Vénérables
Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
C’est
dans un temps bien ingrat et difficile que les secrets desseins de
Dieu ont appelé Notre petitesse à exercer la charge de suprême
Pasteur sur tout le troupeau du Christ. L’homme ennemi rôde depuis
longtemps autour de la bergerie et l’assiège d’embûches si
perfidement calculées qu’on croit voir réalisée, maintenant plus que
jamais, la prédiction de l’Apôtre aux Anciens de l’Église d’Ephèse :
Je sais que parmi vous pénétreront des loups ravisseurs, qui
n’épargneront pas le troupeau
.
De cet
amoindrissement des choses religieuses, tous ceux qui ont encore le
zèle de la gloire divine recherchent les causes et les raisons ; les
uns en donnent une, les autres une autre, et chacun selon son
opinion propose des moyens différents pour défendre ou rétablir le
règne de Dieu sur terre. Quant à Nous, Vénérables Frères, sans
désapprouver le reste, Nous croyons qu’il faut adhérer au jugement
de ceux qui attribuent le relâchement actuel des âmes et leur
faiblesse, avec les maux si graves qui en résultent, principalement
à l’ignorance des choses divines. C’est exactement ce que Dieu
disait par la bouche du Prophète Osée : Il n’y a plus de science de
Dieu sur la terre. La calomnie, le mensonge, l’homicide, le vol et
l’adultère débordent, et le sang suit le sang. Voilà pourquoi la
terre gémira et tous ceux qui l’habitent seront affaiblis
.
Et en
effet, qu’il y ait actuellement dans le peuple chrétien bon nombre
d’hommes absolument ignorants des choses qu’on doit connaître pour
son salut éternel, c’est une plainte générale et malheureusement
trop fondée. Et quand Nous parlons du peuple chrétien, Nous
n’entendons pas seulement le petit peuple ou les gens de la classe
inférieure, qui souvent trouvent encore une sorte d’excuse à leur
ignorance, parce qu’ils dépendent de maîtres durs et ne sont guère
libres de songer à eux-mêmes et à leurs intérêts. Il s’agit aussi et
surtout de ceux qui, ne manquant ni de talent ni de culture,
possèdent abondamment la science profane, mais qui, pour ce qui
regarde la Religion, vivent absolument à l’aventure et sans
réflexion. On peut à peine dire de quelles épaisses ténèbres ils
sont enveloppés, et, chose plus affligeante, ils y demeurent
tranquillement plongés ! Dieu, le souverain Auteur et Maître de
toutes choses, la Sagesse de la Foi chrétienne, ils n’y pensent
presque jamais. L’Incarnation du Verbe de Dieu, la Rédemption du
genre humain accomplie par Lui, ils n’en savent rien ; rien non plus
de la Grâce, qui est le grand moyen d’acquérir les biens éternels ;
rien de l’auguste Sacrifice ni des Sacrements, par lesquels nous
obtenons et gardons en nous cette Grâce. Quant au péché, on ne tient
nul compte de ce qu’il renferme de malice ou de honte; par suite,
nul souci de l’éviter ou de s’en débarrasser ; et ainsi l’on arrive
au dernier jour. Alors, quand il ne reste à l’agonisant que quelques
instants qui devraient être consacrés à des Actes d’amour pour Dieu,
le Prêtre, afin de ne pas laisser perdre tout espoir de salut, est
contraint de les employer à un enseignement sommaire de la
Religion : trop heureux encore si le moribond n’est pas tellement
dominé par une coupable ignorance, comme il arrive trop souvent,
qu’il juge inutile toute intervention du prêtre et croie pouvoir, le
cœur léger, sans avoir rien fait pour apaiser Dieu, entrer dans le
redoutable chemin de l’Éternité. Aussi Notre prédécesseur Benoît XIV
a eu raison d’écrire : Nous affirmons qu’une grande partie de ceux
qui sont condamnés aux supplices éternels doivent cet irréparable
malheur à l’ignorance des Mystères de la Foi, qu’on doit
nécessairement savoir et croire pour être admis au nombre des élus
.
