait pour entrer, cette seule
fois qui lui était permise par le docteur, pour me changer de position, la
nouvelle assistante allumait la lampe, ouvrait la porte et se plaçait à côté de
ma sœur. Aussitôt que celle-ci quittait la chambre, l’assistante, simulant de la
compassion envers moi, pour le froid que j’aurais pu souffrir, et comme si elle
raccommodait les draps et les couvertures, me découvrait complètement pour voir
si Deolinda n’avait rien laissé dans le lit.
Je comprenais très bien son intention, mais sous
prétexte de commodité, je levais les bras au-dessus des coussins afin qu’elle
puisse mieux faire son inspection. « — Mon Jésus, tout et uniquement pour votre
gloire ! »
Les séductions pour me faire manger quelque chose
de son repas n’ont pas manqué ! Elle me présentait un morceau, sans mot dire, et
moi, je lui souriais. Si l’invitation était verbale, je lui disais : « —
Merci », mais toujours souriante, faisant semblant de ne pas comprendre sa
malice.
Combien de fois, pour mieux me surveiller, on m’a
ôté les couvertures !
La nuit, particulièrement quand je ressentais
davantage la solitude, le temps me paraissait très long. Je sentais mon cœur,
tel un arbre aux racines épaisses, bien plantées dans le sol, et que la furie
d’une grosse tempête arrachait, le jetant à terre... Il me semblait que tout et
tous me piétinaient. Même en l’expliquant de la sorte, je sens que je ne dis
rien de comparable à ce que j’ai souffert. Encore aujourd’hui je revis dans ma
mémoire ces choses-là et j’éprouve un vrai tourment. Seul l’amour pour Jésus et
pour les âmes me permet de supporter une telle épreuve ! Quand je sentais
s’approcher le docteur, je disais : « — Voilà qu'arrive le bourreau qui vient
visiter la pauvre prisonnière par amour de Jésus et des âmes. Je n’ai offensé
personne d’autre que vous, ô mon Jésus, mais les hommes veulent, sans même s’en
rendre compte, que de cette façon, je paie mes ingratitudes ! »
En voyant ma sœur épouvantée parce que quelqu’un
lui avait dit que mon échéance était proche parce que je n’évacuais pas, j’ai
cherché à lui redonner courage. Pauvres hommes ! Jésus sait faire les choses
bien mieux qu’eux !
La veille du départ fut un jour de visites. Tous
les enfants du “Refuge” sont passés devant moi. J’ai prié avec eux et je leur ai
distribué des caramels.
Ma sœur ne semblait plus la même : tous s’en sont
rendu compte. En plus des enfants, environ mille cinq cents personnes sont
venues me visiter... Les policiers ont dû intervenir pour maintenir l’ordre.
L’un d’eux s’est posté à côté de moi, se contentant de répéter inlassablement :
« En avant ! Allez, allez, avancez ! »
Quelle impression que ce mouvement de foule ! Ni
les suppliques de ma sœur ni les policiers n’ont réussi à le contenir.
Le médecin lui-même, depuis la fenêtre, a dû
intervenir pour que l’on arrête un tel mouvement sinon on allait me tuer.
Combien de personnes on pu pensé que la malade était décédée ! Moi, en effet, je
me sentais humiliée, las et exténuée, ayant un sentiment de gêne pour les
baisers que je recevais et les larmes que l’on laissait tomber sur mon visage,
comme signe d’une estime que je ne mérite pas et que je ne veux pas.
Restée seule, j’ai d’abord demandé à ma sœur de me
laver. Dans la matinée du jour ne notre retour,
le médecin, qui n’avait presque pas dormi vu sa responsabilité, est venu au
“Refuge” où beaucoup de monde attendait pour me voir. Il est resté à côté de moi
et a permis l’entrée de quelques personnes.
Puis il nous a dit que nous étions libres, que
leurs observations étaient terminées. Il autorisa ma sœur à manger dans ma
chambre, puis ajouta : « — En octobre je viendrai vous visiter à Balasar, non
plus comme médecin espion, mais comme un ami qui vous estime ».
Reconnaissante, j’ai baisé la main du docteur de
Araujo et je l’ai remercié pour son intérêt envers moi. Je l’ai fait avec
sincérité, parce que, bien qu'il ait été sévère et rude envers moi, il montra
une attention sérieuse envers mon cas.