Les
choses étant ainsi, comment s’étonner, Vénérables Frères, si l’on
voit régner en ce moment et se développer de jour en jour, non point
chez les nations barbares, mais parmi les peuples qui portent le nom
de Chrétiens, une telle corruption de mœurs et une telle dépravation
des habitudes ? L’Apôtre Paul, écrivant aux Ephésiens, disait: Que
la fornication et tout genre d’impureté, ainsi que l’avarice, ne
soient même pas nommés parmi vous, comme il convient à des Saints,
et qu’il n’y ait aussi ni turpitude ni sots discours
.
Mais à cette sainteté et à cette pudeur qui refrènent les passions,
il donne pour fondement l’intelligence des choses divines : Prenez
donc garde, Frères, de marcher avec précaution, non comme des
insensés, mais comme des sages. Ne devenez pas des imprévoyants,
mais des hommes qui comprennent la Volonté de Dieu
.
Et c’est
avec grande raison. Car la volonté de l’homme garde à peine un reste
de cet amour de l’honnête et du juste, que Dieu son Créateur avait
mis en lui et qui l’entraînait en quelque sorte vers le bien, non
pas apparent, mais réel. Dépravée par la corruption du péché
originel et ne connaissant plus, pour ainsi dire, Dieu son Créateur,
elle dirige toutes ses intentions vers l’amour de la vanité et la
recherche du mensonge. Cette volonté égarée et aveuglée par les
mauvaises passions a donc besoin d’un guide qui lui montre le
chemin, pour la faire rentrer dans les sentiers de la justice
qu’elle a eu le tort d’abandonner. Ce guide, nous n’avons pas à le
chercher au dehors, il nous est donné par la nature : c’est notre
intelligence. S’il lui manque la vraie Lumière, c’est à dire la
connaissance des choses divines, ce sera l’histoire de l’aveugle
conduisant un aveugle: tous deux tombent dans le fossé. Le saint roi
David, louant Dieu d’avoir mis la lumière de la Vérité dans
l’intelligence humaine, disait : La lumière de Votre face, ô
Seigneur, est empreinte sur nous
.
Et l’effet de cette communication de la Lumière, il l’indique en
ajoutant : Vous m’avez mis la joie dans mon cœur, — cette joie qui,
dilatant notre cœur, nous fait courir dans la voie des divins
Préceptes.
Un peu de
réflexion éclaircira ce point. La Doctrine chrétienne nous manifeste
Dieu et Ses infinies perfections bien plus clairement que ne le font
les facultés naturelles. Cette Doctrine nous oblige à honorer Dieu
par la Foi, qui vient de l’intelligence ; par l’Espérance, qui vient
de la volonté ; par la Charité, qui vient du cœur, et ainsi elle
soumet tout l’homme au souverain Créateur et Maître. De même, la
doctrine de Jésus-Christ est la seule qui nous révèle la véritable
et haute dignité de l’homme : car elle nous le présente comme Fils
du Père qui est aux cieux, fait à Son image et destiné à vivre avec
Lui dans l’Éternité bienheureuse. De cette dignité et de sa
connaissance, le Christ déduit pour les hommes l’obligation de
s’aimer les uns les autres comme des Frères, et de vivre ici-bas
comme il sied à des enfants de lumière, non dans les festins et les
orgies, non dans la débauche et l’impudicité, non dans les disputes
et les rivalités
;
Il veut aussi que nous jetions dans le sein de Dieu tous nos soucis,
parce qu’Il a soin de nous ; Il nous commande de donner aux pauvres,
de faire du bien à ceux qui nous haïssent, de préférer les intérêts
éternels de l’âme aux biens passagers de ce monde. Et sans toucher à
tous les détails, n’est-ce pas l’enseignement du Christ qui, à
l’homme aux prétentions orgueilleuses, conseille et prescrit cet
abaissement de soi qui conduit à la véritable gloire ? Quiconque
s’humiliera... sera le plus grand dans le Royaume des cieux
.
La même Doctrine nous enseigne la prudence de l’esprit, qui nous met
en garde contre la prudence de la chair ; la justice, qui nous fait
accorder à chacun son droit ; la force, qui nous dispose à tout
souffrir, le cœur haut, pour Dieu et pour l’éternelle béatitude ;
enfin la tempérance, qui nous porte à chérir même la pauvreté, pour
le Royaume de Dieu, et à nous glorifier jusque dans la croix, sans
souci de l’humiliation. Il est donc établi que non seulement notre
intelligence emprunte à la Doctrine chrétienne la lumière qui lui
permet d’acquérir la vérité, mais aussi que notre volonté y puise
l’ardeur qui nous élève à Dieu et nous unit à Lui par l’exercice de
la vertu.
Loin de nous,
toutefois, d’en conclure que la perversité du cœur et la corruption
des mœurs ne puissent se rencontrer avec la science de la Religion.
Plût à Dieu que les faits prouvassent moins souvent le contraire !
Ce que Nous affirmons, c’est que, chez les hommes dont
l’intelligence est enveloppée des ténèbres d’une épaisse ignorance,
il ne saurait subsister de volonté droite ni de mœurs pures. Celui
qui marche les yeux ouverts peut sans doute s’écarter du chemin
droit et vrai : mais celui qui est frappé de cécité va sûrement au
devant du danger. Ajoutez-y que la corruption des mœurs, là où la
lumière de la Foi n’est pas absolument éteinte, laisse quelque
espoir d’amendement ; mais quand la dépravation des mœurs et la
disparition de la Foi par suite de l’ignorance se trouvent réunies,
il n’y a plus guère de remède et la route est ouverte pour la ruine
finale.
Puis donc que
l’ignorance de la Religion cause tant et de si graves dommages et
que, d’autre part, l’Instruction religieuse est si nécessaire et si
utile (car on attendrait en vain l’accomplissement de ses devoirs
chrétiens d’un homme qui les ignore), il faut voir maintenant à qui
incombe le soin de préserver les intelligences de cette ignorance
fatale et de leur inculquer la science nécessaire.
Là-dessus, Vénérables Frères, le doute n’est pas possible : cette
charge très grave regarde tous les Pasteurs des âmes. De par le
précepte du Christ, ils sont tenus de connaître et de nourrir les
brebis qui leur sont confiées. Or, ici, nourrir, c’est tout d’abord
enseigner : Je vous donnerai (ainsi que Dieu le promettait par
Jérémie) des Pasteurs selon Mon cœur, et ils vous nourriront de
science et de doctrine
.
De là ces paroles de l’Apôtre : Le Christ ne m’a pas envoyé
baptiser, mais évangéliser
.
Il veut dire que le premier rôle de ceux qui sont préposés d’une
façon quelconque au gouvernement de l’Église est d’apprendre aux
Fidèles les choses saintes.
Nous
jugeons superflu de faire l’éloge de cet enseignement et de montrer
de quel prix il est devant Dieu. Assurément, la pitié que nous
témoignons aux pauvres pour le soulagement de leur détresse reçoit
de Dieu de grandes louanges; mais qui pourrait nier le mérite bien
supérieur du zèle et du travail que nous employons à procurer, non
pas des avantages passagers aux corps, mais des biens éternels aux
âmes, en les instruisant et les exhortant ? Non, rien ne saurait
être plus désirable, rien plus agréable pour Jésus-Christ le Sauveur
des âmes, qui a dit de Lui-même par la bouche d’Isaïe: Il M’a envoyé
évangéliser les pauvres
.
Mais il
importe ici, Vénérables Frères, de nous arrêter à une réflexion
spéciale et d’y insister : c’est qu’il n’existe pas pour le Prêtre,
quel qu’il soit, de devoir plus grave ni d’obligation plus étroite.
Car qui niera que le Prêtre doive joindre la science à la sainteté
de vie ? Les lèvres du Prêtre garderont la science
.
Et, en effet, l’Église l’exige très sévèrement de ceux qui doivent
être initiés au Sacerdoce. Pourquoi ? Parce que le peuple chrétien
attend d’eux la connaissance de la loi divine et que Dieu les
destine à la distribuer : Ils demanderont à sa bouche la Loi parce
qu’il est l’ange du Dieu des armées
.