Dans l’après-midi de cette journée du 20 juillet,
les religieuses et les surveillantes sont venues me dire au revoir. Elles m’ont
toutes fait des cadeaux. Certaines sont même venues assister à mon départ. Alors
que j’étais déjà installée dans l’ambulance, l’une d’elles m’a aspergée de
parfum, alors qu’une autre dame m’a offert un bouquet d’œillets. Au cours du
voyage j’ai reçu quelques bouquets de fleurs. Je les ai acceptés par
délicatesse, bien loin de penser qu’ils seraient par la suite un prétexte à
certains pour me faire souffrir.
Ni le parfum, ni les fleurs n’ont été pour moi un motif de vanité. Quand,
pendant le voyage, nous nous arrêtions pour reposer, si je voyais que des gens
s’approchaient, par admiration pour moi, je disais à mon médecin traitant : « —
Ne nous arrêtons pas, docteur, allons plus loin. »
J’ai du être indélicate, mais lui, il s’est montré
toujours d’une extrême patience.
Je vivais davantage à l’intérieur qu’à l’extérieur
de moi. La mer était tout ce qui se présentait devant mes yeux, m’invitant au
silence, au recueillement en Dieu. Je n’avais pas de quoi être vaniteuse : tout
ce qui m’arrivait était plutôt motif d’humiliation, de me rendre si petite,
minuscule. Qu’en serait-il de moi si je devais être jugée par le monde ! On
déposa tant de malice là où il n’y en avait aucune. Pardonnez-leur, Jésus. Ils
ne connaissent pas vos méthodes !
Je me suis émue des larmes des surveillantes et
des autres gens. Il a été nécessaire de faire appel à la police pour contenir le
peuple. Je suis sortie joyeuse de cette maison bénie, pour avoir accompli mon
devoir et parce que j’allais rentrer, rencontrer les miens et ma chère petite
chambre dont j’avais la nostalgie. Quand je me suis retrouvée dans ma petite
chambre, je croyais rêver ! J’ai pleuré, mais des larmes de joie. Une fois
déposée sur mon lit, pendant bien longtemps, je n’ai plus permis que l’on me
touche ; de continuels gémissements m’échappaient, à cause des douleurs de plus
en plus fortes, dues, probablement au voyage.
Maintenant je me dis : Pourquoi me suis-je sacrifiée ? Par vanité, peut-être ?
Pauvre monde ! Vanité ? Pourquoi ? Que sommes-nous sans Dieu ? Qui pourrait
souffrir autant seulement par veine gloire ou par vanité ?
Quarante jours à Foz ! Dieu seul sait ce que j’y
ai enduré, combien d’épines me blessaient, combien de flèches plantées dans mon
cœur ! Combien d’humiliations ! Combien d’humiliations !
Le docteur Azevedo avait raison quand, pendant le
voyage aller, en me plaçant un mouchoir humide sur le front, il me disait : « —
Vous avez quelques cheveux blancs, mais au voyage de retour, vous en aurez
encore davantage. » Et, en effet, c’est ce qui est arrivé : il avait déjà le
pressentiment de ce qui m’attendait. Mais il est si bon de tout supporter pour
Jésus !
Âgée de six ou sept ans je n’aimais pas rester
sans rien faire, alors je m’occupais à tout mettre en ordre à la maison.
J’aimais beaucoup aller laver le linge au bord de la rivière. Quand je n’avais
rien d’autre à laver, j’ôtais mon tablier et je le lavais. Je m’occupais
également à ranger le bois, faisant des rangées bien empilées et très droites.
D’autres fois c’était dans le jardin que je
travaillais, m’occupant des plantes qui devaient fleurir que nous offrions
ensuite pour embellir les autels de l’église.
J’aimais que tout soit propre et bien ordonné,
même quand j’étais malade.
Je n’aimais pas la saleté, alors je nettoyais
tout, même le plus répugnant, parce que cela me rendait joyeuse de voir ensuite
que tout était impeccable.
Peu après notre retour de Póvoa de Varzim — où
j’ai appris le peu que je sais — nous sommes venues habiter au lieu-dit Calvário.
La maison où nous vivons n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. La cuisine
était au sous-sol. Lors de la première nuit que nous y avons passée, ma mère
m’envoya vider à l’extérieur de celle-ci une bassine d’eau. J’ai eu peur et
c’est pour cela que j’ai refusé d’y aller. Ma mère me gifla. Faisant preuve de
mauvaise volonté, je n’ai jamais dit à ma mère : je n’y vais pas. Dieu m’en
garde ! Elle nous corrigeait sévèrement et gare à nos oreilles !...