C’est
pour cela que l’Évêque au moment de l’ordination, s’adressant aux
candidats du sacerdoce, leur dit : Que votre Doctrine soit pour le
peuple de Dieu une médecine spirituelle ; que tous soient de
prévoyants collaborateurs de notre charge, en sorte que, méditant
jour et nuit la Loi sainte, ils croient ce qu’il auront lu et
enseignent ce qu’ils croiront
.
Si ces
choses regardent tous les Prêtres, que dirons-nous de ceux qui,
honorés du titre et du pouvoir de Curés, remplissent la charge de
Directeur des âmes en vertu de leur dignité et d’une sorte de
contrat ? Ceux-là, dans une certaine mesure, doivent prendre rang
parmi les Pasteurs et les Docteurs que le Christ a établis pour que
les Fidèles ne soient plus comme des enfants, flottants et emportés
à tout vent de doctrine, par la malice des hommes..., mais que,
confessant la Vérité, ils croissent à tous égards dans la Charité,
en Celui qui est notre Chef, le Christ
.
C’est
pourquoi le saint Concile de Trente, traitant des Pasteurs des âmes,
déclare que leur premier et principal devoir est d’instruire le
Peuple chrétien
.
Il leur ordonne donc, au moins les Dimanches et jours de Fêtes
solennelles, de parler au peuple sur la Religion ; au saint Temps de
l’Avent et du Carême, ils doivent le faire chaque jour, ou du moins
trois fois par semaine. Ce n’est pas tout. Il ajoute que les Curés
sont tenus, au moins les Dimanches et Fêtes, par eux-mêmes ou par
d’autres, d’instruire les enfants dans les Vérités de la Foi et de
les former à l’obéissance envers Dieu et leurs parents. Quand il
s’agira d’administrer les Sacrements, il veut qu’on instruise de
leur vertu ceux qui doivent y participer, en employant un langage
facile et usuel.
Notre
prédécesseur Benoît XIV a résumé et précisé, dans sa Constitution
Et si minime, toutes ces prescriptions du saint Concile :
Deux principales obligations ont été imposées par le Concile de
Trente aux Pasteurs des âmes : l’une, d’adresser au peuple, les
jours fériés, des discours sur les choses divines ; l’autre
d’apprendre aux enfants et à tous les ignorants les éléments de la
Loi divine et de la Foi. Le sage Pontife a raison de distinguer les
deux obligations, celle du discours qui consiste dans l’explication
de l’Évangile et celle de l’Instruction religieuse. Peut-être, en
effet, certains Prêtres, désireux de diminuer leur besogne,
voudraient se persuader que le Prône peut tenir lieu de catéchèse:
il suffit de réfléchir pour voir que c’est une erreur. Le discours
qu’on fait sur le saint Évangile s’adresse à des auditeurs qui
doivent déjà posséder les éléments de la Foi. On peut appeler cela
le pain qu’on distribue aux adultes. Mais l’enseignement
catéchétique est ce lait dont l’Apôtre saint Pierre dit que les
Fidèles doivent le désirer sans artifice comme des enfants
nouveau-nés.
La tâche du
Catéchiste consiste à prendre pour sujet une Vérité qui se rapporte
à la Foi ou à la morale chrétienne, et à la mettre en lumière sous
toutes ses faces. Mais, comme le but de l’enseignement doit être la
réforme de la vie, le Catéchiste comparera ce que Dieu commande de
faire et ce que les hommes font dans la réalité. Puis, profitant des
exemples qu’il aura su tirer à propos soit des saintes Écritures,
soit de l’Histoire ecclésiastique ou de la Vie des Saints, il
expliquera aux auditeurs et leur montrera, pour ainsi dire du doigt,
comment ils ont à régler leur conduite. Il terminera par une
exhortation qui puisse leur faire détester et fuir les vices et leur
faire suivre le chemin de la vertu.