À l’âge de douze ans, Deolinda a commencé son
cours de couturière. La première pièce confectionnée, a été une chemise pour moi
; mais, par sa taille, ont dirait plutôt une chemise de garçon. Moi, malgré mes
neuf ans, je me suis moquée d’elle. J’ai enfilé la chemise sur mes habits et je
me suis rendue à la maison. Ma sœur, riant à tout rompre, me suppliait : « —
Enlève cette chemise ! Tu n’as pas honte de te donner en spectacle de cette
manière ? »
Je n’en ai pas tenu compte et... riant, moi aussi,
j’ai parcouru les quelques cinq cents mètres qui me séparaient de la maison.
A Sainte-Eulalie de Rio Covo (je devais avoir 11
ou 12 ans) vivaient mes oncles, qui sont tombés malades, atteints par la fièvre
espagnole. Ma grand-mère, puis ma mère se sont relayées pour les secourir, mais
elles aussi ont été atteintes par la maladie. Alors, encore que nous soyons bien
jeunes, nous y sommes allées, ma sœur et moi.
Une nuit, mon oncle est mort. Nous y sommes
restées jusqu’à la Messe du septième jour.
Une fois, il a fallu aller chercher du riz, mais
en traversant la chambre où se trouvait le corps de mon oncle. Arrivée au seuil
de la porte, la peur m’a envahie; je n’ai pas eu le courage d’y entrer; il a
fallu que ma grand-mère m’accompagne. L’autre soir j’ai été chargée de fermer la
fenêtre de cette même chambre. Arrivée dans la salle contiguë de celle-ci, je me
suis encouragée moi-même, me disant : « — Je dois vaincre la peur. » — Et, ce
disant, en marchand doucement, j’ai ouvert la porte et je me suis rendue dans la
chambre où se trouvait la dépouille de mon oncle. Depuis lors, je n’ai plus
jamais eu peur: j’avais vaincu de ma peur.
Lorsque j’avais mes douze ou treize ans, j’étais
assez forte. Je me souviens qu’un jour, un homme se ventait devant quelques
jeunes filles d’être très robuste. Je me suis lancée contre lui, qui ne s’y
attendait pas, et je l’ai attrapé et mis par terre. Il s’est mis à crier :
« Laisse-moi ! Laisse-moi ! ». Je ne l’ai laissé que quand j’ai bien voulu : mon
but était uniquement celui d’obtenir que lui, étant un homme, puisse montrer la
force dont il se ventait.
Vers les 13 ans j’ai du gifler lourdement un homme
marié qui m’avait adressé des paroles indécentes… J’ai tourné le dos à un jeune
homme riche qui m’attendait à un endroit solitaire, par où je devais passer,
pour me parler d’amour.
Âgée de quatorze ans, j’aimais assister les
moribonds. Je me souviens des cas d’un pauvre homme qui était aux portes de la
mort et d’une jeune fille mon amie. Je suis allée visiter cet homme et je l’ai
trouvé recouvert de haillons. Aussitôt j’ai couru chez moi et j’ai demandé à ma
mère de lui prêter des couvertures. Elle me les prêta volontiers. Toute
heureuse, je les ai emportées et je suis restée pour tenir compagnie à la fille
du malade, lequel a vécu encore douze jours. Pendant ce temps, un homme est venu
demander du bois à la jeune fille, mais elle n’en avait pas. Alors l’homme
commença à l’insulter. J’ai dit alors : « — Elle n’a pas eu le temps d’aller en
chercher, que peut elle y faire ? » L’homme me dit ensuite : « — Si je ne tenais
pas compte de la générosité de ta mère, je te mettrais volontiers deux bonnes
gifles ! » Mais il ne l’a pas fait, parce que je me suis tue. Autrement, il mes
les aurait mises et, moi, j’en aurais été pour mes frais…
Une fille est venue, un jour nous informer que
l’une de ses voisines était sur le point de mourir. Ma sœur a pris son livre de
prières, de l’eau bénite et s’en est allée rapidement chez la malade. Deux de
ses élèves l’accompagnaient. Deolinda a commencé la prière pour obtenir une
bonne mort. Elle était si émotionnée, qu’elle tremblait. Les prières terminées,
la dame est décédée. Alors Deolinda nous a dit : « — J’ai fait ce que j’ai pu ;
je n’ai pas le courage d’en faire davantage. » J’ai vu la fille près de sa mère
morte. La petite-fille pris la fuite et je n’ai pas eu le courage de la laisser
toute seule. Je suis restée pour l’aider à laver et à habiller la dépouille
mortelle qui était couverte de plaies et exhalait une odeur répugnante. Je
croyais que d’un moment à l’autre j’allais m’évanouir. Une dame qui était aussi
dans la chambre, a remarqué mon malaise et est sortie dans le jardin chercher
quelques feuilles parfumées pour me les faire sentir. Je n’en suis repartie que
lorsque tout a été en ordre.
À l’âge de 16 ans, déjà malade, je suis allée à la
maison où ma sœur faisait la couture. Ayant trouvé, suspendu, un habit d’homme,
je l’ai enfilé et, dans cet accoutrement, je me suis présentée devant ma sœur et
de la maîtresse de maison. Elles ont rigolé de bon cœur. La dame me suggéra :
« — Tiens, va dans la rue habillée de la sorte, car mes enfants et mon mari sont
en train de tailler la vigne par-dessus le mur d’enceinte ». J’ai pensé qu’ils
me reconnaîtraient, mais j’y suis allée. Ils ne m’ont pas reconnue et, très
étonnés, ils s’arrêtèrent de travailler, afin de voir s’ils connaissaient le
jeune homme. Ma sœur et la maîtresse de maison, de la fenêtre, suivaient la
scène, et riaient aux éclats.
Entre mes dix-sept et mes dix-huit ans, moi et ma
sœur nous sommes parties à Aldreu, afin de confectionner des fleurs
artificielles pour le compte des zélatrices et à la demande de Monsieur le curé.
J’étais déjà malade. J’y suis allée pour aider Deolinda, afin que nous revenions
plus vite. Nous avons été hébergées chez le Curé. Deux jeunes hommes du côté de
Viana y sont allés et ils voulaient flirter avec Deolinda, ceci juste la veille
de notre retour. Ils ont demandé au Curé si l’on pouvait jouer les cartes. Nous
nous sommes installés près de la cheminée et nous avons discuté pendant que nous
jouions. Le Curé, quand il nous a vu, s’est adressé aux deux garçons et leur
dit : « — Ah ! Ah ! Alors, je suis là depuis quatre ans et vous n’êtes jamais
venus ici faire une partie, mais aujourd’hui vous êtes là ? »
La nuit suivante, lorsque nous devions revenir
chez nous, il y eut un violent orage et, avec la pluie, il y avait de boue
partout. Étant fort malade, la nièce du Curé m’a prêté une paire de sabots et ma
sœur est revenue pieds nus. Un quart d’heure après notre départ, la pluie a
reprit. Le sang coulait de mes pieds, non seulement à cause des sabots qui
n’étaient pas faits pour moi, mais aussi parce que mes pieds étaient délicats,
car cela faisait bien longtemps que je ne me déchaussais pas. Les douleurs
étaient véhémentes et, à la fin, j’ai dû marcher pieds nus, et ainsi me
mouiller. Quand nous sommes arrivées en gare, le train venait de passer depuis
cinq minutes. Ma sœur se mit à pleurer en voyant mon état. Il était alors neuf
heures du matin. Le prochain train était à onze heures, mais il ne s’arrêtait
qu’à Barcelos, ce n’était le meilleur pour nous. Nous avons attendu dans la
gare. Deux professeurs de Aldreu sont passés et nous ont invité à prendre un
café. Nous n’avons repris notre chemin de retour que plus tard, arrivant enfin
chez notre tante à Sainte-Eulalie. Elle nous a préparé un bon repas et ne
voulait pas que nous repartions, parce qu’il était déjà tard et que nous étions
fatiguées. Nous nous sommes entêtées et lui avons promis que nous ne viendrions
que jusqu’à Chorente, où demeurait notre tante Felismina. De là nous sommes
revenues à Balasar, où nous sommes arrivées tard la nuit. Nous avons frappé à la
porte, mais maman n’était pas à la maison. Une voisine nous a dit : « — Écoutez,
madame Mathilde est mourante, votre mère y était. » Le lendemain je suis allée
chez la moribonde. L’une de ses nièces m’a dit : « — J’aurais tant besoin
d’aller chez moi… » J’ai répondu : « — Vas y, je reste. » Et elle de me
demander : « — Et tu n’as pas peur ? » « — Non, je n’ai aucune peur ». Peu de
temps après madame Mathilde agonisait. J’ai prié ce que je pensais être adéquat
à la situation, mais je n’ai ressenti la moindre peur.
NOTES
Le Père Leopoldino, nouveau curé, continuera à lui apporter la Communion
presque tous les jours, jusqu’au jour de sa mort, le 13 octobre 1955.