Nous
savons bien que cet enseignement de la Doctrine chrétienne déplaît à
beaucoup, sous prétexte qu’il est médiocrement estimé, d’ordinaire,
et peu fait pour gagner les faveurs du public. Cette appréciation, à
Notre avis, est celle d’hommes qui prennent pour guide la légèreté
plutôt que la vérité. Nous ne refusons pas Notre juste approbation
aux orateurs sacrés qui, par un zèle sincère pour la gloire de Dieu,
s’emploient à venger et à défendre la Foi ou à louer les Saints;
mais leur travail demande un autre travail préalable, celui des
Catéchistes: si ce dernier fait défaut, les fondements font défaut,
et c’est en vain que travailleront ceux qui bâtissent la demeure.
Trop souvent il arrive que des discours très élégants, accueillis
par les applaudissements d’un auditoire très nombreux, n’aboutissent
qu’à chatouiller les oreilles, sans remuer les cœurs. Au contraire,
une Instruction catéchétique, bien que modeste et simple, sera cette
parole que Dieu Lui-même exalte par la voix d’Isaïe : Comme la pluie
et la neige descendent du ciel et n’y retournent pas, mais abreuvent
la terre, la fécondent et la font germer, fournissent la semence au
semeur et le pain à l’affamé : telle la parole qui sort de Ma
bouche. Elle ne reviendra pas à Moi sans effet, mais elle accomplira
tout ce que Je voulais et produira les fruits pour lesquels Je l’ai
envoyée
.
Nous croyons
qu’il faut en penser autant de ces Prêtres qui, pour mettre en
lumière les Vérités de la Religion, composent des ouvrages de grand
travail : ils méritent les plus beaux éloges. Cependant, combien
petit est le nombre de ceux qui étudient ces volumes et en retirent
un fruit proportionné au travail des auteurs et à leurs vœux !
L’enseignement de la Doctrine chrétienne, s’il est bien donné, n’est
jamais sans profit pour les auditeurs.
Et, pour
enflammer le zèle des Ministres de Dieu, il sera bon de le répéter
encore : grand est le nombre — et il grandit tous les jours — de
ceux qui ignorent tout, en fait de Religion, ou qui ont de Dieu et
de la Foi chrétienne une connaissance si insuffisante qu’elle ne les
empêche pas, dans le plein jour de la Vérité catholique, de vivre à
la façon des idolâtres. Combien, hélas ! nous ne disons pas
d’enfants, mais d’adultes et d’hommes sur le déclin de l’âge, qui ne
savent rien des principaux Mystères de la Foi et qui, entendant
nommer le Christ, répondent : Qui est-Il ..., pour que je croie en
Lui ?
De là vient
qu’ils ne se font pas un reproche de susciter et d’entretenir des
haines, d’établir les contrats les plus injustes, de se livrer à des
spéculations malhonnêtes, d’accaparer le bien d’autrui par une
lourde usure, et autres méfaits pareils. En outre, ignorant la Loi
du Christ qui ne condamne pas seulement les actes honteux, mais
défend même d’y penser volontairement et de les désirer, il se peut
bien que, pour une raison ou pour une autre, il se gardent des
plaisirs coupables, mais ils accueilleront sans le moindre scrupule
les pensées les plus impures, multipliant les iniquités au delà du
nombre de leurs cheveux. Et ces choses se rencontrent (disons-le
encore une fois) non pas seulement dans les campagnes ou chez le
pauvre peuple, mais aussi, et peut-être plus fréquemment, chez des
hommes d’une classe plus élevée, voire même chez ceux que la science
gonfle, qui, forts, d’une vaine érudition, croient pouvoir se moquer
de la Religion et blasphèment tout ce qu’ils ignorent.
Or, si
l’on ne saurait attendre une moisson d’une terre qui n’aurait pas
reçu de semence, comment espérer des générations ayant des bonnes
mœurs, si elles n’ont pas été, à temps, instruites dans la Doctrine
chrétienne ? De là nous devons conclure que, si la Foi s’est
alanguie de nos jours au point d’être presque mourante chez
beaucoup, c’est que le devoir de l’Instruction religieuse est
accompli trop négligemment ou complètement omis. Car on aurait tort,
pour se donner un semblant d’excuse, de dire que la Foi nous est
accordée en don gratuit et conférée à chacun dans le saint Baptême.