Deolinda témoigna: “Je me souviens en tout cas
de ceci: que ma sœur n’a jamais vomi la communion, lors de ses crises de
vomissements, fréquentes et violentes. Il suffisait que Jésus arrive
dans sa chambre pour que les vomissements cessent et ne reviennent que
bien plus tard. Ceci arriva aussi à Foz, quand elle y fut conduite pour
subir des contrôles médicaux. Je me souviens encore, quand en 1937,
alors que l’on pensait qu’elle allait mourir, à cause de ses
vomissements très forts, monsieur le Curé lui administra la Communion. A
genoux, à côté d’elle, je l’avais vu vomir une hostie non consacrée que
l’abbé lui avait donnée, j’avais grande peur qu’elle ne vomit aussi
Jésus. Mais, grâce à Dieu, cela n’arriva pas. Par la suite, je ne m’en
suis plus préoccupée”.
Deolinda témoigne: “Un dimanche nous sommes allées à l’église et nous
avons laissé la porta entrouverte, car les pluies hivernales, l’avaient
fait gonfler. A notre retour, Alexandrina nous demanda: — Je ne veux
plus rester toute seule, car le «forgeron» — sobriquet donné à un
certain Teixeira — est venu. Je l’ai entendu arriver et crier pour que
je lui ouvre. Il a essayé plus d’une fois, mais la porte ne s’est pas
ouverte”.
Sobriquet qu’elle donnait au démon.
Felismina Martins dos Santos confirma cet état d’Alexandrina, en
ajoutant que quelques fois, avec Deolinda, elles étaient obligées
d’étouffer, par des chants, certains hurlements qui pouvaient être
entendus dans la rue par les passants.
Dans la vie de sainte Gemma Galgani, on peu
lire des phénomènes du même genre.
Le démon se servait de la langue d’Alexandrina pour prononcer des mots
indécents, qu’elle même ne connaissait pas.
Le Père Mariano Pinho témoigne: “Le 7 octobre 1937, j’ai assisté,
avec ceux de la maison, à une de ces lutes terribles”. Voir aussi,
le livre « Sous le Ciel de Balasar » écrit par le même prêtre et
où ces attaques diaboliques sont décrites en détail.
Journal du 25 juillet 1938.
Le 3 octobre 1938. Jour de la fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Après les tourments de la première passion, Alexandrina sentit le besoin
d’exprimer ses sentiments de reconnaissance au Seigneur. Elle a écrit
elle-même, ce soir-là, sur une image cette pensée:
“Jésus m’a conduite du Jardin des Oliviers au Calvaire.
Quel grand bonheur! Maintenant je peux dire: je suis crucifiée avec le
Christ”.
Alexandrina considérait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus comme sœur
spirituelle: ce jour-là, c’était sa fête liturgique.
La sœur de la Servante de Dieu.
Deolinda témoigne: «En 1938, pendant quelques jours, ma sœur souffrit
d’une soif brûlante, inextinguible. Elle nous disait: — “De l’eau,
beaucoup d’eau! Des sceaux d’eau!” — Nous avons alors prit un récipient,
nous y avons appliqué un tuyau en caoutchouc par où s’écoulait un petit
filet d’eau, laquelle, après avoir touché ses lèvres, retombait dans un
autre récipient. Jour et nuit, sans aucune interruption, nous avons du
utilisé, en effet, des sceaux d’eau».
Pour comprendre cette phase importante de la vie d’Alexandrina, il est
nécessaire de lire “Le Château intérieur”, sixième mansion, de
sainte Thérèse d’Avila.
Pendant la Passion, Alexandrina ne voyait rien d’autre et n’entendait
rien d’autre, sauf les ordres donnés par son directeur spirituel; y
compris si celles-ci n’étaient données que par la pensée. Elle obéissait
aussi aux ordres de toute personne mandatée par son Père spirituel.
Les jésuites, confrères et les supérieurs du Père Mariano Pinho, crurent
à l’hystérie et peut-être aussi à la mystification de la part
d’Alexandrina: de là les souffrances du Père Mariano Pinho.
L’avis unanime des prêtres était celui-ci: “Que l’on fasse appel aux
médecins”, car, en effet, les mouvements accomplis par Alexandrina,
lors de la Passion, les laissaient dubitatifs, quand on sait que la
servante de Dieu était devenue paralytique et ne pouvait donc pas se
mouvoir. Pendant la Passion, elle faisait tous les mouvements — et sans
l’aide de personne! — relatifs aux divers moments de la Passion du
Seigneur: agonie, tribunaux, chutes lors du chemin de Croix, etc. .