Sans doute, nous tous qui sommes baptisés en Jésus-Christ, nous
avons en nous la Foi infuse : mais cette semence divine ne monte pas
et ne pousse pas de fortes branches, si elle est abandonnée à
elle-même et réduite à n’agir que par une sorte de vertu innée. Il
existe aussi dans l’homme, dès qu’il vit, une intelligence : elle a
pourtant besoin de la parole maternelle, qui l’éveille en quelque
sorte et la met, comme on dit, en action. Il n’en arrive pas
autrement au Chrétien, qui, en renaissant dans l’eau et le
Saint-Esprit, porte désormais en lui la Foi : il lui faut néanmoins
l’enseignement de l’Église, pour que cette Foi puisse s’alimenter,
grandir et fructifier. C’est en ce sens que l’Apôtre disait : La Foi
vient de la prédication entendue et la prédication se fait par la
Parole du Christ
;
et pour montrer la nécessité de l’enseignement, il ajoute : Comment
entendront-ils sans un prédicateur ?
Si les
explications qui précèdent démontrent de quelle importance est
l’Instruction religieuse du peuple, Nous devons veiller avec le plus
grand soin à ce que l’enseignement de la Doctrine chrétienne, qui
(selon l’expression de Notre prédécesseur Benoît XIV) est
l’institution utile entre toutes pour la gloire de Dieu et le salut
des âmes, reste partout en vigueur ou, s’il est négligé quelque
part, soit restauré.
Voulant donc,
Vénérables Frères, satisfaire à ce très grave devoir du suprême
Apostolat et assurer partout, pour une pratique si importante, une
seule et même méthode, de Notre autorité suprême, Nous établissons
et ordonnons expressément ce qui suit, pour être observé et exécuté
dans tous les Diocèses :
1. Tous les Curés
et, en général, tous ceux qui ont charge d’âmes, aux jours de
Dimanches et de Fêtes de l’année sans en excepter aucun, pendant une
heure entière, enseigneront, d’après un petit livre de Catéchisme,
aux enfants des deux sexes, ce qu’ils doivent croire et pratiquer
pour faire leur salut.
2. De plus, à des
époques fixes de l’année, ils prépareront les garçons et les filles,
par une instruction faite plusieurs jours de suite, à bien recevoir
les sacrements de Pénitence et de Confirmation.
3. De même et avec
un soin très spécial, tous les jours du Carême et, s’il en est
besoin, à d’autres jours encore après les Fêtes de Pâques, ils
disposeront les jeunes garçons et les jeunes filles, par les leçons
et les exhortations convenables, à s’approcher saintement pour la
première fois de la sainte Table.
4. Dans toute et
chaque Paroisse sera établie canoniquement une Association dite de
la Doctrine chrétienne. Par elle, les Curés, surtout là où le nombre
des prêtres est trop petit, trouveront, pour les aider dans
l’enseignement du Catéchisme, des Laïques qui se dévoueront à ce
ministère par zèle pour la gloire de Dieu et aussi pour gagner les
indulgences que les Pontifes romains ont largement dispensées.
5. Dans les villes
plus considérables, dans celles surtout qui ont des Universités, des
Lycées, des Collèges, on fondera des cours de Religion pour
instruire dans les Vérités de la Foi et dans les pratiques de la Vie
chrétienne les jeunes gens qui fréquentent des écoles publiques où
la Religion ne figure pas au programme.
6. Mais parce que,
de nos temps surtout, l’âge plus avancé n’a pas moins besoin
d’enseignement religieux que l’enfance, tous les Curés et les autres
Prêtres ayant charge d’âmes, sans préjudice de l’Homélie ordinaire
sur l’Évangile qui doit se faire tous les jours fériés à la Messe
Paroissiale, choisiront l’heure qui pourra attirer une assistance
plus nombreuse, en dehors de celle qui est réservée à l’instruction
des enfants, pour adresser aux Fidèles une catéchèse en un langage
facile, approprié à leur intelligence. Dans ce but, ils se serviront
du Catéchisme de Trente, de façon à traiter dans l’espace de quatre
ou cinq ans toute la matière du Symbole, des Sacrements, du
Décalogue, de la Prière et des Commandements de l’Église.
Voilà,
Vénérables Frères, ce que Nous établissons et ordonnons par Autorité
apostolique. A vous maintenant de faire en sorte que, dans vos
diocèses respectifs, cela soit mis à exécution sans retard et
intégralement. Vous devrez donc veiller et pourvoir, en vertu de
votre autorité, à ce que Nos prescriptions ne soient pas livrées à
l’oubli ou, ce qui reviendrait au même, exécutées avec mollesse et
nonchalance. Pour éviter ce malheur en pratique, il faudra que vous
recommandiez sans cesse et avec instances aux Curés de ne pas
improviser leurs leçons de Catéchisme, mais d’y apporter une
préparation soignée, de ne point parler le langage de la sagesse
humaine, mais de se conformer, dans la simplicité de cœur et dans la
sincérité de Dieu
,
à l’exemple du Christ, qui, en révélant des choses cachées depuis la
création du monde, disait pourtant toutes ces choses en paraboles à
la foule et ne lui parlant qu’en paraboles
.
Ainsi faisaient les Apôtres, instruits par le Seigneur; voici comme
en parle saint Grégoire le Grand : Ils se préoccupèrent
souverainement de prêcher aux peuples ignorants dans un langage
clair et intelligible, non sublime et ardu
.
Or, aujourd’hui, pour les choses de la Religion, la plupart des
hommes doivent être rangés parmi les ignorants.
Nous ne
voudrions pas cependant que, par amour de cette simplicité, on en
vînt à croire qu’il n’est besoin, pour traiter ces matières, ni de
travail ni de réflexion: elles en réclament, au contraire, plus que
tout autre genre. Il est bien plus facile de trouver un orateur
parlant avec abondance et éclat qu’un Catéchiste faisant une
instruction de tout point louable. Donc, quelque facilité de pensée
et de parole qu’on ait reçue de la nature, il faut tenir pour
certain qu’on ne parlera jamais de la Doctrine chrétienne aux
enfants ou au peuple avec un fruit réel pour l’âme, sans être
préparé et armé par une longue méditation. Ils se trompent, ceux
qui, comptant sur l’ignorance et la lenteur d’esprit du peuple,
croient pouvoir se permettre quelque négligence. Bien au contraire,
plus les auditeurs qu’on a sont incultes, plus il faut employer
d’application et de soin pour mettre les Vérités les plus sublimes,
si éloignées de l’intelligence vulgaire, à la portée des esprits
simples ou grossiers, à qui elles sont aussi nécessaires qu’aux
savants pour gagner le bonheur éternel.
Qu’il
Nous soit permis, à la fin de cette Lettre, Vénérables Frères, de
vous adresser la parole de Moïse : Si quelqu’un est du parti du
Seigneur, qu’il se joigne à moi
.
Considérez, Nous vous en prions instamment, combien d’âmes se
perdent par la seule ignorance des choses divines. Vous avez
peut-être établi dans vos Diocèses, pour le bien de votre troupeau,
nombre d’institutions utiles et dignes de tout éloge : veuillez
néanmoins, de préférence à tout, avec toute l’énergie, tout le zèle,
toute la persévérance que vous pourrez, employer vos soins et vos
efforts à obtenir que la connaissance de la Doctrine chrétienne
atteigne et pénètre profondément les âmes. Que chacun (ce sont les
paroles de l’Apôtre Pierre que Nous répétons) mette au service des
autres le don qu’il a reçu, comme de bons dispensateurs de la Grâce
de Dieu sous toutes ses formes
.
Puissent votre
sollicitude et vos pieuses industries, grâce à l’intercession de la
Bienheureuse Vierge immaculée, être fécondées par la Bénédiction
Apostolique, qu’en témoignage de Notre charité et comme gage des
faveurs célestes, Nous vous accordons très affectueusement, ainsi
qu’au Clergé et au peuple qui vous sont confiés.
Donné à
Rome, près Saint-Pierre, le 15 avril 1905, la deuxième année de
Notre Pontificat.