La distance séparant Balasar de Porto est d’environ 50 kilomètres.
Deolinda témoigne: “Un médecin de Porto, pour l’examiner, la fit
déshabiller complètement, en lui disant: — «Soyez tranquille, j’ai déjà
perdue toute ma pudeur» — Alexandrina, lui répondit immédiatement: — «Si
vous, vous l’avez perdue, moi pas!” — Cet incident explique
l’accroissement des souffrances dont parle Alexandrina.
Le chanoine Manuel Pereira Vilar, est devenu un grand ami d’Alexandrina.
L’un des plus grands neurologues du Portugal.
Monsieur Antonio Sampaio de Trofa.
Sauf pendant les extases de la Passion, où elle n’avait pas besoin
d’aide pour accomplir tous les gestes et déplacements.
C’est pourquoi il (le Père Terças) ne pouvais pas attendre la réponse du
Père Mariano Pinho, directeur d’Alexandrina.
Cette publication eût pour résultat de mettre le Père Mariano Pinho dans
une situation peu confortable vis à vis de ses collègues jésuites,
lesquels sont allés jusqu’à publier dans leur revue “Brotéria” un
article assez virulent contre le “cas de Balasar” et, ceci sans la
moindre enquête.
Le Dr. Azevedo communiqua au Père Mariano Pinho la nouvelle décision:
“Les médecins sont resté bien impressionnés, mais dernièrement, et
contre ce qui avait été convenu, ils exigent, pour un jugement
définitif, que notre infirme soit internée dans une maison de santé. Ils
ont affirmé que c’était là l’avis de plusieurs de leurs collègues... et
qu’ils ne voulaient pas compromettre leur renommée.” (31 mai 1943).
Et quelques jours plus tard: “... Alexandrina craignait,
initialement, que son départ puisse compromettre la santé de la mère...
Puis elle consentit à l’internement à Foz. Aujourd’hui je suis allé à
Porto et il a été convenu de l’interner au « Refuge » pendant quelques
jours. Je leur ai demandé, et eux ils m’ont promis, de contrôler
uniquement les facultés mentales de la malade et le jeûne, mais sans la
bouger... Ce qui nous intéresse c’est la survie sans alimentation.” (4
juin 1943).
Le 6 juin il informe Alexandrina: “... Nous avons convenu
de vous transporter à Foz la semaine prochaine... Nul ne vous touchera
sans que je sois présent et sans mon autorisation. Tout d’abord nous
vérifierons le jeûne absolu qui est ce qui nous intéresse pour le
rapport... Au sujet de Deolinda il a été convenu qu’elle vous
accompagnera à condition qu’elle ne sorte pas du « Refuge » (qu’elle
n’ai pas l’idée de sortir en ville cherchez des aliments pour sa sœur).
Il vaut mieux de prendre ceci comme une plaisanterie afin de ne pas nous
avilir.”
Alexandrina a toujours eu des souffrances soit physiques soit morales à
tel point qu’elle dit un jour à Dom Umberto: “J’ai tant souffert dans ma
vie que, en y repensant, il me semble ne pas avoir eu aucun jour sans
douleurs... Il n’existe pas dans mon corps aucun le moindre endroit qui
n’ai pas souffert”.
Malgré cela, elle avait toujours le sourire et chantait.
Le docteur Azevedo, à la date du 4 juillet, écrivait au Père Mariano
Pinho : “... La malade est depuis le 10 juin sous observation jour et
nuit: son abstinence (de solides et liquides) a été vérifiée, elle n’a
produit la moindre goutte d’urine; elle conserve le même poids et ses
facultés sont très lucides...” Puis le 12 du même mois: “Le jeûne a été
absolu, les analyses de sang normales... Les médecins affirment que chez
Alexandrina le surnaturel est évident”.
Il est en effet venu, comme il l’avait promis.
“Certaines personnes se sont scandalisées parce que d’autres offraient
des fleurs à Alexandrina: la chose fut même commentée par des prêtres
qui ont réprouvé cette popularité, et considéré comme une preuve de
faiblesse de la part de la servante de Dieu.” (Lettre de Deolinda au
Père Umberto du 22 novembre 1971).
Il est bon de signaler que les routes portugaises, à ce temps-là,
étaient très mauvaises et mal entretenues, particulièrement les
secondaires qui reliaient les petits villages entre eux.



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